L’examen avait été dur, mais il a été également un déclic pour la jeune fille. Voilà que certains de ses gouts changent, et un désir de mêler à la fois discrétion et une touche de féminité la démange. Ou plutôt, elle souhaite changer drastiquement son apparence pour ne plus ressembler de près, ou de loin, à sa sœur jumelle disparue. Certes, elles étaient fausses jumelles mais suite à son réveil post-opératoire, Chiyoko jugeait d’un œil nouveau ce reflet dans le miroir.

La même chevelure mi-longue, la teinture châtain clair qui dissimulait difficilement ses reflets blonds, ces mêmes robes qu’elle avait piqué de la garde-robe de la disparue, ces accessoires inutiles et bien trop clinquants pour une demoiselle qui aimait la discrétion, la chasse et la simplicité … Elle n’avait pas souvenir qu’elle portait tout ceci, avant la disparition de son père et de sa sœur, ni à quel moment elle les avait mis dans ses bagages. Elle fouille dans sa mémoire, et à nouveau, elle butte à des zones vides : elle ne se souvient plus de son départ dans les détails voulus – le trajet emprunté, les objets pris.

Paniquée, elle avait farfouillé son maigre studio de fond en comble, se surprenant à découvrir des objets qui ne lui appartenaient pas – mais qui appartenaient à sa sœur ou à son père. Le plus étonnant était la présence d’objets hétéroclites dont elle ne voyait nulle utilité et dont elle n’avait pas souvenir de son achat. Son malaise grandissait, évidemment, au fur et à mesure de ses découvertes.  Agacée, elle se décide à s’en débarrasser.

La semaine se passe à essayer de revendre autant que possible tous les bibelots, accessoires ou vêtements qui ne lui convenaient plus, tantôt aux voisins, tantôt aux genins, tantôt à des membres de son clan. Le reliquat était destiné à bruler. Ayant amassé un petit pécule, et le combinant à la maigre récompense reçue pour sa participation à l’examen – et sa réussite de la première épreuve -, elle se décide à faire des achats utiles et surtout propres à elle.

Ses tenues étaient dans les tons les plus doux et les plus naturels possibles : beige, noir, marron, vert ... Elles épousaient toutes - quasiment, du moins - les formes de son corps. Il n'était pas question de plaire mais d'être à son aise. En effet, lorsque l'on désirait être discrète, il est difficile de l'être avec un gros baggy qui dépasse et que nous ne pouvons pas contrôler. Enfin, petit bonus, elle avait également réussi à mettre la main sur quelques masques. Sa mission dans la foret, durant l'examen, lui avait prouvé qu'il ne faisait jamais de mal d'avoir de quoi cacher sa figure !

Elle avait également opté pour une nouvelle coiffure qui mettait en avant praticité et simplicité : une coupe très courte, la débarrassant définitivement de sa teinture châtain ratée et ramenant sa crinière blonde au grand jour. Lorsqu’elle s’observe à nouveau dans le miroir, la satisfaction et l’apaisement la gagnent : elle a comme le sentiment de contrôler enfin un aspect de son existence.

Du moins, jusqu’à ce qu’une petite voix vienne lui susurrer une phrase : « ce n’est pas très féminin. Je n’aime pas ». Sauf que la voix prenait vie avec sa bouche, comme si le temps d’un instant, elle n’était que la spectatrice d’un étrange acte. Chiyoko était heureuse et pourtant, elle ne l’était pas aussi en même temps. Agacée, elle finit par mettre une couverture sur tous les miroirs de son petit studio. Pourquoi ? Elle ne le saurait dire : elle « savait » juste que c’était la bonne chose à faire.