Eté de l’An 150
Village de Suna

Tous les chemins mènent au palais. On pourrait croire que telle serait la devise de ce grand village ensablé, tant toutes les avenues semblaient le mener à un endroit précis. Le seul capable de le mener à la prochaine étape de sa nouvelle vie. Néanmoins, malgré les mots sortis de la bouche de Kamui Hirohiko, le moine ninja et sa toute première rencontre au sein de ce qu’il souhaitait voir devenir sa nation, l’homme venu de l’autre côté du Yuukan se permit d’abord de faire le tour du propriétaire. Observant de ses propres yeux tout ce qu’aurait à lui offrir Suna. Parti des portes creusées au sein du Canyon d’Ocres, ses pupilles écarlate rencontrèrent d’abord l’Académie dont était doté chaque village ninja et dans laquelle naîtrait inlassablement les futures générations rêvant de marquer de leur empreinte ce monde gangréné par les guerres. Puis, Hayate s’amusa à s’immiscer dans les quartiers occupés par les quatre célèbres clans de Kaze, avant de joncher les extrémités du village afin d’y observer ce chantier naval encore en plein développement ces plages d’entraînements que l’on ne pouvait trouver ailleurs.

Enfin, il s’arrêta un temps au cimetière, où son chemin croisa celui d’une intrigante adoratrice des Bijuus. Là-bas, il n’y avait pas que la foi de son interlocutrice et sa part sombre de son être qui avait captivé son attention, mais aussi le paysage dont il pouvait profiter en compagnie des morts qui l’entouraient. Une vaste mer s’étendait jusqu’à l’horizon et faisait remonter au Nagakura les dramatiques souvenirs qu’il avait emmenés jusqu’ici. Hayate venait à peine d’arriver à Suna, qu’il se voyait déjà avec l’envie irrépressible de voguer de nouveau sur les vagues, comme ce fut le cas lorsque les siens étaient encore en vie, avec une seule destination en tête. Le pays qui portait ironiquement le nom de Nami et qui deviendrait tôt ou tard le berceau de sa terrible vengeance. Cependant, pour cela, il devait d’abord en avoir l’autorisation. Ou avoir monté un machiavélique stratagème diplomatique, fait de coup bas et de corruption, poussant alors le Kage ou son Daimyô à s’y rendre. L’un dans l’autre, le pré-requis était le même. Dès lors, abandonner sa vie de noble et passer à celle d’un ninja était son seul recours. Son destin proche, lui, semblait donc tout tracé...

Direction le Palais du Kazekage ! Ce grand dôme qui ne cessait d’attirer tous les regards et dont la stature architecturale écrasait tout le reste de la cité ensablée de son excellence. Pénétrer en de tels lieux relevait d’une véritable marche vers l’inconnu pour celui qui se laissait maintenant porter le nom de Tenma, lui qui était plutôt habitué aux résidences privées ou autres auberges luxueuses dont il pouvait profiter du temps de son active noblesse. Mais alors qu’il passait les portes du grand dôme, lieu sacré dont l’Ombre du Vent en était le maître, l’ambiance changea du tout au tout. Le sérieux avait repris le dessus sur la vie mouvementée que menaient les habitants du village sous le soleil brûlant. De son côté, le sérieux se traduisait par de la vigilance. De la prudence. Depuis son tragique épisode à Nami, il n’était plus rien. Plus aucun passe-droit. Et quand bien même Hayate prévoyait déjà de nombreux plans à l’avance visant à satisfaire sa cause personnelle, il devait réunir autant de concentration vis-à-vis des paroles qu’il s’apprêtait à prononcer.

« Bonjour. » Commença-t-il naturellement par dire, s’avançant vers le premier bureau qu’il vit au rez-de-chaussée. « Je me nomme Tenma Hayate, je souhaiterais me rendre utile à Suna en devenant un de ses shinobis. »

Le message était simple, clair et suffisamment concis pour ne pas sembler être un élément perturbateur plus qu’autre chose. Bien sûr, voilà que le manieur de cendre venu de Shimo avait de nouveau enfilé son masque de sympathie en accrochant ce faux sourire sur le bout de ses lèvres. C’était lors de ce genre d’instants qu’Hayate trouvait l’opportunité d’user de ses talents de diplomate, offrant à quiconque voudrait bien l’entendre toute la souplesse de son langage, aussi bien corporellement que par les mots. Seulement, il ne savait pas encore à quel point il devrait en faire usage alors qu’une nouvelle silhouette s’amenait à lui. Était-ce plutôt à cette personne qu’il aurait dû s’adresser ? Ou bien avait-elle remarqué sur la tenue de soie du Nagakura les traces de sang provenant des victimes de ce dernier un peu plus tôt, au pied du Canyon d’Ocres ? La réalité venait sûrement puiser ses réponses dans ces deux possibilités...

