Si Akito non plus n'aimait pas la compétition, il n'aimait pas pour autant perdre contre son clan au shogi. Cette fois, ce n'était pas contre Sayuri qu'il avait perdu, mais contre un des senior du clan. Dans sa deuxième crise d'adolescence, sa sœur de cœur se qualifiait de vieille, mais il lui restait de nombreuses années avant d'approcher ne serait-ce que la moitié de l'âge des doyens. Celui qui avait écrasé le jeune homme était de ceux qui avaient travaillé la manipulation des ombres même avant le deuxième exil. Très talentueux, son fils s'était acharné dans cet art shinobi, au point de l'enseigner sans ménagement à sa fille par la suite. Akito savait qu'elle avait un frère bien moins impliqué, mais qui demeurait probablement plus puissant que lui à ce jour. La compétition lui importait peu, au-delà du shogi où il n'appréciait que moyennement le fait d'être un des moins bons du clan. Heureusement, il demeurait néanmoins plus doué que la plupart des personnes ne portant pas le nom du clan. Par ailleurs, Akito se sentait reconnaissant envers son vénérable aîné pour la partie de shogi : cette défaite s'avérerait enrichissante quoi qu'il en soit.

Si l'examen de sélection des chûnin n'avait certainement pas fait l'unanimité au sein du clan, Akito faisait partie des volontaires. Il se devait de gagner en puissance pour protéger Sayuri et le reste du clan. Cela valait peut-être même pour Inoue, qu'il ne voudrait pas voir mourir à défaut de la qualifier de personne chère. S'il dissociait puissance et grade, il savait qu'un meilleur grade facilitait l'accès aux missions plus difficiles et une plus grande autonomie. Cela représentait deux vecteurs importants d'expérience personnelle qu'il pourrait mettre à profit dans le cadre de son objectif. Lorsqu'il serait suffisamment puissant et expérimenté indépendamment de son grade, il serait alors prêt à affronter le passé du clan. Des promotions lui octroieraient par ailleurs un meilleur accès à l'information et donc de meilleures opportunités d'enquête.

Si les Nara s'intéressaient perpétuellement au mystère qui entourait leur tragédie survenue dix ans plus tôt, il leur fallait encore se garantir une marge de manœuvre pour réagir lorsqu'ils comprendraient enfin la vérité. Si jamais Konoha ou le Pays du Feu était impliqué, Akito choisirait personnellement la désertion, ce qui ne serait aucunement envisageable à son niveau actuel. Toujours en vue de cette éventualité, il s'arrangerait également pour que tous les potentiels déserteurs du clan soient en sécurité, et pour dissuader Konoha d'exécuter ceux qui resteraient. Il réalisa par ailleurs à quel point Sayuri l'influençait : il n'aurait pas tant réfléchi à ce scénario en particulier s'il ne la côtoyaient pas à ce point. Néanmoins, son amour fraternel pour Sayuri demeurait plus important. Il se sentait déjà relativement satisfait de sa prise de conscience, quoiqu'embarrassé qu'elle fût si tardive.

Akito avait pour particularité d'être un Nara volontaire, aux yeux de certains villageois. Il n'était en réalité pas le seul, mais seulement le plus flagrant. D'habitude froid, il se révélait coopératif et loquace dans le cadre strictement professionnel des missions, sans pour autant vraiment se départir de sa carapace émotionnelle. Un feu inextinguible semblait animer ses yeux lorsqu'il s'entraînait ou se battait.

En ce jour, Akito perfectionnait son iaidō. Il avait encore beaucoup de chemin à accomplir pour dégainer son katana d'un geste parfait, mais avait la ferme intention d'y parvenir. À défaut de connaître les esprits vénérés par les Yamanaka, il demeurait conscient de la dimension spirituelle des nombreux arts martiaux employant une arme blanche. Ce n'est qu'en prenant une pause après avoir bu quelques gouttes d'eau qu'il croisa hasardeusement ce qui semblait être un des siens. Il le connaissait de tête, mais peinait à le resituer. Il savait simplement qu'il se sentirait stupide au moment de s'en rappeler. Pourquoi donc ?

