Un bled paumé dans les tréfonds de Kawa no Kuni, et puis quoi encore, me faire devenir vegan ? Les temps étaient durs pour moi. Le métier de Chasseur de Primes prenait du temps, beaucoup de temps même s’il ne s’agissait que d’une couverture, le but était de glaner au fil des contrats des informations diverses, de nouer lien avec des pions qui pouvaient lui servir à tout moment. Je n’étais pas ingrat, faut bien se le rentrer dans la tête et cette fois encore, j’acceptais de me déplacer au milieu de rien pour mettre un coup de pression à des prêcheurs de la bonne parole, de grands chemins. On pouvait dire ce qu’on veut, me trimballer en Charrette par un type qui avait accepté de tracter mon énorme cul en échange de la vie de sa fille que j’avais sauvé d’un panneau en Ville qui lui tombait dessus était pour le moins pratique. Qui irait chercher un criminel dans l’outil de déplacement le plus simple ? Personne, sans compter que les frontières de ce Pays étaient aussi ouvertes que les cuisses de la…. Non je m’égare ! Allez, pour me faire pardonner, je dois vous raconter, le panneau qui a failli tuer sa fille, c’est moi qui l’aie fait tomber, surprenant hein ? Hahahaha… quelle bande de ploucs ces paysans.

« Monsieur, Monsieur ! »

La joie des transports en commun vous savez, je profitais d’une bonne couverture, mais l’entendre geindre, geindre sans cesse pour rien commençait sérieusement à me casser les couilles, et on savait tous à ce moment que j’étais l’homme le plus patient du Monde, j’avais même survécu à Arashi ! Oh vous me direz, je n’ai pas le souvenir d’avoir été intoxiqué alimentairement, je dirais même que j’avais rarement aussi bien mangé, des troupes bien nourries pour des troupes plus productives, je ne me souvenais de rien mais qu’importe ! Ma montre accrochée à ma taille faisait toujours le même son qui savait vous détendre pendant les voyages : « tic… tac… tic…tac », rien de tel pour une détente en plein voyage où l’on pouvait admirer ces magnifiques reliefs, ces verdures, elles valaient beaucoup mieux que les endroits de merdes ou j’avais vécu pendant quasiment trente années de ma vie. Ah la petite ! Je lui adressais un sourire calme, presque naturel en lui répondant.

« Oui ma petite ? »

« C’est une montre que vous avez là ? »

Ah non, non, NON ! Mais qu’elle était con cette gosse, « tic…tac » elle croyait que c’était quoi ? le cadran était ouvert, elle le voyait bien que c’était une satanée montre ronde avec sa chaîne en argent pur attaché à ma taille, elle croyait que c’était ma b… ou quoi ? Le contrat n’était pas même à portée de vue que mon sang-froid était déjà mis à rude épreuve, je devais garder mon calme comme je le fais toujours mais vous connaissez bien le proverbe « A chacun sa kryptonite », voilà la mienne…

« Exactement, d’ailleurs nous ne devrions pas tarder à arriver à destination, tu vas pouvoir retrouver ta famille ! »

« Oh oui, je lui raconterais comment vous m’avez sauvé ! Dites moi que vous seriez d'accord pour partager le dîner avec ma famille Monsieur ! »

Bla bla, bla… Abrégeons pour le bien de ma santé mentale, à croire que j'avais une touche avec la petite, oh bordel. Fort heureusement l’endroit en question, la Brasserie des Rivières me tendait les bras, m’attendait pour m’extirper de cette activité de garderie stupide, tout ça pour une charrette… Bon, je pouvais admettre que ça avait été bien pratique pour voyager jusque là et je remerciais aimablement le père de la gamine dont j’avais déjà purgé le nom de ma matière grise, qui allait pour le coup me servir à tout autre chose.

La Brasserie était recluse dans un petit Village de campagne, au maximum une centaine d’habitants mais les rumeurs parlaient toutes de la même chose depuis son entrée dans ce Pays : La Reine de la Rivière. Terrible vie que celle de ses habitants, soumis au Taxes pour toute cargaison de bières, mais sauvés par une Association Locale qui les avait chassés, pauvres lucettes, et tout tournait autour de quelques blaireaux qui avaient autant de charisme que ma mère dans la rue, j’avais même pas compris ce que je venais de penser. Arrivé à bon Port, j’avais la chance de passer sous couverture en tant qu’invité d’une famille d’habitué du petit patelin, une chance ?

Le talent, pourquoi avais-je failli tuer la gamine sous les yeux de son géniteur pour la tirer de mon propre piège ? Exactement ! Pour ce moment béni ou mon apparence qui pouvait d’ordinaire me fermer des portes s’ouvraient absolument toutes. Une famille aimante, un père, une mère et la fille qui avait rendu l’infiltration dans le Village possible. Inconsciemment je sortais mes cigarettes pour m’en griller une, une fois dans la petite maison en bois et arrivé dans le jardin.

