Cela ne faisait pas très longtemps que la louve était arrivée sur les paysages verdoyants du pays du feu. Les forêts que l’on trouvait ici et là sur le territoire lui rappelaient le lieu de sa naissance. C’est quand ses pattes foulèrent à nouveau l’humus frais d’une forêt qu’elle se rendit compte qu’elle ressentait une certaine nostalgie concernant son pays qu’était Juurui no Kuni. Malgré tout ce qu’il s’y était passé, sa famille lui manquait. Elle vint à se demander ce qu’étaient devenus son frère et sa mère. Vivaient-ils toujours de la même manière, dans la tyrannie de l’homme qu’elle avait quitté ? Ou bien les soucis s’étaient-ils tassés pour laisser place à une existence plus tranquille ? Impossible de réellement le savoir. Elle aurait pu envoyer une lettre. Mais la peur d’être découverte était toujours bien présente. Elle savait bien mieux se défendre à l’heure d’aujourd’hui, pourtant. Elle craignait moins de se faire enrôler de nouveau par cet homme. Mais la peur qui lui tenait les entrailles était irraisonnée et elle ne parvenait pas à comprendre qu’elle soit toujours autant l’enfant d’autrefois devant le souvenir du visage de cet individu.

Pour une fois, Kimitsu ne se baladait pas sous sa forme canine. Elle l’avait été en pénétrant dans la forêt. Mais maintenant qu’elle embrassait la douceur de l’atmosphère forestier, elle avait préféré se remettre sur ses deux jambes et avancer tranquillement. Ses pas l’avaient éloigné du circuit normal et le chemin officiel était derrière elle depuis un bon moment quand une bâtisse aux couleurs chatoyantes se dessina bientôt à travers les nombreuses nuances de verts des feuillages. Toujours dans la volonté de rester discrète, elle s’approcha de ce qui se révéla être un temple. Ses prunelles d’or se posèrent sur la beauté simple de l’architecture du lieu. Elle stoppa sa marche près d’une statue d’un animal au museau fin et au regard malin : un renard. Bien sûr, la louve ne connaissait pas toute la légende qui se raccrochait à cet endroit mais cela ne l’empêcha guère d’apprécier regarder les colonnes du temple au renard.

Quelques heures s’écoulèrent avant qu’elle ne prenne la direction du Nord. Toujours sous sa forme humaine, un sac à dos sur ses épaules et une cape sombre recouvrant sa silhouette, elle progressait dans le pays du feu. À mesure qu’elle avançait, elle commençait à regretter de ne pas avoir profité de la quiétude du temple pour s’y être reposée quelques temps. Un petit somme aurait fait le plus grand bien. Elle laissa échapper un bâillement et étira ses bras au-dessus de sa tête quand une voix forte résonna dans une clairière environnante.

« — …Tant que tu y es, retire ta veste, on devrait pouvoir se faire pas mal de pactoles en la revendant, Ahaha ! »

Animée de curiosité, la jeune femme s’avança à l’ombre d’un conifère pour observer de plus près ce qu’il se tramait. Quatre hommes en entouraient un autre. Probablement des bandits vu leur allure. L’homme, lui, ne semblait pas le moins du monde agité par cette menace. Ou alors il ne le montrait pas pour ne que les hommes ne s’amusent avec lui. Kimitsu aurait pu passer son chemin et se dire qu’elle avait bien mieux à faire. Mais ce n’était pas dans son caractère de laisser faire ce genre d’incivilités. Autant se débarrasser tout de suite de bandits et éviter qu’ils ne continuent leurs méfaits ailleurs. Effectuant des mudras, elle fit apparaitre un canidé à la fourrure sombre à ses côtés et le laissa en arrière quand elle s’avança.

« — Bonjour messieurs. » Les salua-t-elle en s’extirpant de l’ombre. Elle adressa un regard à l’homme qui avait été allégé de sa bourse, puis aux quatre autres qui la regardaient avec des yeux de merlans fris. « Un souci ? » Demanda-t-elle en se tournant vers le solitaire.

L’un des bandits, celui qu’elle avait entendu quelques minutes plus tôt, se tourna vers elle. Visiblement agacé, il devait commencer à se dire que deux contre quatre était moins bien que quatre contre un. Mais il gardait la supériorité numérique et cela lui permettait de conserver une certaine autorité.

« — Qu’est-ce que t’as toi ? » L’invectiva-t-elle. « C’est génial ça ! Même plus besoin d’aller les chercher, ils viennent directement à nous ! » Fit-il à l’intention de ses compères qui éclatèrent d’un rire gras. « Bon ben j’espère que t’as plus de ryos que lui parce que tu vas payer sa part. » La menaça-t-il.

La jeune femme haussa ses épaules et s’approcha de deux pas vers celui qui venait de lui adresser la parole. Elle ne montrait aucune crainte face à l’énergumène, elle restait tout de même méfiante. Il n’était pas question de sous-estimer un adversaire.

« — Je suis désolée mais ça s’arrête là. C’est votre dernier vol. » La femme laissa échapper un léger grondement et découvrit des petites canines d’entre ses lèvres.

Elle ne bougea pas cependant, mais dans le buisson non loin d’elle, la figure imposante d’un canidé apparut. En un instant, il était sur l’un des quatre hommes. Grondant et mordant la proie choisit tandis que celle-ci gesticulait et criait de le faire partir, essayant de tailler la bête à coups de kunaï. Sans y parvenir.

« — ENLEVEZ-MOI ÇA ! » Gémissait-il.

Et à chaque tentative, il essuyait une nouvelle morsure. Rien de mortel mais la douleur ressentie ne devait pas être très agréable.

