Cela faisait des lustres que Keiko n'avait pas fait de mission en solo. Au moins une bonne semaine ! Pour la militaire de carrière qui souhaitait ardemment monter en grade, c'était une éternité. Il en allait surtout de sa santé mentale. Cette dernière était déclinante depuis sa promotion au rang de Genin et la sortie de l'Académie. La jeune femme s'estimait bien trop douée pour effectuer les plus ingrates des tâches. Honnêtement, retrouver des clébards égarés c'était pas la panacée. Heureusement qu'on lui faisait un peu plus confiance depuis quelques temps, lui octroyant même des missions d'un rang supérieur lorsqu'elle était accompagnée d'un partenaire de rang équivalent ou supérieur. Néanmoins lorsqu'elle était en solo c'était le retour aux sources. Mais bon, il fallait bien faire ses preuves. Et plus vite elle s'acquitterait de toutes ces tâches subalternes, plus vite elle pourrait passer aux choses sérieuses.

En attendant, Keiko s'occuperait des problèmes quotidiens des civils.

La journée était clémente à défaut d'être chaude. L'été était déjà derrière elle et la température avait déjà bien chuté. Cependant, rien qu'un uniforme à manches longues et une couche de vêtements supplémentaires ne pouvaient gérer. La Genin découvrit au petit matin le contenu de sa mission du jour. Le Chûnin de garde au Palais lui tendit le parchemin et elle s'en empara déjà défaitiste. Si elle était déçue, elle n'en montra rien. Comme à son habitude. Elle salua l'officier et quitta le Palais en direction des quartiers résidentiels. Sa mission du jour la menait chez une certaine madame Hokoto. Une vielle femme membre d'une association de personnes âgées qui avait visiblement besoin d'aide. Cela avait tout d'une mission classique de rang D. Sur le trajet, Keiko se demanda si la vieille Fubuki serait concernée par ce genre de mission un jour. Pauvres futurs Génins !

Cela ne suffisait pas à rendre cette journée meilleure mais ça lui arracha un sourire et un léger gloussement interne. C'était déjà ça.

Les quartiers résidentiels étaient situés sur les plateformes commerciales et littéralement en plein cœur du district du même nom. Keiko s'imaginait que c'était dans un but pratique. Les habitants n'avaient que très peu de trajet pour faire leurs courses. Les rues étaient animées en ce début de matinée. Cela lui rappela des souvenirs de sa dernière mission dans le coin. Une mission d'espionnage qui avait pour but de mettre en lumière les agissements de malfrats lorsque la nuit tombait. Cela faisait près de deux semaines et à son grand regret, le district n'avait guère changé. Et pourtant elle avait balancer un tas de noms dans un rapport accablant. Et pas des moindres ! Notamment celui du marchand le plus influent et de son kumojin allié qui le couvrait ! Les autorités du village avaient peut être d'autres chats à fouetter et des missions plus importantes à gérer. Tant que les ryos rentraient, les affaires de corruption ne devaient pas être une grande priorité.

Peut être qu'on lui attribuerait cette mission un jour ? Qui sait ?

Keiko profita du trajet pour réfléchir à un tas de choses mais il était temps de passer au vif du sujet. Elle arriva éventuellement à l'adresse indiquée et fut complètement surprise. Elle se trouvait devant une gigantesque bâtisse s'apparentant plus à la demeure d'un dignitaire haut placé qu'à celle d'une petite vielle incapable de s'occuper de ses affaires courantes ! Le manoir était cependant dans un piteux état. A commencer par l'immense portail qui peinait à rester debout, soutenu par un mécanisme de fortune. La Genin osa à peine le pousser de peur que ce dernier lui retombe dessus ! Elle parvint néanmoins à se glisser avec facilité grâce à son agilité naturelle et à son physique de gamine... Elle distingua une vieille femme d'un certain standing au sommet de la dizaine de marches qui menait à la double porte d'entrée. Les mains derrière le dos, cette dernière souffla du nez.

