La différenciation, les stigmates d'une vie passée, le style, tout ça, c'est bien beau. Mais en plein cagnar, sous cette chaleur, la moitié de ma peau risque de faner, encore plus qu'elle ne l'est déjà. Pour l'occasion, j'ai donc décidé de recouvrir mes bras, et ma tête. Assis sur mon chariot, j'avance donc protégé par une cape grise qui me recouvre des pieds jusqu'au cou. Mon visage, quant à lui, est à l'abri sous un sugegasa traditionnel, d'où pendent de nombreux morceaux de tissus blancs filtrant les rayons de soleil. De l'extérieur, seule ma pipe fumante dépasse de cet amoncellement de tissu. J'ai pris soin de protéger mon cheval aussi. Mais le gros du trajet se fera de toute manière de nuit. Il fait bien plus froid, mais c'est ce à quoi nous sommes habitué, alors ça ira très bien. Cela fait bien une heure que le convoi, ou plutôt mon chariot, a quitté Suna. Les marchandises ont été livrées et le vieux canasson doit se sentir bien plus léger qu'à l'allée. En même temps, je n'avais pas lésiné sur le chargement à Iwa. Mais il faut ce qu'il faut. J'entends d'ici ma bourse qui me remercie. C'est d'ailleurs à cause d'elle que je reste aux aguets et explore les alentours avec prudence. La Vallée Écarlate est réputée pour les nombreuses disparitions de voyageurs, ou de marchands... J'ai moi-même officié ici, pendant un an, en tant que faiseur de disparition, dirons nous.
Un sourire éclaire alors mon visage en me souvenant des méthodes que l'on employait à l'époque. Il fallait d'abord repérer des êtres faibles, ce qui n'était pas bien compliqué dans ces conditions. Même en m'étant convenablement équipé en nourriture et eau, je ressens les effets du désert. La bouche sèche, la transpiration, la tête lourde. Impossible de rester insensible, à moins d'être né et d'être devenu résistant à tout ça. Mais moi, je suis aux antipodes de tout ça. Un seul coup de soleil et je peux dire adieu à ce qu'il reste de mes bras, ou même de mon visage. Un hennissement las du cheval me tire alors de mes pensées. Je relève la tête.
" Hm ? "
Rien. Du moins, rien qui ne me saute aux yeux. Vivement que je sois sorti de cette route. Si je croise d'ancien comparse, je pourrai tenter de sortir quelques commodités afin de continuer. Mais si ce sont de parfaits inconnus, alors il faudra envisager d'autre solutions. Et hélas, avec un tel canasson, impossible d'envisager une fuite. Je suis le client idéal. Seul, une charrette vide en sortie de cité, signe d'une bourse pleine. Quel enfer... Je secoue un peu les rênes pour inviter mon tireur à presser le pas. J'aimerais encore avancer un peu avant la nuit tombé.
Les minutes passent, puis une heure, puis une autre. Le soleil commence enfin à se coucher. Je n'enlève cependant pas mon accoutrement inhabituel. Entre temps, j'ai eu envie de rallumer ma pipe, après un bref nettoyage. L'ambiance est idéale pour tester ce tabac que je met trimballe depuis quelques semaines. À peine épicé, aux saveurs assez rafraîchissantes. Ça contraste avec l'environnement mais la petite touche relevée colle avec ces grandes plaines rouges désertiques. Enfin, désertiques... Pas tout à fait. Plissant les yeux derrières mes bandes de tissus, j'aperçois une silhouette. Elle avance, seule, au milieu de la route. Qui pourrait bien être assez fou pour faire un tel trajet, sans même une monture, à une heure pareille. J'accélère tranquillement l'allure tandis qu'une petite brise se lève alors, venant soulever de petits volutes de sables et de poussières aux alentours. L'air se rafraichit. Après quelques minutes, le chariot se rapproche enfin de ce qui me semble être une femme. Les bruits de métal produit par l'armature du chariot l'auront sûrement alerté de mon arrivée. Tant mieux, je préfère ne pas la prendre par surprise, sait-on jamais.
