Kimitsu n’est probablement rien pour le reste du monde. Le clan Hetai étant connu pour son incapacité à se mettre d’accord, aveuglé par l’ambition et le pouvoir, on la percevra souvent faussement comme telle. C’est bien pourtant par manque d’ambition que la jeune femme s’extirpa du climat perverti de son groupe pour entamer une existence solitaire. Devant les inconnus, elle ne se présente que très rarement avec son patronyme, se contentant de son prénom pour ne pas laisser libre court aux interprétations trop rapides de ses interlocuteurs.
Au sein de son clan Hetai, Kimitsu n’aura connu qu’une petite partie de ce dernier. Elle vécut dans un petit groupe comme ils en existent tant. Dans ce dernier, elle était plutôt reconnue comme une shinobi talentueuse, sachant manier ses jutsus, excellant dans l’art de l’espionnage et du pistage.
Aujourd’hui, elle n’est plus qu’une louve solitaire portant sur son dos le poids de son passé.
Les prunelles dorées animales étaient figées dans la silhouette qui se débattait en contre bas. Aucun mouvement de la part de l’observatrice. En bas, trois hommes entouraient un quatrième murmuraient parfois, crachaient aussi, tandis que les coups s’abattaient sur leur pauvre victime. L’homme au milieu de tout cela s’agitait, grognait, gémissait, mais il ne cherchait pas à fuir. Au contraire, son corps se recroquevillait de plus en plus à mesure qu’il souffrait, la respiration sifflante et saccadée. Il semblait accepter son châtiment. Probablement que s’ils continuaient à le frapper de la sorte, l’homme allait succomber à ses blessures. La silhouette juchée en haut de son arbre ne bronchait toujours pas, et elle ne le ferait pas. Cet homme qui se faisait lyncher, elle ne le connaissait pas. L’homme qui le menaçait de toute sa hauteur en commandant les deux autres, elle le connaissait très bien. Il représentait la seule personne dont elle avait réellement peur. Un seul coup d’œil dans le regard émeraude de cet homme et elle retombait dans sa peau d’enfant tremblante de terreur. Son nom, Gin Hetai, qu’elle considérait plus ou moins comme son cousin bien qu’elle n’ait jamais été sûre de leur lien de parenté. La jeune femme l’avait toujours connu et elle avait appris à le craindre puis finalement à le haïr.
« - Ça suffit » Dit-il finalement en tournant lentement la tête vers le lieu d’où se tenait la jeune femme. Il ne souriait pas, une lueur bestiale s’échappait de ses yeux alors qu’ils les braquaient sur la silhouette en embuscade.
Il savait qu’elle était là.
Kimitsu sentit toute la pilosité de son corps se dresser sur sa peau glacée alors que son sang se figeait de concert sous son épiderme. Elle était découverte. Il allait venir la chercher et la battre à son tour pour lui apprendre à ne pas fourrer son nez dans ses affaires. Ses sens étaient très aiguisés, elle le savait déjà, mais voilà qu’il lui montrait à nouveau qu’elle ne pouvait pas lui échapper. Gin n’était pas le chef du groupe mais il se plaisait à agir comme tel. Beaucoup le craignait comme s’il l’était. Cette nuit-là pourtant, il ne fit rien. Son regard quitta la cachette de la jeune femme sans qu’il n’émette aucun mouvement. Il se tourna vers ses acolytes et haussa les épaules, échappant un grognement.
« - Il a compris la leçon. Laissez-le là. » Fit-il d’une voix rauque.
« J’ai autre chose à faire. » Ajouta-t-il en adressant un signe à ses hommes, les laissant se disperser et laisser le quatrième homme agoniser sur le sol froid de la forêt.
Kimitsu su à ce moment-ci qu’il viendrait pour elle. À peine eut il fini sa phrase qu’elle décollait du haut de son conifère pour prendre ses jambes à son cou. Elle allait particulièrement vite dans cette forêt qu’elle connaissait par cœur, mais l’homme la connaissait encore mieux et, bien qu’il soit un peu plus âgé qu’elle, son agilité était au-dessus. Alors qu’elle sautait de branche en branche, tentant d’aller toujours plus vite, le poids du regard de son poursuivant semblait lui transpercer le dos. Elle ne lui échapperait pas.
En un instant, il s’abattit sur elle tel un aigle royal s’abattant sur un petit mammifère pour en faire son repas.