« — À moins que vous ne promettiez de ne plus voler ? » Demanda-t-elle avec un vain espoir.

Même si le loup aimait acculer sa proie avant la mise à mort, il ne semblait pas avoir dans l’idée d’arriver à cette dernière. Celui-ci n’avait rien d’un tueur sanguinaire. Enlever la vie à quelqu’un ne devait se faire qu’en cas de dernière nécessité, quand sa propre vie, ou celle de proches, se retrouvaient directement menacées. Ces bandits n’étaient pas une menace pour la jeune femme qui en avait battu des biens plus coriaces que ceux-là. Ils ne représentaient rien de plus que des moucherons qui viendraient bourdonner dans ses oreilles. Ils étaient agaçants mais pas menaçants.  

Le canidé continuait de planter ses crocs dans l’épiderme de l’homme qui gesticulait en vociférant de la pitié aux spectateurs. L’animal n’en avait cure, seul son grondement rauque répondait aux cris de sa proie, comme pour lui intimer l’ordre de cesser le moindre mouvement s’il ne voulait pas y passer. Mais il avait probablement des difficultés à comprendre ce langage, car la terreur qu’il ressentait, au lieu de le figer sur place, le poussait à essayer de se dépêtrer de la bête.
 
« Putaain, mais faites quelque chose !! » Essayait-il d’implorer ses collègues.

Ces derniers, jetant un ultime regard à l’individu à terre, ne réfléchirent pas davantage avant de prendre les jambes à leur cou en sacrifiant le pauvre à l’animal qui le tenait fermement sous ses griffes. Il tenta de les faire rester en continuant de gémir des prières alors qu’ils s’éloignaient en galopant sans demander leur reste. La jeune femme glissa un regard dans la direction dans laquelle les trois lâches s’étaient enfuis, laissa échapper un léger grognement de mécontentement. Le loup qui se tenait sur le quatrième releva finalement la tête et dressa ses oreilles, ses babines étaient tachées de sang.

« Arrêtez, s’il vous plaît ! Je promets de ne plus détrousser personnes, mais par pitié dégagez cette bestiole de moi ! » Implorait-il à nouveau, envers elle cette fois-ci.

« — Ça suffit. » Répondit-elle en acquiesçant.

À ses mots, l’animal bondit hors d’atteinte de l’homme et s’élança à toute vitesse dans la direction qu’avait pris les autres. Tant qu’à faire, autant laisser une ou deux morsures dans leurs arrière-trains de lâche.

« — J’espère ne pas vous revoir sur les routes. » Fit-elle à l’attention de l’homme.

Celui-ci se relevait tant bien que mal, le visage mi-effaré, mi-soulagé, tandis que son corps était moucheté de perles vermeilles à travers ses vêtements en lambeaux. Il ne mit pas bien longtemps à retrouver la station debout pour détaler à son tour, mais pas en direction des autres. Probablement trop terrifié à l’idée de croiser à nouveau les canines de son clone.

« Je crois qu’il a bien compris la leçon. Je n’aurais jamais cru que des brigands s’aventureraient aussi proche du temple. Je vous remercie pour votre intervention. »

Ce n’est que quand il s’adressa à elle que la jeune femme se rendit compte qu’il s’était rapproché d’elle et qu’il se tenait désormais à ses côtés. Celle-ci lui décocha un sourire fin avant de pivoter sa tête dans sa direction pour diriger ses prunelles dorées dans celles de son interlocuteur. Elle haussa légèrement les épaules.

« — Il n’y a pas de quoi. Je ne supporte pas ce genre d’incivilités. J’espère bien qu’il aura retenu la leçon. Auquel cas, je n’aurai aucun scrupule à la lui rappeler. » Elle afficha un sourire un peu plus franc, malin.

Au loin, on entendit quelques cris. Le prédateur avait dû remettre la patte sur ses proies. Une fois qu’il aurait bien pris soin que la leçon soit retenue par ceux-là également, il s’évanouirait dans la forêt.

« Moi c’est Raesthra, archéologue originaire de Yuki. Et vous, jeune demoiselle, vous êtes du coin ? Si vous allez au temple, on peut peut-être faire le reste du chemin ensemble ? » Se présenta-t-il. Il avait l’air sympathique et naturel.

La jeune femme acquiesça, lui renvoya un sourire un peu plus naturel. Il n’avait pas l’air bien menaçant. Cela eut donc pour conséquence de l’aider à se détendre face à cet inconnu, qui portait désormais un nom.

« — Enchantée, Raesthra. Je suis Kimitsu. » Se présenta-t-elle à son tour. Elle agita un peu la tête en signe de dénégation. « Non, je ne suis pas du coin. Mais les lieux me rappellent beaucoup mon pays natal. » Expliqua-t-elle sans pour autant rentrer dans les détails.

Comme toujours, la méfiance et le doute restaient de mise. Elle ne savait pas qui il était vraiment même si elle lui avait apportée son aide. Elle savait ô combien il pouvait être facile de prétendre la faiblesse. Elle sembla ne pas le montrer pour autant, conservant une attitude assez neutre avec ce dénommé Raesthra.

« — Nous pouvons faire la route ensemble, oui. » Il est vrai qu’elle en venait juste, mais puisqu’elle n’avait rien de particulier de prévu, elle n’avait pas de raison de refuser l’invitation. « C’est la première fois que vous y allez ? » Elle sembla réfléchir un instant, puis sa curiosité la conduisit vers un autre terrain. « Comment c’est Yuki no Kuni ? » Le questionna-elle avant d’ajouter. « Je connais peu les différents pays, d’où ma curiosité… » Se sentit-elle obligée de préciser pour ne pas paraitre malpolie.