Alors ? Pas une réponse ? Hayate semblait s’être adressé à la mauvaise personne tant la jeune demoiselle derrière le bureau semblait balbutier et chercher les bons mots pour donner suite à la requête de cet inconnu venu des lointaines terres de Shimo. Il faut dire, Hayate venait de débarquer à Suna. Son visage ne parlait à personne hormis les deux futurs camarades qu’il trouvera peut-être en Hirohiko et la fameuse adoratrice des démons à queues qu’était Jashin Ostara. Sans parler des quelques gouttes de sang qui tâchaient encore sa longue tenue de soie, trahissant alors le crime qu’il avait commis un peu plus tôt dans la journée. Ou bien était-ce simplement dû au fait que le manieur de cendres ne se trouvait pas au bon endroit ? Cela lui revenait maintenant ! Il était vrai que lors de son entrée au sein du village ensablé, le moine ninja qui l’accompagnait lui avait plutôt conseillé de se rendre à l’Académie ! Avait-il raison ? Cela lui semblait surprenant de se rendre dans un tel endroit plutôt que le palais où il pourrait y rencontrer plus facilement un haut gradé plus à même de lui octroyer le droit de représenter Suna en devenant un de ses shinobis ! La Kazekage elle-même ?!

Non. Avoir l’honneur de rencontrer son éminence ne se ferait pas tout de suite. Tout comme il n’accéderait pas facilement au rôle de diplomate qu’il souhaiterait avoir, lui facilitant alors bien des allées et venus pour mettre en place un plan capable de renverser et éliminer le Daimyô du Pays des Vagues ! Dès lors, plutôt que d’être interrompu par le plus puissant shinobi du village, c’est une petite voix de fillette qui surgit dans son dos ! Hayate se retourna, mit une seconde avant de comprendre qu’il lui fallait baisser le regard pour apercevoir celle qui venait de s’introduire dans cette séquence. C’était une jeune kunoichi, doté d’une chevelure d’une rare couleur violette et surtout... Borgne. Pour autant, elle se présenta quand même sous le nom de Sugawara Rise, ne manquant pas de préciser le grade dont elle bénéficiait, donnant alors le droit à cette Chuunin d’interroger l’étranger. Cela ne l’enchantait guère, mais c’était bel et bien reparti pour un tour.

« Je suis Tenma Hayate. Enchanté, Sugawara Rise » Lui répondit-il alors, se laissant aller à une légère courbette afin de répondre à la noblesse qui sommeillait encore en lui.

Ainsi, il suivit ses pas, se demandant s’il n’aurait pas mieux fait de céder directement à la proposition d’Hirohiko en se rendant à l’Académie du village, plutôt que de se laisser tenter par l’exploration du vaste village fait de sable tout à l’heure. Lui au moins avait déjà entendu son histoire. Ou du moins une version. Enfin. Là encore, il devra se plier aux règles, jouer le jeu et peut-être faire appel aux mêmes mensonges qui s’accrochaient à lui depuis le début de cette longue journée. Quand bien même cela ne l’enchantait pas, le Nagakura remplissait son devoir et alors qu’il pénétra dans le bureau, qui s’apprêtait à se muer en salle d’interrogatoire, il s’assied. Ouvrit ses oreilles et écouta avec toute la discipline nécessaire en cet instant les paroles de la Sunajin...

Bien sûr. Avec l’ère des shinobis qui commençait à peine, le spectre de temps sombres à venir planait au-dessus de tout le Yuukan, amenant avec lui le désir pour chacun des villages ninjas de grossir ses rangs. Il y avait l’honneur des armes, certes. La fierté de servir une nation, aussi. La gloire de rentrer au panthéon des guerriers ayant foulé cette terre, pourquoi pas. La conviction de servir un objectif, parfois considéré comme une utopie même, en vue d’instaurer la paix pour tous ! La triste réalité était ainsi. Que ces fous, voulant rêver d’un avenir radieux, finissent par devenir un ninja d’élite ou simplement de la chair à canon terminant leur piètre voyage au sein d’une fosse leur était égal. Et pourtant, semblait encore être capable de pouffer de rire à ses propres mots et d’afficher un sincère sourire sur ses lèvres ! À croire que tous ceux qui l’entouraient n’avaient pas encore goûté au désespoir ! Ou peut-être simplement qu’Hayate se trouvait être le seul pécheur à errer sur la voie d’une vengeance rongeant son cœur...

