Cela faisait quelques heures que nous avions quitté le port de Shukuba. Le rafiot du mercenaire n’était pas des plus rapides, mais il progressait aussi rapidement qu’il le pouvait. En attendant, le mercenaire et moi étions occupé à jouer aux échecs, tandis que ses hommes festoyaient et mettaient une ambiance digne d’un bateau pirate. Cela me rappelait quelques souvenirs de mes voyages du côté de Mizu, notamment mes aventures sur cette fameuse « île de pirates ». Cependant, en regardant de plus près, cet homme, ce mercenaire qui m’avait gentiment accueilli sur son navire, n’avait pas grand-chose d’un pirate. C’était curieux, mais j’abstins de lui poser de questions, il serait en effet stupide de le mettre en colère, alors que j’étais encore loin de ma destination. Finalement, contre toute attente, c’était lui qui se lança en m’interrogeant.

« … Je ne vous ai pas vraiment poser la question mais, pourriez-vous me dire ce qui vous pousse à vous aventurer du côté de Nami ? » Lâcha -t-il, alors qu’il déplaçait un de ces pions sur l’échiquier, visiblement pour me pousser à le prendre.

En regardant le plateau, je n’arrivais pas à comprendre ce qu’il recherchait, il donnait l’impression d’être un débutant qui plaçait ses pièces un peu hasardeusement, mais le mystère et la sérénité qu’il dégageait m’invitaient à la prudence.

« Je dois simplement retrouver une amie de longue de date. Elle a besoin de mon aide pour quelque chose. » Répliquai-je, en analysant toujours la plateau de jeu. « Et vous, pouvez-vous m’en dire un peu plus sur le colis que je dois livrer et ce fameux Fukuba ? » Ajoutai-je, d’un air songeur, toujours concentré sur le jeu.

Il sourit mystérieusement.

« Désolé, mon business requiert une certaine discrétion de ma part. Cependant, vous pouvez toujours ouvrir le colis pour savoir ce qu’il contient, si vous le souhaitez, ce n'est pas comme si je le saurais une fois que vous aurez quitté le Navire... » Fit-il, d’un léger sourire et en haussant légèrement les épaules. « Pour Fukuba, libre à vous de l’interroger une fois sur place, mais il paraît qu’il n’est pas du genre bavard… » Ajouta -t-il, avant de se lever et de faire un signe de la main à son timonier. « … Vous mettez beaucoup de temps à vous décider, hein. Vous réaliser peut-être enfin que vous avez perdu la partie ? » Conclut-il, en portant son regard sur l’échiquier.

Et, effectivement, il avait raison. Si sur le coup, je n’avais pas saisi sa stratégie, je finis par comprendre qu’il avait délibérément sacrifier certaines pièces maîtresses et placer certains de ses pions de façon à ce que je les ignore. Sur ce coup, il m’avait eu en beauté…

« C’était bien joué. » Lâchai-je, quelque peu impressionné.

Le navire finit par s’arrêter au beau milieu de la mer d’Amamikyu, alors qu’aucune île ne semblait visible à l’horizon. Quoique, en y regardant de plus près, il y avait une épaisse brouillard qui nous empêchait d’avoir une longue vue sur l'horizon, sans compter que l’obscurité de la nuit qui ne nous aidait pas vraiment non plus. En tout cas, le mercenaire savait visiblement ce qu’il faisait, il avait l’air de savoir où on se trouvait exactement, peut-être qu’il avait des capacités sensorielles poussées ? Peu importait.

« Nous ne pouvons prendre le risque d’aller plus loin. Du coup, comme convenu, vous devez parcourir le chemin restant à la nage. Prenez cette direction, elle est dépourvue de courant marin et elle vous permettra d’atteindre la plage de l’île, d’ici environ une heure si vous êtes lent. Je compte sur vous pour tenir votre parole. » Glissa -t-il, avant de me remettre le colis.