" Et moi qui pensais être le plus grand des inconscients en empruntant cette route. J'ai trouvé pire que moi. " Je lance cette remarque avec un sourire en coin, caché dans l'ombre de mon chapeau et de ses bandelettes.
Lentement, mon petit convoi se cale sur le rythme de la voyageuse. Je laisse alors échapper la fumée légèrement ocre de l'herbe lentement consumée dans ma pipe.
Un bleu électrique englobe le désert. Non pas par sa couleur naturelle, mais par son ambiance. Une ambiance chaude, une ambiance vaste, l'impression que tout ce qui t'entoure cherche à te comprimer. Le désert est ainsi, chaud. Rude. Peu accueillant. Il n'est pas pour nous. Et pourtant, nous l'arpentons. Je l'arpente. Dans un but noble, un but qui est ma cause. Une cause qui est ma raison.
Ai-je raison de faire ce que je fais ? Oui. Car c'est ce but en plein milieu du désert qui fait de moi ce que je suis.
Marchant dans le désert depuis plusieurs heures maintenant, j'arrive non loin du début de la vallée écarlate. Un lieu où la guerre à fait bien des morts, un lieu où les hommes ne se sont pas décidés à comprendre que donner la mort n'est pas la raison pour laquelle nous sommes sur Terre. Un lieu qui maintenant ne présente que de rare ruine. Avait-il été habité auparavant ? Détruit? Tomber en ruine tout seul? Nous n'aurons peut-être jamais les réponses.
Me stoppant un instant, je viens regarder le sable à mes pieds, relevant lentement la tête jusqu'à apercevoir les scorpions à une dizaine de mètres de moi. Marchant encore quelque pas, je stoppe ma course devant eux tandis que j'adresse un simple sourire sans réelle intention.
"Bonjour Tamao."
En seulement cinq secondes, une main viendra sortir du sable chaud, s'appuyant sur les grains avant de laisser s'extirper un corps entier de ce dernier. Il s'agissait de Tamao, un bandit du désert. Il vivait au village de Suna avant que celui-ci ne se voie rouvrir. Les yeux d'un rouge complet personne ne sait d'où il vient, mais il n'aime pas vraiment la compagnie des hommes.
"Pe-pe-pe-petitititeuh Ostara ! Tu grandis à chaque semaine que tutututu passe dans le désert ! Que mememememe vaut ce papapassage ? Tu n'as pas dodododonner assez de sang?!"
"C'est un voyage nécessaire Tamao. Les dieux prennent mon sang, mais ce qui est le plus important est la douleur accordée."
"Tutututu peux parler autantant que tu veux, il n'y a quequequeque toi dans ce dédésert d'assez folle pour passé aussi souvent ici sans avoir peur!"
Baissant mon centre de gravité, je viens tendre la main à l'un des scorpions de Tamao qui viendra me monter sur le bras. Tamao n'est pas un passeur. Mais en échange que j'apporte de la nourriture pour ces scorpions, il me permet de passer sans m'agresser. Il sait aussi que mes jutsu de clan peuvent être aussi terriblement dangereux pour tous ceux à qui je parviens à récupérer le sang. Faisant tomber mon sac devant moi, j'extirpe la nourriture pour animaux par paquet avant de fermer mon sac.
Faire cela me fait déjà me sentir plus légère pour poursuivre ma route. Jamais Tamao ne m'avait demandé de nourriture pour lui, une question que je ne me permis jamais de poser, préférant garder la réponse secrète pour moi-même.
"Comme toutoutoutoujours, le scorpion reste avec toi jusqu'à ce que tu quittes la Vallée écarlate ! Si besoin aide, écrase la queue du scorpion et je viendrais!"
"Comme toujours oui. Merci Tamao pour ton aide."
"Le désert être mon domaine ! Je nananananage et je le dévore ! Et je prends soin de la petitititite Ostara quand elle passe ici comme promis à Nimiko!"