« J’ai entendu le plus grand bien sûr le sérieux des shinobis de Suna. Que ce soit la répression des criminels que le visage s’efforce de purger depuis sa réouverture ou la surveillance de ceux qui osent franchir le Canyon d’Ocres. Ca serait avec honneur de pouvoir rejoindre un village shinobi qui jouit d’une telle réputation à travers le Yuukan... »

Des mots flatteurs de la part de l’originaire de Shimo, qui inscrivit à son tour un sourire sur ses lèvres. Moins sincère que son interlocutrice en revanche, ce n’était qu’un masque... Il reprit.

« Dès lors, je me soumettrais avec plaisir à vos questions Rise-san. »

En voilà une autre qui n’avait pas manqué de ramener sa curiosité jusque dans ce bureau ! Tout comme ce fut le cas avec le moine ninja, Kamui Hirohiko, voilà que celui qui se présentait sous le nom de Tenma Hayate était contraint d’imaginer quelles pourraient bien être toutes les raisons qui avaient finalement amené la fausse personne qu’il s’était créé à s’engager envers le village ensablé plutôt que Konoha ou Kumo ! En même temps, il était difficile d’en vouloir à la petite borgne d’agir ainsi. À cet instant, il n’était qu’un parfait inconnu, les vêtements quelque peu entachés de sang et dont on ne connaît rien en matière de pouvoir ! Puis, l’état dans lequel se trouvait les différents pays, luttant inlassablement contre cette vague de banditisme, qui gangrénait le monde depuis la chute d’Arashi, n’arrangeait en rien son cas et poussait les villages ninjas à prendre toutes les précautions. D’ailleurs, cela serait même incohérent de la part de l’interrogé d’aller se perdre dans une réaction suspecte et disproportionnée, alors qu’il venait tout juste de faire les éloges de son futur village en matière de répression...

Hayate avait donc bel et bien conscience qu’il serait une nouvelle fois amené à répondre aux mêmes questions sur ses origines et les raisons qui nourrissaient son désir de s’engager à Suna, l’obligeant alors à déployer les mêmes mensonges ! Qu’est-ce qui pouvait bien lui être passé par la tête de s’inventer une nouvelle identité ? De nouvelles origines et un nouveau drame certainement vécu par quelques autres à travers ce vaste et sanglant continent qu’était le Yuukan ? Bien sûr, il avait en tête que sa petite vendetta ne serait pas vue d’un bon œil. Aucun village n’accepterait dans ses rangs un shinobi présentant le risque de laisser dépasser ses émotions et capable d’ébranler toutes les relations diplomatiques s’il venait à ôter la tête d’un Daimyô ! Pas sans garder un œil méfiant à tout instant et lui retirer les libertés dont il pourrait jouir ! Et cela, pour le bien de son sombre dessein, le manieur de cendres ne pouvait pas se le permettre. À terme, il aurait besoin de voir au-delà de ce village...

« Au-delà, hm ? Il n’y a plus que moi malheureusement. » Lui répondit-il, alors que leurs deux regards ne se quittaient pas, se jaugeant l’un l’autre.

Les divinités, si elles existaient bel et bien dans ce bas monde ou qu’elles soient aujourd’hui disparues comme le croyait cette jeune Jashin qu’il avait rencontrée un peu plus tôt, savaient à quel point il aurait aimé rester aussi concis et n’avoir rien d’autre à expliquer ! Cependant, le manieur de cendres savait que cela ne serait pas suffisant pour son interlocutrice qui ne s’était pas empêchée de soumettre de nouvelles questions. Il ne devait pas flancher, continuer sur la même lancée et offrir généreusement tout ce que les oreilles de Rise voulait entendre. Hayate reprit alors, laissant la main aux aptitudes de langages dont il profitait et à ce destin dans lequel il croyait profondément.

« Bien que je sois shinobi, ma famille étaient des nobles qui avaient bâti leurs richesses grâce au commerce et à l’échange de ressources à travers toutes les régions de Yuukan. Mais aujourd’hui ils sont morts, tués par des brigands alors que nous nous trouvions à Hi no kuni, prêt à rejoindre la nouvelle capitale du pays, Kanetsu.

Mon chemin ne pouvait me mener autrement qu’à Suna. Son histoire et sa politique sont deux arguments qui viennent pousser mon désir de rejoindre vos rangs. Pour aider à purger ce monde du fléau que sont les brigands et le groupuscule qui en est à l’origine. »

Voilà ce qui devait permettre d’achever un tableau suffisamment logique pour sauver la tête du Nagakura d’origine. L’idée lui passait par la tête d’émettre la possibilité de demander au moine ninja qu’il avait rencontré au pied du Canyon d’Ocres, en compagnie du tas de cadavres qu’il venait de créer, de justifier ses propos. Mais cela ne pourrait-il pas produire l’effet inverse ? Donnant l’image d’un étranger cherchant à dissiper trop de doutes autour de sa personne, le rendant finalement plus suspect ?