Il s’agissait d’un parchemin. Je le glissais parmi mes autres rouleaux, avant de remettre un de mes propres parchemins spéciaux au mercenaire.

« Gardez-le précieusement, cela nous permettra de nous revoir tôt ou tard. » Fis-je, avant de sauter par-dessus le rafiot.

Il ne restait plus qu’à nager pendant une trentaine de minutes sans s’arrêter… Ce n’était pas mal comme entrainement ça, hein. Oui, il valait mieux le prendre comme ça qu’autrement…

Une trentaine de minutes plus tard…

J'arrivai enfin sur la plage de Nami, mais ce ne fut pas sans difficulté, loin de là. En effet, contrairement à ce qu’avait dit le mercenaire, je m’étais retrouvé confronter à des monstres marins, ainsi que des puissants courants marins, mais heureusement j’avais un peu de quoi surmonter ce genre d’obstacle. J’avais par ailleurs profité du trajet à la nage pour glisser une balise fuinjutsu dans l’eau, au cas où, cela pourrait me servir tôt ou tard.

Quoi qu’il en fût, je me retrouvais désormais sur la plage de Nami. Il faisait encore un peu nuit, mais l’aube n’allait visiblement pas tarder à pointer le bout de son nez. Je m’imprégnais rapidement de mon environnement, avant glisser une autre balise de fuinjutsu près de la mer et de me diriger vers l’énorme forêt qui se trouvait au loin.

Finalement, alors que je m’apprêtais à entrer dans cette immense jungle, je me vis contraint de m’arrêter à cause d’une silhouette qui arrivait dans ma direction. Alors que je me demandais si c’était vraiment après moi que cet individu en avait, je réalisais rapidement qu’il s’agissait d’Elana. Elle retira sa capuche et me gratifia de son plus beau sourire. Elle avait quelques cicatrices qui démontraient que ces trois années ne furent pas faciles pour elle, probablement comme le reste de l’équipe, songeais-je.

« Comme je suis contente de vous revoir, capitaine ! » Lâcha -t-elle, alors qu’elle s’approchait de moi jusqu’à finir par me prendre dans ses bras.

Etrange, elle n’était pas du genre sentimentale et encore moins tactile à l’époque. Néanmoins, je le souris également et j’étais bien content de la revoir après trois ans de séparation. Je savais que je n’avais pas tenu mes promesses à son égard, mais je savais aussi qu’elle comprenait et qu’elle ne m’en voudra pas pour ça.

« Je suis content de te revoir aussi, Elana. J’imagine que ces trois années n’ont pas dû être simple pour vous. Cependant, si tu n’as pas daigné me contacter avant aujourd’hui, cela signifie que Raito a abandonné les poursuites à notre encontre ? » Fis-je, d’un air songeur.

Elle me fit signe de la suivre dans la forêt, sans doute pour éviter d’être repérer par les autorités du pays, avant de reprendre.

« … C’est plus compliqué que ça, capitaine. Hum, après votre départ, nous avons décidé de nous séparer et d’enquêter chacun de son côté, pour mieux comprendre les causes de l’exécution d’Hanako.

A l’époque, on savait tous, vous y compris, que c’était Tagaki Raito qui était derrière, et on pensait d’ailleurs qu’il l’avait fait pour vous punir de ne pas lui avoir remis le manuscrit du discipline de Susanoo. Mais on savait aussi que s’il était parvenu à lui mettre la main dessus, c’était parce que Hanako nous avait volontairement quitté pour le retrouver et lui proposer un marché : sa vie contre l’amnistie de tous les autres membres de l'équipe.

Seulement, en enquêtant, Tenma a appris qu’Hanako ne s’est jamais livrée à Raito. Au contraire, elle avait engagé des mercenaires pour l’anéantir et elle avait décidé de nous mettre de côté pour nous éviter les conséquences, si jamais elle échouait. Elle était en contact directe avec Sayuki pour garder un œil sur nous. C’est qu’elle ignorait, nous aussi d’ailleurs, ce que Sayuki travaillait pour le compte du noble Tagaki… » Lâcha -t-elle, en me regardant dans les yeux.