Une promesse bien vieille qui ne tenait sûrement plus depuis le temps. Je me relève et au même moment, Tamao retourne s'enfoncer d'un simple plongeon sans le sable. Et en à peine quelques secondes, le paysage retrouva son ambiance calme et sèche. Les scorpions ont tous disparus à l'exception de celui sur mon épaule, cherchant un moyen de s'agripper sans danger à moi. Il finira par se plonger dans mes cheveux, caché de tous et à l'abri de la chaleur du ciel.
Mes pas reprennent alors vers l'avant, entrant enfin dans la vallée écarlate. Et alors que je pensais le calme enfin présent, le bruit du bois grinçant s'approche de ma direction. Tournant la tête vers le bruit, c'est un chariot qui s'avance vers moi ? Un cheval tractant le véhicule, il n'y avait absolument rien qui montrait une certaine discrétion à cela.
Aurais-je besoin d'appeler déjà Tamao ? Je pose ma main gauche sur mon épaule droit, prête d'un geste rapide à pincer la queue du scorpion.
Le véhicule arrivant enfin à mon niveau, j'y aperçois un homme bander sur l'intégralité des parties de son corps qui aurait pu être visible sans cela. Un moyen de se protéger de la chaleur. Surement, même si je pense que cela ne fera qu'amplifier la transpiration de son corps. Mais c'est vrai qu'au moins, les coups de soleil vont mettre du temps à arriver à pénétrer le bandage.
"À la différence que si vous continuez avec votre cheval, vous quitterez ce désert bien plus vite que moi."
Rien ne montre une quelconque hostilité envers moi, il semblerait. Alors, plutôt que rester à marcher à côté de lui qui semble aller dans la même direction, je viendrais demander à me joindre à lui.
"Puis-je me joindre un peu à vous ? Si vous allez tout droit cependant."
Tandis qu'elle répondait, Jirō détailla un instant son interlocutrice, sortie de nul part. La couleur de ses yeux, et même de ses cheveux, se fondait parfaitement avec les tons pales et orange de ce désert. Seulement, l'ambiance bleutée qui s'installait peu à peu collait bien plus avec Jirō et sa peau mutilée, calcinée. Il ne bougeait pas d'un pouce, alors que la jeune femme s'invitait sur sa charrette. Il la fixa alors en silence pendant quelques longues secondes, pesant le pour et le contre. Mais à cette heure-ci, mieux valait évoluer à plusieurs en ces lieux. Ainsi, le jeune homme se décala vers la droite, laissant ainsi une place libre à ses côtés. En silence, il indiqua alors le vide à ses côtés en sortant une main de sous sa cape grise, recouverte d'agrafes, tenant serrée la peau encore saine du contrebandier à celle plus abimée. Tenant les rênes avec l'autre, il gardait son petit convoi à l'arrêt le temps que sa nouvelle passagère ne vienne s'installer. Une fois que cela fut fait, le cheval reprit sa route, à une allure tranquille. Derrière les bandelettes qui pendaient de son chapeau, Jirō balayait l'horizon du regard, à la recherche de potentielles menaces.
" Je vais continuer tout droit jusqu'à sortir de cette fournaise. " Déclara alors le balafré de sa douce voix avant de se reprendre. " Enfin, en l'occurence, il va bientôt falloir sortir les couvertures. "
En effet, les déserts sont bien connus pour être de véritables enfers sur terre en journée, et des chambres froides géantes une fois la nuit tombée. Mais, coutumier de ces terres, Jirō avait prévu le coup et transportait quelques couvertures à l'arrière, avec son matériel pour camper si besoin. Il ne comptait cependant pas vraiment s'arrêter au cours de la nuit, en dehors de quelques pauses de rigueur pour son cheval qui allait avoir besoin de manger et boire.
