Kyohei s'était trouvé bien agacé avant même d'avoir eu à poser un pied à Shigure. Si la course effrénée qu'il avait dû mener depuis Kusa avait pu accroître son irritabilité, il était certain que l'air lourd et poisseux des abords du grand lac n'aidait en rien l'officier à retrouver son habituelle sérénité. Bien qu'il avait déjà fait l'expérience de cette atmosphère des plus oppressantes il y a de cela une petite semaine au cours de son expéditive traversée de la région pour rejoindre Kusa, la distance qu'il avait su conserver entre la ville et lui avait permis d'alléger les effets néfastes de ces mystérieuses émanations. Il n'en ressentait que maintenant toute l'ampleur, et peinait à imaginer que tant de citadins aient pu vivre près d'un mois dans un tel climat. Au fond, cela ne constituait à ses yeux qu'une confirmation supplémentaire du bien fondé de la technique qu'il avait choisi d'adopter pour approcher cet Ishiyato.

Il avait appris le nom de l'un des deux individus qu'il recherchait quelques heures après le départ du Vert souffle. Le mercenaire semblait en effet avoir ingénieusement fondé quelque temps auparavant une compagnie basée sur la ville à roulettes. Une entreprise aussi astucieuse qu'innovante, car il apparaissait que personne n'y avait pensé avant les deux comparses. Ainsi la nouvelle avait vite fait le tour de la cité mouvante et des quelques pays alentour, attirant, bien plus rapidement que le soldat ne l'aurait voulu, l'attention de divers investisseurs en manque de gros bras. À son arrivée dans leurs locaux, Kyohei n'avait été accueilli que par une vieille dame, une certaine Hudsa, qui l'avait bien vite informé que celui qui saurait le mieux répondre à ses interrogations était d'ors et déjà parti en mission au pays de la pluie. Fulminant d'exaspération et d'impatience après les déconvenues successives qu'avaient été ses précédentes recherches, le fantassin parvint à se convaincre de ne pas abandonner cette piste, et de rejoindre sa cible au plus vite. Sachant pertinemment que ce type d'individu n'aimait pas être interrompu dans son travail, et qu'il n'avait pas beaucoup de fonds à lui proposer en échange d'informations, il était parti du principe qu'il lui proposerait gratuitement son assistance, tant qu'il acceptait de répondre à quelques-unes des questions du chajin après coup.
Maintenant qu'il était enfin de retour à Shigure, sa conscience s'alignait sur sa raison. Il se devait moralement d'aider ces pauvres gens avant que la situation n'empire.

Le guerrier se trouvait à présent à l'entrée de la bourgade, mais un épais brouillard masquait sa visibilité au delà de quelques mètres. Les habitants n'étaient pas très bavards, mais Kyohei parvint à faire parler suffisamment d'entre eux pour en déduire la localisation approximative de son objectif qui, disait-on, était accompagné d'un personnage particulièrement excentrique. La description que madame Hudsa lui avait faite de l'associée originale d'Ishiyato, une certaine Sora, avait suffi à l'officier pour comprendre que le mercenaire semblait apprécier la compagnie d'êtres plus extravagants les uns que les autres. Restait alors à espérer que le caractère plus posé de Kyohei saurait capter l’intérêt de sa cible.

À force d’exploration, il parvint finalement à repérer un individu qui semblait détonner plus fortement encore que lui au milieu du paysage grisâtre. L'étranger n'eu lui non plus aucun mal à remarquer que l'officier n'était pas du coin, et ce fut probablement la raison pour laquelle il vint l'interroger.

"Je sais pourquoi vous êtes ici. Je cherche à entrer en contact avec votre chef depuis un certain temps déjà, mais j'ai à peine eu le temps d'arriver à Ryokuiki qu'une certaine madame Hudsa m'a signalé qu'il était retourné en mission à Shigure. Si vous voulez bien m'indiquer sa position, j'aurais un marché à lui proposer. Je vous garantis que je ne vous ralentirais pas outre mesure."

Quelques instants d'un suspicieux silence passèrent avant que son interlocuteur ne se décide à pointer du doigt une vague direction au delà de la brume. Kyohei le remercia rapidement d'un signe de tête puis se dirigea vers la zone indiquée. Bien vite il identifia celui qu'il était venu chercher, puis se rapprocha du mercenaire en s’assurant de rester dans sa ligne de vue, alors que celui-ci finissait d’interroger un autochtone. Arrivé à portée de voix, il patienta sagement le temps que l’indigène fasse part des quelques rumeurs qu’il avait entendues, puis s’adressa à l’aventurier.

"Vous devez être Nishimura. C'est madame Hudsa qui m'a mené jusqu'à vous. J'ai conscience que vous êtes en plein milieu d'une mission et que cette interruption peut sembler malvenue, mais il se trouve que vous détenez peut-être des informations d'une importance capitale à mes yeux. Si vous acceptez de prendre le temps d'y répondre, je peux m'engager à mettre mes talents à votre disposition le temps de ce contrat, et ce sans aucuns frais. Qu'en dites-vous ?"

Le petit veut parler au boss. Je suis étonné d'apprendre qu'un nabot dans son genre à fait tant de chemin pour rencontrer mon patron. À dire vrai, je ne pensais pas qu'Ishiyato puisse avoir une quelconque importance.