La jeune femme manqua la branche suivante et s’écroula de tout son poids dans les branches et bientôt sur le sol jonché d’humus de la forêt. Elle laissa échapper un bref gémissement de douleur en touchant le sol, lui coupant la respiration l’espace d’un instant avant qu’elle ne se redresse tout aussi rapidement. L’homme était déjà là et vint s’abattre sur sa proie, lui attrapant le col et la tenant contre l’arbre le plus proche. Son regard semblait réellement la transpercer à ce moment-ci. Kimitsu avala sa salive et tenta de ne pas se montrer trop impressionnée, mais ses jambes tremblaient et ses mains s’agrippèrent au bras de l’homme qui la tenait. Elle montra les crocs et du bout de ses doigts, des griffes apparurent et vinrent se planter dans sa chair.
« Lâche… Moi… » Peina-t-elle à dire en grognant.
En face d’elle, l’homme ne répondit rien et ne desserra pas sa prise non plus. La jeune femme se débattit, ses griffes déchirant la chair alors qu’elle sentait l’oxygène s’amoindrir dans ses poumons. Elle suffoquait. Probablement qu’elle allait perdre conscience s’il ne la lâchait pas tout de suite.
« - Combien de fois t’ai-je dit de ne pas foutre ton nez dans mes affaires ? » Gronda-t-il d’une voix rauque, glaciale, finalement en relâchant sa prise sans pour autant la laisser se sauver de son emprise.
Elle prit une grande goulée d’air, hoqueta et fut prise d’une quinte de toux. L’homme se plaisait à montrer l’emprise qu’il avait sur elle. Il aimait la dominer de toute sa force. Kimitsu ne parvenait pas à le combattre. Elle avait déjà essayé quand elle était plus jeune. Il s’était assuré qu’elle ne refasse plus jamais tel acte de rébellion. Gin était beaucoup de choses pour elle. Il était son sensei. Il était de sa famille, son cousin, ou du moins, il faisait partie de son petit groupe et ils partageaient le même patronyme. Il était également son amant quand celui-ci le désirait. Elle ne cherchait pas à s’en débattre car cette position lui permettait de se tirer de certaines situations telles que celle-ci. Même si la jeune femme craignait que ce soit celle de trop cette fois-ci.
« - Tu crois que personne ne voit ton petit manège, Gin ? » Cracha-t-elle soudain prise d’un courage inédit, aculée comme elle l’était.
« Tout le monde sait ce que tu fais. Tu n’es qu’un tyran qui se prend pour le chef. » Elle planta ses prunelles d’or dans les siennes.
« Mais tu n’es rien. » À ses mots, il la propulsa par terre violemment et le coup eut pour conséquence de couper la respiration de la louve une seconde fois. Elle toussa à nouveau et se roula sur le sol, gémissante de douleur.
« - Qu’est-ce qui te prend ? Je t’ai appris à fermer ta gueule mieux que ça. » Répliqua-t-il en la toisant de toute sa hauteur alors que la jeune femme se redressait sur ses quatre membres, levant le nez vers son assaillant.
« - J’en ai assez, Gin. » Les mots s’extirpaient d’entre ses lèvres sans qu’elle ne puisse les contrôler. Il en venait peut-être de sa survie, ou de sa santé mentale. Une rage sourde bouillonnait dans ses veines et tout son corps tremblait désormais de fureur tandis qu’elle se redressait et que son regard se muait d’une teinte animale.
L’homme resta stupéfait quant à l’audace dont faisait preuve la jeune femme. Il crut d’abord qu’elle bluffait et qu’elle ne l’attaquerait surement pas. Il fit un pas vers elle, prêt à la plaquer violemment à nouveau pour la remettre à sa place. Ce ne fut pas assez rapide. Le corps de la jeune femme se déforma et en instant elle devint une louve au pelage d’ébène. D’un mouvement rapide, elle se jeta sur lui, tous crocs en avant. Il fit barrage avec ses bras mais la louve déchiqueta la peau de ses crocs en agitant la tête. Le sang coula le long de sa gorge et sur son pelage, le goût si caractéristique électrisa ses sens et elle fut prise d’une véritable fureur.
De grandes ailes hâlées s’élevèrent soudain des omoplates de la victime et d’un brusque battement, il se fit inatteignable pour le canidé.