« Tiens donc, salut. Je vois qu'on est pas mal à redoubler d'effort pour l'examen, dans le clan. C'est assez impressionnant, quand on sait qu'il s'agit de responsabilités. »

Si Akito avait sa propre façon de raisonner pour légitimer sa candidature à l'examen, il savait que son argumentaire n'était pas représentatif de la majorité.

Sans s'y attendre mais sans surprise, Akito prit au dépourvu son interlocuteur. Ce dernier déduisit rapidement qu'ils étaient du même clan après avoir dévisagé son cadet au-delà de sa phrase. Il insinua alors que l'examen chûnin n'était pas sa priorité. Les Nara qui s'entraînaient par envie demeuraient rares : comment parler d'envie lorsque la plupart des acharnés y percevait une nécessité pour survivre et protéger leurs proches ? L'aîné devança Akito en ajoutant cela à sa réponse. Le jeune homme ne prit pas la peine de s'attarder sur les raisons qui le menaient ici. La communication entre Nara était peu évidente d'un point de vue extérieur, mais cela ne la rendait que plus fluide pour eux. Akito avait effectivement compris, grâce à sa réponse, qu'il était là pour des raisons strictement personnel. À constater sa réaction en entendant parler de l'examen, il serait même légitime de présumer qu'il y soit peu motivé voire réticent. Cela serait d'autant moins étonnant que les membres du clan n'aimaient pas les responsabilités et n'avaient aucune ambition en la matière.

« En dehors du sens du devoir, oui. A fortiori du fait qu'on y soit rarement vu. »

D'un bref coup d’œil, Akito se confirma que son pair n'utilisait pas d'arme. Cela n'avait rien d'étonnant : le jeune homme était l'un des seuls adeptes du bukijutsu au sein du clan. Parmi les autres exceptions se trouvaient Hanae, dont le nom lui revint pour cette raison. Il s'agissait de la petite fille du senior qui l'avait précédemment écrasé au shōgi. Il serait curieux de la rencontrer un jour, lorsqu'il s'en sentirait à la hauteur. Sans se douter qu'ils étaient sur une longueur d'ondes similaires, Akito insista quand même en son esprit pour retrouver le nom de son interlocuteur. Celui-ci parvint à le nommer après une tentative. Akito, en revanche, avait un véritable trou de mémoire. Il remarqua alors un détail : son aîné venait de mentionner son grand-père. Il était donc probablement le frère de Hanae, lui ressemblant trop pour être un cousin.

« En effet. Ma défaite était évidente dès le début, mais enrichissante. En revanche... Je suis sincèrement désolé, je me souviens seulement que ton prénom commence par S. »

Akito se tut pour écouter la réponse. Il constata également que son interlocuteur essuyait sa sueur : il se démenait très sérieusement. Par la suite, il fut curieux d'en savoir plus sur ce compère fort singulier. Il n'avait toutefois pas l'air disposé à s'attarder sur des questions existentielles comme Sayuri, aussi le jeune homme se limita-t-il à une question simple.

« D'ailleurs, qu'est-ce qui te pousse à t'entraîner si dur ? C'est par rapport au deuxième exil, ou pour une toute autre raison ? »

Dans le cas où son aîné retournerait la question ou aurait d'autres choses à dire, Akito y répondrait sans souci.

Quelle que fut sa réponse, Akito lui fit peu après une proposition probablement prévisible. Deux individus du clan Nara ensemble au même moment sur le terrain d'entraînement et à proximité l'un de l'autre constituaient un évènement d'autant plus rare. Sur quelle issue déboucherait un entraînement entre eux ? À y repenser, Akito ne savait pas vraiment comment affronter un des siens, si ce n'était Sayuri. Comment espérait-il maîtriser son aptitude héréditaire et les différentes qualités propres aux Nara s'il s'avérait incapable d'y faire face en tant qu'adversaire ?

« Et si on s'entraînait ensemble après ta pause ? »