Stupéfait, je n’arrivais pas à comprendre comment cela pouvait être possible. Sayuki. Celui qui nous avait accompagné pendant toutes ces années. Celui avec qui on avait partagé tant de moments mémorables, parfois de joies, parfois des moments moins agréables. Bon, il était vrai que c’était aussi l’élément le plus instable de l’équipe, mais de là à se retourner contre nous, c’était impensable…

« … Apparemment, il craignait pour sa vie et refusait de mourir parce que vous refusiez de remettre le manuscrit à Raito. Sachant qu’Hanako était votre point faible, il l’a livré à Raito et ils l’ont exécuté pour que vous vous retiriez définitivement. Sayuki savait que vous ne chercher à vous venger, du moins pas immédiatement, ce qui leur laissait le temps de se préparer et de vous rendre la tâche d'autant plus ardue. En outre, puisque Raito possède vos notes sur le Kakusei, il sait que vous ne le tuerez pas avant d’avoir les avoir trouvé. Je suis désolée, ils se sont bien joués de nous… »  

C’était le moins qu’on puisse dire. Il fallait croire qu’elle était lointaine l’époque où je disposais de plusieurs coups d’avance sur mes ennemis. Pour le coup, je demeurais silencieux, laissant Elana poursuivre si jamais elle n’avait pas terminé ses révélations.

« On a découvert tout cela que très récemment croyez-moi, sinon je vous aurais contacter bien plus tôt. » Reprit-elle, alors qu’on progressait toujours à l’intérieur de la forêt.

Rapidement, on se retrouva au milieu d’une clarière, où se trouvait une petite maisonnette en bois.

« … C’est, en grande partie, grâce à Tenma qu’on a appris la vérité. Cela lui aura couté… sa vie. » Dit-elle, en serrant le poing. « C’est l’œuvre de Sayuki. On avait réussi à l’attirer et on a cherché à le capturer, mais il est parvenu à tuer Tenma et il m’a infligé cette cicatrice, avant de fuir. Cela s’est produit sur cette île, il y a un peu plus d’une semaine. » Ajouta -t-elle, avant d’ouvrir la porte de la maisonnette et de m’inviter à y entrer.

Silencieux, je franchis le seuil de la porte et je me laissai un peu le temps de digérer toutes ces informations. Dire que tout ceci était arrivé par ma faute… Cela me révulsait et me faisait bouillir de colère, alors que je m’efforçai tant bien que mal de garder mon calme.

« Prenez le lit, reposez-vous, et on poursuivra après si vous le voulez. Mais sachez une chose, capitaine, il n’est pas question que ces deux-là s’en sortent. » Dit-elle, avant de s’asseoir au milieu de la pièce.

Elle se saisit de son arme et déballa ses outils pour entretenir son katana. Quant à moi, je me posais sur le lit et me laissait le temps de réfléchir. Il me fallait tout visualiser pour mettre au point un plan. Justice sera faite, d’une manière ou d’une autre.

« Réveille-moi dans deux heures. » Lâchai-je, avant de faire mine de fermer les yeux.      

Si cela pouvait agacer plus d’un, compte tenu des circonstances, Elana me connaissait et elle savait que c’était un moyen pour moi de fuir la conversation, de digérer les choses en silence et surtout de mieux préparer la suite. Elle le savait, c’était probablement pour cela qu’elle n’ajouta rien de plus et se concentra sur ce qu’elle faisait…

Quelques heures plus tard…

Je me réveillai après plusieurs heures de somme. Je me retrouvai seul, Elana n’avait visiblement pas juger bon de me réveiller après les deux comme convenu. Je soupirais et je me levais pour me diriger vers la petite table à manger, où elle avait visiblement préparé un petit plat pour moi, fin j’imaginais que c’était pour moi. Elle avait beaucoup changé, il n’y avait aucun doute là-dessus.