"Vous êtes en retard."

La mégère pesta ouvertement d'un ton supérieur avant de se retourner et de pénétrer dans la villa. Keiko leva les yeux au ciel et la suivit à l'intérieur. Ca commençait bien.

Si le manoir était délabré à l'extérieur, une fois à l'intérieur c'était la catastrophe ! A peine eut-elle mis un pied dans la bâtisse qu'une odeur pestilentielle lui assaillit les narines. Ah cette odeur ! Un mélange d'ammoniac que la jeune femme connaissait bien. Ca sentait carrément la pisse ! Et ça sentait fort ! Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre d'où venait cette odeur. Une nuée de chats émergèrent des pièces adjacentes pour venir dire bonjour. Sans compter l'autre vingtaine qui gisaient nonchalamment sur le mobilier, pas vraiment intéressés. Si l'enfer sur terre existait, on en était pas loin. Keiko ne détestait pas les bêtes mais là c'était carrément trop. Ca piquait les yeux et pourtant cela ne semblait pas déranger la vieille femme qui prit un animal dans les bras tout sourire.

"Suivez-moi."

Madame Hokoto lança à la Genin avant de se diriger vers l'immense escalier de pierre en semi-colimaçon. La jeune femme s'exécuta, se demandant ce que cette dernière lui voulait. Après tout, elle était là pour l'aider dans ses tâches quotidiennes. Keiko avait plus penser à du jardin ou encore de l'aide pour faire les courses. La maison était richement décorée. D'immenses tapisseries habillaient les murs avec énormément de goût. Du moins pour les yeux novices de la militaire qui ne comprenait presque rien à l'art. Si le rez-de-chaussée était caractérisé par une odeur fétide, l'étage s'avéra pire encore. en plus de l'odeur régnait en maître un bazar de tous les diables ! Il y avait des choses partout ! Des tas d'immondices qui s'empilaient presque jusqu'au plafond qui était pourtant à plus de trois mètres ! La vieille se racla la gorge et mit ses mains dans le dos.

"Votre travail est de faire un brin de ménage. Si par malheur vous cassez ou jetez quelque chose de valeur, vous entendrez parler du pays ! Revenez me voir lorsque vous aurez terminé."

Keiko resta bouche-bée alors que madame Hokoto prit congé et redescendit retrouver ses bébés. Incroyable ! Pas de jardin, ni de courses mais il lui fallait faire le ménage ? Ici ? Plus elle regardait autour d'elle, plus elle se rendait compte que c'était une tâche presque insurmontable ! Ca s'apparentait à un défi proposé par les dieux ! Pourquoi ce genre de choses n'arrivaient qu'à elle ? La mine basse, la Genin fit le tour du propriétaire. Toutes les pièces étaient encombrées. Un enfer. Il était huit heures du matin lorsqu'elle débuta sa tâche. Elle peinait même à élaborer une sorte de plan. Par où commencer ? elle n'avait jamais eu l'occasion de faire le ménage dans ce genre de conditions. C'était à s'arracher les cheveux mais elle décida éventuellement d'évaluer la situation en qualité de militaire et de hiérarchiser les tâches à accomplir.

On ne se refait pas.

Avant de tout nettoyer avec des produits ménagers que Keiko trouva dans un cagibi dans le couloir, il fallait désencombrer les les lieux. Elle hésita à tout jeter par la fenêtre avant de se raviser et de tout entasser dans ce qui s'apparentait à un boudoir. Etonnemment propre pour le coup. A tel point que la Genin pensa même à rester sur le petit lit et laisser défiler les heures sans rien faire. Au pire elle aurait un blâme qui ferait assurément tâche dans son dossier. Mais il y avait des limites à la torture... Elle décida éventuellement de commencer par les chambres. Ouvrir les fenêtres, débarrasser les immondices et ranger ce qui parait sauvable dans les armoires, enlever les draps, faire la poussière sur les meubles et les rideaux, passer le balai, changer les draps. Next. Trois fois ! Ensuite elle passa aux salles d'eau et conclut par le bureau et le fameux boudoir en meilleur état.