« Vous êtes victime du tabac vous aussi ? Laissez-moi me joindre à vous. »

Le Père qui avait servi de chauffeur pendant le trajet me demandait mon nom, essayant de briser la glace entre nous. J’adressais un sourire de courtoisie à ce brave Homme avant d’accepter son invitation, laissant le tabac s’infiltrer dans chaque parcelle de mes poumons, détendant instantanément mes nerfs tandis que je fermais les yeux un instant. J’expirais ensuite, relâchant par la bouche des anneaux de fumée, les vieilles habitudes qui perdurent que voulez-vous, dans tous les cas, il se passa trente minutes pendant lesquels il me demandait même mon nom, me donnant le sien, que je n’avais pas mémorisé, ahlala les informations inutiles, si nombreuses, et si chiantes.

« Kotaro », voilà un nom dont je me souvenais, vous voyez le petit pickpocket qui essaye d’arracher de leurs propriétaires les affaires qu’ils revendaient ensuite pour quelques pièces ? Par chance il en avait eu après moi et je lui avais collé une balle dans l’œil droit et y enfonçant mon index, pour être bien sûr d’entendre ses dernières paroles, ou plutôt ses pleurs de fillette. Tu pilles quelqu’un, t’assumes et tu la boucles. Très joli prénom cela dit pour un con de basse-cour.

Ah, voilà que la maitresse de maison sonnait l’appel au repas. Un repas à l’œil payé par ses pigeons du jour ? Gé-nial ! Un sourire aux lèvres qui n’était pas forcément bienveillant s’installait durablement sur mon visage alors que je partageais la table avec ces trois inconnus. Quelque chose me disait que cette joyeuse équipe de Lutins allait pouvoir m’aider et certainement m’éclairer sur ce qui se passe par ici et surtout, m’offrir une occasion de porter la vengeance de mes clients pour leur connerie. Oui, je n’étais ni pour les uns, ni pour les autres. Seconde confidence de l’histoire ?

J’étais à deux doigts de lui faire bouffer son dossier par le fondement tellement sa mission bière me sortait par les yeux. L’avantage c’est que c’était rémunéré, et j’allais pas passer à côté d’un petit bonus que je voulais bien volontiers. Heureusement le délicieux fumet se dégageant du ragoût que je mangeais à coup de cuillères et avec quelques belles bouchées de pain firent leur effet, j’étais rassasié et venait le temps de poser innocemment toutes mes questions : J’avais besoin de cartes pour jouer, et alors que je souriais à mes hôtes, ils ne se doutaient absolument pas de ce que ma présence allait créer.

La soirée passa très vite étrangement, quand j’avais le ventre plein, même la compagnie la plus banale me semblait suffisante pour passer un bon moment ? Il était ces rares moments où je profitais des moments simples comme un bon repas et un thé qui ma foi, était d’excellente qualité, j’en restais bluffé. Quelques questions par-ci par là et j’apprenais rapidement à quel genre de crapule j’avais affaire, il ne me fallut pas beaucoup de temps pour analyser la situation à partir de ces bribes d’informations distribuées par le Père de famille qui me voyait comme un sauveur béni de Dieu, bordel mais quelle connerie, m’enfin, tout allait prendre fin le lendemain soir lorsque j’avais échafaudé mon plan.

Pour ça il fallait que je m’infiltre dans la nuit, que je récupère sans qu’ils ne le remarquent l’ordre de transactions qu’ils devaient forcément tenir, aussi cons étaient-ils, ils avaient forcément quelque chose qui me ferait remonter jusqu’à un fournisseur régulier, assez pour que je m’en serve à mon propre profit. La question de la famille me sortit de mes pensées, tandis que je reprenais place à table, affichant mon plus beau sourire en répondant à la question de savoir si je m’étais rempli le bide : oui.

« Le ragout était délicieux, je n’ai plus mangé aussi bien depuis longtemps hahaha ! »

Il était hors de question cependant de me laisser aller ce soir, j’avais des choses à faire, mais j’avais encore besoin de ces gens-là pour le moment, je devais donc disparaître cette nuit et pas avant, chose qui concordait avec le timing que je voulais emprunter, donc aucun problème. Quelques heures s’enchainèrent sans trop de mal, j’avais même commencé à discuter avec mes hôtes de manière normale comme si rien ne se passait. Je retenais une chose néanmoins : les parents de cette petite étaient héros ou quelque chose comme ça dans l’âme puisqu’ils rêvaient de pouvoir arrêter tout ce trafic qui s’était installé de force au sein de leur paisible communauté, ils y étaient parvenus, mais voulaient en faire plus. Quelle connerie, se placer en avant de cette manière et exposer son jeu à tout va devant n’importe quel individu qui passait par là, s’ils avaient une once d’idée de ce que je m’apprêtais à leur faire, bof, au moins ils allaient pouvoir faire quelque chose cette fois.