La mort d’Hanako devait l’avoir autant affecté que moi, et je n’imaginais pas la douleur qu’elle devait ressentir après celle de Tenma, notre cher cuisiner. Plus qu’un simple cuisiner, c’était notre camarade, notre frère, celui qui était toujours positif et qui trouvait toujours de quoi mettre l’ambiance quand les choses allaient mal. Une forte douleur me serrait la poitrine, alors que je venais prendre place devant la table pour avaler ce qu’Elana m’avait concocté.

C’était lorsque j’eus fini de manger que l’épéiste revint dans la pièce, en sueur, visiblement dû à un entraînement intensif.

« J’espère que ce n’était pas trop dégueulasse, il faut dire que la cuisine n’a jamais été mon fort. » Lâcha -t-elle, d’un fin sourire. « Alors, la vie de ninja, comment s’est ? Vous vous y êtes accoutumés ? » Glissa -t-elle, avant de se diriger vers le lit.

Elle s’abaissa et glissa sa main en-dessous pour en ressortir un long objet drapé d’un tissu noir et rouge.

« Ce qui est sûr ce que cela n’a rien avoir avec la vie qu’on menait. Ça du bon et du mauvais, on s’y habitue, comme pour toute chose, j’imagine. » Lui rétorquai-je, en haussant légèrement les épaules.

Elle vint déposer l’objet sur la table, devant moi, sourire aux lèvres.

« Quand on a su que vous avez rejoint Kumo, on a parié que vous ne tiendrez pas un mois, mais il faut croire qu’on ne vous connaissait pas aussi bien qu’on le pensait. Priver de liberté et devoir exécuter des ordres aussi barbant les uns que les autres, honnêtement je ne pense pas que je m’y ferai. Mais peu importe… » Glissa -t-elle, avant de retirer le tissu de l’objet qu’elle exhibait devant moi.

C’était là que je vis une magnifique épée à la lame parfaitement aiguisée et ornée de quelques inscriptions runiques pour le moins curieuses. Le pommeau était visiblement fait d’un cristal aussi pur qu’obscur au sein duquel on pouvait voir une étrange boussole. Une épée faite sur mesure et de telle sorte que je ne puisse que l’apprécier.  

« Puisque vous avez abandonné votre « Sashikomu » à Yuki, sur la tombe d’Hanako, et sachant que vous n’irez probablement pas le reprendre, je me suis permise de vous faire faire ceci. Vous en aurez besoin. » Ajouta -t-elle, en s’étirant légèrement le cou.

Toujours aussi étonnante cette Elana. Je me saisis naturellement de la lame pour la scruter de plus près et la tester très rapidement. La première chose que je remarquais c’était qu’elle était lourde, quoique ce n’était peut-être qu’une impression, après tout cela faisait longtemps que je n’avais ni porter ni manier une véritable lame.

« Elle est magnifique, merci. » Rétorquai-je, d’un air sincère. « Et si on allait la tester à l’extérieur ? J’imagine que tu as dû passer ces trois dernières années à t’entraîner, cela ne doit pas être difficile pour toi de me battre, désormais. » Ajoutai-je, d’un fin sourire.

A l’époque, elle n’était déjà pas loin d’avoir mon niveau, alors aujourd’hui cela ne m’étonnerait pas qu’elle soit à un tout autre niveau. Trois années où elle s’était probablement entraînée nuit et jour, tandis que moi je les avais passées à quoi ? A me morfondre sur la mort d’Hanako ? Pire, à faire le pitre et à me la jouer en mode pacifiste pour la mémoire de ma femme… Il était plus que jamais temps de mettre un trait sur le passé, à commencer par supprimer Raito et Sayuki… Pour l’heure, un petit entraînement s’imposait…