Keiko décida de faire une pause. Le soleil était déjà à son zénith...

Il était midi lorsque Keiko descendit au rez-de-chaussée, le dos courbé comme si elle portait le monde sur les épaules. Etrangement, l'odeur de tous ces chats ne la dérangeait plus. Par contre la vieille Hokoto l'attendait en bas des marches les bras croisés, prête à lui sauter dessus telle un félin et sans doute à cracher une nouvelle fois sa bile. La Genin avait un mal de crâne de tous les diables. Du genre de ceux qui l'ont poussé à intégrer Kumo. Tous les sons commençaient à être exacerbés et elle risquait la surcharge à tout moment.

"Vous avez déjà terminé ?"
"Non. J'ai fais le gros du travail. Mais j'ai..."
"Je ne veux pas entendre d'excuses ou des justifications."

La moutarde commençait sérieusement à monter au nez de Keiko alors que le vieille monta les marches pour vérifier le travail. Elle avait tout de même passé une dizaine d'années dans l'armée régulière de Kaminari. Elle en avait connu des ordures mais aucunes ou presque ne l'avait trigger à ce point. Elle avait mieux à faire bon sang ! Des traîtres à chasser ! Des informations à glaner, du boulot de ninja à effectuer ! Elle n'était pas à Kumo pour faire de la gériatrie ! Et certainement pas pour s'occuper des bêtes ! Car elle voyait ça venir à des kilomètres. Le jeune femme n'était pas une sensorielle pour rien ! Quelle ironie. C'en était presque poétique. Elle espérait toutefois que son travail à l'étage suffirait à apaiser la vieille et au pire lui permettrait de terminer sa journée sans approcher ce foutoir félin...

"Hmpf. C'est... Passable. Mais il vous reste encore pas mal de travail ! Allez, chop chop !"

Madame Hokoto claqua des mains pour faire réagir une Keiko certes loin d'être souriante mais désirant ne rien montrer sur son visage. Il en allait de la réussite de sa mission après tout. Ok elle était déjà cassée mais cette journée de l'enfer n'était qu'une infime passade, un mauvais moment à passer. Et puis fondamentalement, ranger la baraque d'une vieille c'était sur le papier d'une facilité déconcertante. Elle sourit et monta les marches de l'escalier afin de terminer au plus vite. Elle mangerait plus tard. Dans tous les cas elle plaignait le prochain Genin qui prendrait cette fichue mission. En espérant toutefois qu'elle fasse un assez bon boulot pour que la vieille refasse appel aux kumojins... La jeune femme soupira en se retrouvant à nouveau nez-à-nez avec le tas d'immondices extrait des différentes pièces de l'étage.

Y'avait plus qu'à.

Keiko prit une grande inspiration et décida de classifier le tas en plusieurs piles plus petites selon un ordre de valeur. Grosso modo, elle mit les poubelles d'un côté, les objets du quotidien dans un deuxième tas, les objets de valeur matériel dans un autre et enfin ce qui s'apparente à des objets personnels dans un dernier. L'exercice n'avait rien de facile. Y'avait qu'à voir la taille de ce tas d'immondices ! De plus, la Genin en aurait eu pour deux jours si elle ne possédait pas une vision dynamique supérieure à la moyenne, résultante d'années d'entraînement au beau milieu de la forêt. Le seul problème était ce foutu mal de tête qui lui vrillait littéralement les tympans. Si elle prit sur elle-même pendant deux bonnes heures, la fatigue physique et mentale devint rapidement trop forte et elle fut assaillie par une surcharge d'informations sensorielles. Elle s'écroula de tout son long et tout devint noir. Elle entendit vaguement quelques pas dans les escaliers avant de perdre connaissance.

"Tss. Maintenant je comprends pourquoi le vieux Hongaken m'a dit que cette petite lui était cher. Elle tient plus de sa mère que je ne l'aurais crû."