L’heure d’aller se coucher était finalement arrivée beaucoup plus vite que je ne l’avais espéré, la mère de famille me guidait à travers les pièces et ordonnait un peu la pièce, laissant un lit fonctionnel, un bureau et une chaise en bois, rustique mais fonctionnels, je n’aurai certainement pas à m’en servir. Je ne perdais pas de temps avant de m’allonger après avoir salué respectueusement, dans les formes la femme qui refermait la porte de son intimité au moment où je laissais échapper malgré moi un rire plus brut, plus malsain, les premiers rayons de pleine Lune venaient éclairer à travers la fenêtre de cette chambre misérable le sourire et le regard perfide qui m’habitait.

Par une chance des plus radicales, la famille entière avait le sommeil profond, et c’est à deux heures du matin que je me volatilisais discrètement pour rejoindre en longeant les végétations sans me faire repérer la fameuse Brasserie. La lumière semblait encore ouverte, je pouvais presque entendre, en étant à trente mètres de la pièce derrière les murs que les rigolos avaient du bon temps, sacs à bières qu’ils étaient forcément, ils buvaient comme des Porcs sans race, jouant les nobles en plein jour pour vider leur propre stock en pleine nuit sous mon œil attentif et mon sourire intéressé. J’avais bien envie de les tuer tout de suite ces porcelets. Mais j’avais d’autres projets, et me rapprochait donc de la porte arrière de la boutique.

Comme je l’avais expliqué plus tôt, il existait certainement un moyen très simple de ne pas me salir les mains et attirer plus d’attention sur moi que je ne pouvais en avoir, il en allait de mon bien personnel, je restais un Homme très timide vous savez ? Une fenêtre à moitié ouverte, digne d’ivrognes, ce qui me permit d’entrer par effraction, sans d’effractions hein, je veux dire, comment je veux m’introduire chez les gens pour le travail mais que les fenêtres sont ouvertes j’appelle plus ça une maison mais un poulailler ! Le fameux poulailler ressemblait plus à une cave, des tonneaux étaient empilés dans l’arrière-boutique et ces mécréants avaient tout le matériel nécessaire pour créer le saint nectar qui était à la tendance en Automne dans ce coin du Monde : La Reine de la rivière.

Il était temps de mettre fin à ce capitalisme et ce partage équitable des richesses provoquées par cette Association à but alcoolique visiblement. Je commençais d’abord par sécuriser un des tonneaux marqués comme étant la bière que je recherchais, et par précaution, un simple doigt trempé dans le nectar que je goûtais du bout de la langue venait aussitôt ravir mon palais de consommateur occasionnel : je tenais l’une des raisons de ma venue. Grâce à une certaine discrétion et de l’intérieur, cela étant plus facile, j’ouvrais la porte en faisant attention à ne créer aucun courant d’air, en utilisant des serviettes humides pour littéralement bloquer les arrivées d’air de l’autre côté de la brasserie. Subtilement, je dérobais sous le nez et la barbe de ces justiciers aux abdos taillés à la bière leur précieux dans un premier temps, que j’allais cacher dans les bosquets assez denses seulement quelques mètres plus loin.

Pourquoi voler un tonneau me dites-vous ? Vous allez comprendre.

Dans tous les cas, il était important de réussir à m’échapper, maintenant que j’avais toutes les billes en main, c’est-à-dire une liste comprenant leurs livraisons régulières, l’itinéraire qu’ils empruntaient pour effectuer le ravitaillement en matières premières, tout était consigné sur ces documents dont je notais des extraits clés sur une feuille avant de la plier en quatre et la ranger dans l’une de mes poches. Restait donc la bande rivale à gérer, mais j’avais ma petite idée là-dessus, observant rapidement un flyer qui allait être distribué dès demain matin pour un événement notoire qui faisait la fierté de la brasserie : Une dégustation du breuvage avant son export pour remplir les caisses de la Brasserie comme chaque année. Je commençais par enfiler soigneusement des gants, un masque qu’utilisaient ces gus pour ne pas succomber aux arômes trop puissants lors de leurs mélanges savants et beaucoup de graines d'un dérivé de la ricine que je transportais toujours dans un sachet : un poison naturel très efficace une fois réduit en poudre.