" Alors, quel sera le prochain arrêt ? " Demanda Jirō sans quitter le chemin des yeux. " Il ne me semble encore jamais avoir croisé quelqu'un par ici, à cette heure-là et surtout, avec si peu de compagnie. "
Le contrebandier tira alors quelques bouffées de sa pipe et souffle un nuage ocre. Ce dernier fut bloqué par les bandelettes et s'envola alors en passant à travers celle-ci de tous les côtés, offrant un effet assez étrange, comme si la tête du jeune homme s'était mise à fumer. De sa main libre, le Nukenin attrapa son Kiseru du bout des doigts et en tapota légèrement le bout, laissant alors s'envoler quelques petits morceaux de tabacs incandescents.
La réponse que je donne le plus souvent à tous ceux qui me demande bien pourquoi je me permettais actuellement de voyager toute seule. Ce désert est dangereux pour les inconnus et les non-initiés. Je ne dis pas le connaître parfaitement, mais je connais mon itinéraire et mes capacités pour supporter ce désert. Pas une quelconque technique, simplement, l'habitude. Bien que le début fut très compliqué, j'ai appris à réaliser ce trajet avec mon père et ma mère plus jeune. Une fois que j'ai commencé à vivre avec les bandits, j'ai dû apprendre moi-même à réalisé mon trajet, le premier sera d'ailleurs le plus compliqué.
Maintenant... Je ne serais même pas compté combien de fois, je passe par ici en une année... Une dizaine de fois peut-être ?
Je n'ai pas non plus l'habitude de croiser des voyageurs ici, surtout un voyageur à l'apparence si particulière. Quand il m'avait fait signe de sa main, on pouvait voir qu'il y avait quelque chose de peu normal, des agrafes ? Normalement, je ne reste pas non plus avec la personne à qui je parle, mais actuellement, il s'agit d'un petit temps de trajet. Peut-être qu'il est tout de même mieux de se parler l'un l'autre.
"Je vais voir mes dieux. Je vais prier pour les remercier régulièrement. Et vous, pourquoi ce trajet en passant par un lieu si risqué ?"
À moins que lui aussi connaisse Tamao, un autre individu? Ou alors il a simplement confiance en ces capacités. Je ne vois plus exactement ses mains maintenant que le trajet à repris, mais je repense encore à ces dernières. Peut-être que les bandages ne sont pas là pour se protéger des rayons de soleil... Ou plus précisément, la protéger d'autre chose qu'un simple bronzage. Je me demande comment est son apparence sous ces bandes blanche et un peu sale.
L'odeur du tabac change un peu l'atmosphère d'un désert qui commence à souhaiter une bonne nuit à son soleil. S'il vient à se coucher durant la nuit, j'irai sûrement poursuivre ma route seule, en marchant à nouveau au travers des lieux. En quelque sorte, la solitude du désert avait quelque chose d'agréable. Être accompagné n'est pas dérangeant, mais c'est différent. N'importe quelle action qui montrerait ma religion ou mon clan et un risque, je ne le sais que trop bien. Si cela se trouve, je peux tout à fait me trouver avec quelqu'un qui n'apprécie pas tout ça... Ou pire... Un Kaerichi.
Le trajet avance simplement, mais sûrement, je n'irais pas jusqu'à dire qu'une conversation palpitante se réalisait, mais nous avions échangé deux ou trois petites anecdotes de voyage. J'ai d'ailleurs finalement évité de parler plus que cela des dieux. Cela fait du bien de parfois avoir d'autres sujets de conversation !
Et malheureusement, quand le soir tomba, ce dernier opta pour l'option du repos. Je comprends, mais malheureusement, je n'ai pas un temps infini devant moi. Faire le trajet jusqu'au temple... Prier... Me remettre rapidement de mes blessures données en offrant ma souffrance et rentrer. C'est là mon voyage nécessaire.
Ainsi, je me sépare alors de cet homme qui se sera présenté comme Jirō. Le ciel électrique disparaît, les lampadaires du ciel s'illuminent un à un pour devenir une myriade d'étoiles.
Hum... Peut-être suis-je bien trop inconsciente pour continuer mon trajet dans ce désert si solitaire.
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