Keiko émergea de son coma sur un lit confortable. Elle sursauta avant de reconnaitre presque immédiatement une des chambres qu'elle venait de nettoyer. Elle poussa un soupir de soulagement. Au moins elle ne s'était pas endormie au beau milieu des poubelles... La jeune femme jeta un coup d'œil dehors et réalisa que la journée était bien avancée. Il ne devait rester qu'une heure ou deux pour terminer le travail. Au moins son mal de crâne était parti. Elle se consola en se levant difficilement, son corps lui demandant presque grâce. Elle n'eut pas le temps d'arriver à la porte que la vieille Hokoto pénétra dans la chambre, un chat noir bien dodu dans les bras. Cette dernière avait l'air contrariée. Cela ne changeait guère de d'habitude mais son regard lui parut légèrement plus doux. La Genin ne saurait pas l'expliquer. La vieille ne manqua évidemment pas l'occasion de l'épingler.

"Vous vous êtes surestimée ma petite. Que cela ne se reproduise plus. Allez, au travail, la journée n'est pas terminée."

Keiko ne discuta pas. Elle remercia même son hôte avant de se remettre à trier toute cette pagaille. Elle se demanda toutefois comment la vieille avait pu la coucher sur le lit. Peut être avait-elle demandé de l'aide à un voisin ou à de la famille ? Ca lui parut très étrange. D'autant plus que si cette femme avait de la famille, qu'est-ce qui la retenait de leur demander de faire son ménage ! La disparition de son mal de tête et son repos forcé lui firent le plus grand bien. Elle put enfin se concentrer et se donner à fond pour finir ses tâches avant le coucher du soleil. Tout va plus vite lorsque vous êtes en bonne condition. La jeune femme reprit ainsi son inventaire avec entrain, triant tout le bazar dans plusieurs piles. Elle laisserait évidemment à Madame Hokoto le soin de faire un tri plus minutieux par la suite. D'ailleurs la jeune femme était tout bonnement incapable de faire la différence entre ce qui avait beaucoup de valeur et ce qui était hors de prix. Au moins ce qui puait la mort et/ou était en lambeaux finirait à la poubelle.

Ca c'était dans ses cordes.

Après deux bonnes heures de tri et de nombreux aller-retours dehors pour sortir les poubelles qui s'amoncelaient dans la rue, Keiko en avait enfin terminé. Dégoulinante de sueur et les traits tirés, elle jubila intérieurement avant de s'étirer à la manière d'un félin. Alors qu'elle mettait un point d'honneur à ranger les effets personnels de la vieille dans des boites prévues à cet effet, elle jeta son dévolu sur ce qui s'apparentait à une vieille photo. On y voyait trois jeunes gens et la fillette de gauche lui ressemblait étrangement. Après une inspection plus minutieuse, elle ressemblait carrément plus à sa propre mère. Elle décida d'en faire part à son hôte.

"Madame. J'ai trouvé une photo et on dirait ma mère."

Keiko avoua innocemment. Madame Hokoto s'empara de la dite photo, clairement vieillie par le passage du temps. Elle se permit un sourire énigmatique avant de la tendre à la jeune femme.

"Ahh j'avais complètement oublié cette photo. Vous avez une très bonne vue. Pourquoi ne la garderiez vous pas ? Montrez là à votre mère et vous aurez les réponses à vos questions. Maintenant filez jeune fille, votre travail est terminé."

Keiko ne fit pas de vieux os. Certes elle voulait en savoir plus sur cette mystérieuse photo qui semblait dater d'un siècle, mais elle était exténuée et il serait largement temps par la suite d'en apprendre d'avantage auprès de sa mère. Et puis ça faisait des lustres qu'elle n'avait pas mit les pieds dans la capitale. Ca serait l'occasion. Elle salua Madame Hokoto avant de rentrer à la maison. Elle irait pointer au Bureau des missions aux premières lueurs du jour. En attendant, il était temps de prendre un peu de repos. La journée fut des plus éreintantes...