Kimitsu ne chercha pas à l’atteindre à nouveau et en profita pour détaler à grande vitesse. Les arbres défilaient devant ses yeux alors que ses pattes battaient frénétiquement la terre à mesure qu’elle parcourait du terrain. Peut-être aurait-elle dû fuir tout de suite pour ne plus jamais croiser l’homme, mais ses pattes l’entrainèrent jusqu’au camp. Celui-ci était si silencieux à cette heure avancée de la nuit que cela eut pour effet de faire redescendre l’adrénaline qui battait dans ses tempes. Elle conserva sa forme lupine quand elle se glissa dans ses quartiers puis reprit possession de sa forme humaine pour être en mesure de paqueter des affaires. Elle savait qu’il viendrait la chercher et qu’il la traquerait. La jeune femme n’avait pas pour volonté de le destituer de son piédestal, elle voulait simplement qu’il lui foute la paix.
Être libre. Mais probablement qu’il ne supporterait pas de perdre son jouet.
_________________________La jeune louve a grandi au sein de Juurui no Kuni dans un petit groupe de son clan qui vivait en une harmonie toute relative. La paix au sein de ce petit groupe était relativement friable et il arrivait régulièrement qu’il y ait quelques heurts. Kimitsu, n’ayant jamais désirée mener les siens, se soumettait bien souvent ou prenait de la distance quand les choses s’envenimaient. Elle ne comprenait pas réellement pourquoi, alors qu’ils se retrouvaient dans un groupe si restreint, les siens ne pouvaient-ils pas s’empêcher de se trahir les uns les autres. Grandissant dans ce climat relativement tendu, la jeune femme fit tout son possible pour s’améliorer et pour se faire respecter. Elle comprit bien vite qu’elle se devait de devenir forte si elle voulait survivre. Étant une Nukenin, elle ne pouvait tout simplement pas se laisser bercer par les autres. Il lui fallait prendre le taureau par les cornes et se forger sa propre réussite.
Le père de Kimitsu mourut dans des circonstances louches alors qu’elle était encore une petite fille. Sa mère était bien trop occupée à s’occuper de son très jeune frère pour prendre réellement garde à sa fille. Elle essayait pourtant. Elle tenta de lui inculquer certaines choses, mais surtout, elle l’aima. Et même si la jeune fille aurait aimé l’être davantage, cela lui permis de grandir dans un certain équilibre. Elle prit son frère sous son aile assez vite, le protégeant toujours pour ne pas qu’il soit pris en tenaille par les siens qui ne cessaient de se disputer la tête du groupe. Il fut, en grande partie, la raison pour laquelle elle se rapprocha de Gin et qu’elle se laissa manipuler pour ce dernier. Elle crut qu’il laisserait son petit frère tranquille si elle s’offrait au désir de l’homme. Il en fut ainsi. Pendant de longues années, il ne s’intéressa pas à son frère. Jusqu’à ce qu’il montre certaines qualités et qu’il veuille l’embrigader dans son mouvement.
Malgré la véhémence de sa sœur pour l’en dissuader, son frère finit par rejoindre l’homme qu’elle haïssait tant. Peut-être était-ce la raison de cette rage sourde qui la prit cette nuit-là ? Si elle n’avait plus son frère, alors elle n’avait plus aucune raison de supporter la perversion de son cousin. Elle devait partir.
Kimitsu naquit pourtant dans un climat de paix, propice aux alliances et à la douceur de vivre. Dans son clan, ce n’était pas tout à fait le cas. Celui-ci ayant été marqué par l’ambition et l’égoïsme, les siens vivaient désormais dans de petits groupes au sein du pays principalement. Attendant un ordre de réunification ou vivant en tant que reclus chacun de son côté, cela dépendait des différents groupes. La jeune femme ne connut pas d’autres groupes que celui quand lequel elle naquit vingt-sept ans plus tôt. Lors d’une altercation avec un membre de son petit groupe, Kimitsu refusa de rester dans ce dernier et s’éclipsa une nuit. Bien qu’elle craignait pour la vie de son frère et de sa famille, l’envie d’aventure lui pesait de plus en plus. Le besoin d’autonomie également. Il fallait qu’elle se détache de cette prison. À la manière du loup qui se détachait de sa meute pour construire lui-même sa famille, Kimitsu ressentait de plus en plus le désir de s’éloigner pour vivre par elle-même.
Elle apprit pour la prison d’Arashi et des actes indescriptibles qui y étaient menés juste après s’être enfuie de son groupe lors d’un arrêt dans une auberge. L’évocation de ces actes ignobles lui donnèrent une irrépressible envie de vomir. Elle ne pouvait imaginer comment l’humanité pouvait-elle se montrer tant violente avec les siens. Même si elle pouvait facilement comprendre que le pouvoir permettait de faire les choses les plus ignobles, elle ne comprenait pourtant pas comment il leur était possible de les mener à bien.