La poudre prête après quelques minutes de préparation, j’en distribuais dans le tonneau ramené dans la cave et mis en évidence, et forcément préparé à l’avance pour l’événement qui devait ravir la communauté. Aucune trace de mon passage, j’en venais à essuyer chaque imperfection causée par les chaussures et je revenais sur chacun de mes pas en prenant soin de les effacer naturellement. Finalement, je revenais dormir dans mon lit comme l’Homme modèle qui avait sauvé une vie et était sous la protection d’une famille connue dans le coin.
Le lendemain se passa de manière normale, éloigné de tout soupçons, et le soupçon n’étant pas même encore présent sur les lèvres du Village, le Chasseur de Primes allait rendre cette dégustation mémorable pour tout ceux qui oseraient goûter ce breuvage faisant la promotion d’ivrognes meurtriers, qui avaient chassés la taxe pour la remplacer par la mort… Quelle tragédie, j’en baillais de tristesse en fumant allègrement, tandis que la journée battait son plein. L’heure du spectacle allait commencer.

Le grand moment était finalement arrivé ! A ma grande surprise, une bonne centaine de spectateurs et participants à cette dégustation avaient répondu présent à la fierté incarnée de leur petit Village : la Brasserie qui produisait depuis nombre d’années des produits d’une qualité renommée qui allait même jusqu’à créer du tourisme dans ce trou paumé. Pour ma part j’étais présent. On dit souvent que rester sur les lieux d’un crime était mauvais, mais j’étais suffisamment couvert et l’Association locale, les Brasseurs, allaient faire pour moi tout ce travail de dissuasion.

Je buvais donc une tasse de café gracieusement offerte par une Commerçante de ce trou paumé qui avait pris plaisir à me faire la discussion, et m’avait fait perdre au moins cinq ou six neurones dans le processus. Au loin pouvait-t-on apercevoir les tonneaux défiler le long de la grande rue qui accueillait les Brasseurs aussi fiers de leur produit d’Automne que moi du spectacle que j’allais voir, je laissais donc parler et aller cet événement.

« Mes amis ! Bienvenue à cette vingtième dégustation de notre produit phare : la Reine de la rivière ! Je tiens à remercier tout nos citoyens, qui sans leurs cultures incroyables, cette qualité n’aurait pu être atteinte, un grand merci à tous pour tout ! »

Les acclamations, les sifflements, la joie, la bonne humeur était présente, devant moi levaient les bras une centaine de personnes qui avaient comme intérêt commun la mise en place, la création de ce breuvage qui était la source même de leurs efforts conjoints, de leur économie, et je venais de mettre tout ça en miettes, en leur donnant la main à ce moment précis. Est-ce qu’ils allaient aimer les réactions des braves goûteurs ? Oh moi oui je vous rassure, je m’étais effacé et installé sur une rambarde en bois avec mon café et mon morceau de pain, rien de tel pour assister à un feu d’artifices de saveurs, des cris de douleurs et une incompréhension générale, des regards perdus, des vies sacrifiées dans le processus certes, mais une crédibilité pour l’Association locale, pour la bande rivale qui avait la mainmise sur cette exploitation. Comme je m’en étais douté, l’Association en question avait pris la parole, et pour le fait d’avoir chassé le groupe qui avait engagé mes services, allait mour… je veux dire goûter le saint breuvage avec une touche de peps de ma concoction qui j’espère allait leur plaire.

Le moment de vérité, des secondes qui en étaient devenues des minutes tandis que je jouais le jeu d’acclamer cette scène absurde et vide de sens, un sens allait rapidement prendre pied, tandis que la dizaine de membres avaient bus en même temps, tous s’exclamèrent ! En effet, le goût était subtilement différent mais tout aussi délicieux. Soudain, comme des Domino’s, chaque membre de l’Association s’effondra au sol, victimes d’une toxine qui se répandait bien plus vite que son cousin, sous mes yeux ébahis par le spectacle, ah, j’avais tellement de mal à contenir mon plus grand sourire, heureusement que la cigarette jouait énormément sur ma discrétion cette fois-ci. Quant à moi, vous vous souvenez des itinéraires que j’avais récupérés n’est-ce pas ?

Je profitais aussitôt du tumulte et du vent de panique provoqué par les habitants pour m’éclipser sagement, emportant avec moi un échantillon d’un bon Litre du saint breuvage. Una Association Locale hors d’état de nuire, des Villageois en état de choc, j’avais rempli la mission qui m’avait été donné : « Faire peur à ces brasseurs ! », j’avais tué toute leur protection et ils n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer l’instant maudit où l’autre bande de guignols m’avait engagé pour de la bière… sans déconner. La bouteille en gage de ma réussite et des nouvelles qui faisaient froid dans le dos, dix morts en une seule fois, et sans trace parce que bue par les victimes et distillées dans les corps, me voilà reparti sur les routes comme à son habitude, quelle plaie je vous jure.