Il paie correctement et c'est tout ce qui m'importait jusqu'à présent. Je commence cependant par me dire qu'il y a peut-être quelque chose de concret derrière la Compagnie du Chien Rugissant.

Ok Jorel, t'as pas intérêt à tout foirer pour une fois. Cet Ishiyato, c'est peut-être ta chance de te sortir de ces longues années d'errances et de cette merde de vie.

– Pas de problème mon grand, laisse-moi te conduire à lui, dis-je sans pour autant me départir de ma nonchalance.

Je le conduis ainsi jusqu'au boss, alors en pleine tentative de communication avec la faune locale.

– Hey boss ! Y'a ce jeunot qui souhaite vous parler au sujet d'affaire... importante, dis-je en désignant le concerné du pouce.

Avec son accord, je m'écarte pour le laisser approcher. Alors dos à lui, je me désintéresse rapidement de leur conversation. Les négociations à « l'amiable » ce n'est pas vraiment mon fort. Je préfère déléguer cette corvée à mon responsable pour me contenter d'épier les environs du regard.

Il n'y a pas à dire. Le coin craint vraiment. Et toute cette cendre qui s'infiltre un peu partout et dans les fringues.

Cela me démange et je commence à me gratter frénétiquement la nuque.

Hein ? Quoi ? Le tuer ?

Je vois le signal du boss, un index pointé discrètement sous sa gorge. Ce geste, je le connais très bien.

Ok...

D'un geste vif, j'utilise mon chakra pour transpercer le dos du gamin de sorte à faire ressortir ma main par son ventre.

Ouais, tuer c'est ce que je sais faire le mieux.

Mes lèvres dessinent un sourire carnassier sous mon écharpe. J'adresse un regard complice au boss dont le visage semble se décomposer en retour.

Sa main, elle fait désormais signe d'annuler l'ordre...

– Oups...

Le temps semble s'arrêter.

Le boss me regarde...

Je le regarde....

On se regarde.

Lui l'air hagard.

Moi avec ma main dépassant du bide du petit jeune.

Je crois que je viens de faire une connerie.....

Spoiler:

D'abord visiblement enjoué par la proposition de Kyohei, le visage de son interlocuteur sembla s'assombrir l'espace d'un instant, avant qu'il ne reprenne une expression souriante et ne se gratte la gorge du bout du doigt. À bien y réfléchir, ce qui voulait s'apparenter à un réflexe semblait en réalité être une mimique adressée à quelqu'un. Mais à qui, et pourquoi ? Réalisant soudain qu'il se trouvait entre Ishiyato et son associé, Kyohei sentit la tension de la scène exploser et dégaina son sabre pour user de son ultime défense. Un voile gris, vraisemblablement issu du néant, parut brièvement flotter autour de l'officier, avant que le plat de son arme ne s’écrase avec fracas sur l’avant-bras de Jorel, recouvert d'une sorte de curieuse lame faite semblait-il de sang.

Il avait paré l’attaque avec succès, mais son corps entier vibrait suite à l’impact, et cette confrontation avait à l’évidence bien plus éprouvé l’épéiste que son vis-à-vis. Si cet affrontement spontané devait se poursuivre, le chajin se ferait écraser, il en était certain, et ce sans même que son second potentiel adversaire n’ait à entrer en jeu. Heureusement pour le soldat, ce dernier apparaissait désormais grandement paniqué suite à l’offensive portée par son employé, et semblait à présent désireux de lever le malentendu au plus vite, ce qui convenait parfaitement à Kyohei.

Gardant la main sur sa garde, il recula de quelques pas pour être certain d’avoir cette fois-ci les deux associés dans son champ de vision, et put constater par leurs réactions gênées qu’il s’agissait bel un bien d’une erreur.

“Détendez-vous, je travaille pour Cha, pas pour Kusa, et je ne suis certainement pas au service d’une quelconque institution financière comme vous semblez le penser. Je suis à la recherche d’un certain type d’individus que vous avez déjà été et serez amené à croiser au cours de vos divers contrats, rien de plus. Mais comme promis nous pourrons en parler plus tard, je ne tiens pas à vous faire perdre plus de temps.”

S’adossant au mur d’une bâtisse à proximité, Kyohei afficha un malicieux mais discret sourire alors que le mercenaire reprenait peu à peu du poil de la bête pour continuer sa mission.
S’il était indéniable que ses compétences martiales étaient impressionnantes à la lumière ce que l’officier en avait entendu, cet Ishiyato semblait avoir un comportement bien volatil pour un homme à la profession si particulière. Visiblement capable d’alterner en l’espace de quelques secondes entre un professionnalisme glacial, une euphorie incontrôlable et un état de terreur sourde, il s’avérait évident pour Kyohei qu’il ferait à l’avenir l’objet de sa permanente vigilance.
Son employé quant à lui semblait pour l’heure au moins plus stable dans son attitude, bien qu’il était certain qu’il avait lui aussi ses travers vu son apparence. D’aucuns auraient dit à son sujet qu’il fallait vraiment avoir une sacrée couche pour venir se limer les dents.
La sinistre puissance qui émanait de cet étrange duo amenait Kyohei à se dire qu’il n’était pas dans la meilleure des compagnies, mais maintenant qu’il avait fait tout ce chemin, il ne pouvait qu’espérer que leur collaboration serait aussi brève qu’utile.