Il y avait comme un air de déjà vu dans ce qui s’apprêtait à se passer dans le village caché de Suna. Des personnes se connaissant plus qu’ils ne souhaitaient sans doute se l’admettre, des individus tous reliés par quelque chose d’unique, une famille qui n’avait jamais été aussi forte que depuis qu’elle s’était trouvée un adversaire commun. Le Kagirinai,- comme leur père l’appelait-, était prêt à faire son retour sur le devant de la scène, du mois une partie d’entre eux.

Kyoi était plutôt content, même s’il ne l’avouerait jamais à haute voix. Il allait de nouveau officier avec ses frères et sœurs. Deux de la première génération, et deux qui étaient encore tout nouveaux dans la vie. C’était rassurant de retrouver cet équilibre, Kyoi avait ainsi l’impression de retrouver sa vie d’antan, sa vie avant le fameux incident qui les avait tous touchés.

Prenant bien soin de se préparer de façon convenable, Kyoi était fin prêt pour se joindre à sa famille pour opérer pour le compte du village caché du Sable, aujourd’hui ils avaient leur première mission en tant que famille ! Enfilant sa veste blanche imprimée avec l’emblème du Kagirinai, il prit bien soin d’attacher son pantalon avec sa large ceinture en tissu noir. Son kimono, même s’il semblait être plutôt chaud, ne le quittait jamais lorsqu’il sortait. Était-il fier de ses origines ? Plus vraiment, il fallait l’avouer… Mais certaines habitudes ont la peau dure comme on dit !

❅❅❅

•• Bon, j’imagine que Shige’ va encore être la bourre… ••

Soupira-t-il tout en esquissant un sourire. Il semblait blasé par l’attitude de son grand frère, mais au final il l’aimait bien. Chacun d’entre eux était spécial, tous dans leur domaine. Ils ne se ressemblaient, ils ne s’appréciaient pas forcément en public, leurs pouvoirs n’étaient pas les mêmes… Mais au final, s’attaquer à l’un ravivait leurs convictions les plus profondes, la famille passe avant tout !

En arrivant au lieu de rendez-vous, Kyoi se rendit alors compte qu’il était le premier. L’heure du rendez-vous n’était pas encore atteinte et il se posa donc à l’ombre pour attendre, ayant toujours autant de mal à s’acclimater à la chaleur étouffante s’abbattant sur le village caché de Suna. Fort heureusement l’après-midi était déjà bien entamée, ce qui leur permettrait de profiter de la nuit pour se déplacer et enquêter sur ce mystérieux convoi. Une nouvelle qui ravissait le garçon aux cheveux blancs.

•• Tiens, salut Yona ! ••

Dit-il simplement, il avait du mal avec ce qui était arrivé à sa sœur. Cela l’assombrissait à chaque fois qu’il la voyait, car il se rappelait alors la raison de leur présence à Suna. Reizoku paierait ses crimes, Kyoi s’en assurerait un jour ou l’autre !

Voilà que le Kagirinai version numéro deux se voyait confier sa première mission de groupe par les hautes autorités Sunajines. « Comme au bon vieux temps... » pensa sarcastiquement la marionnettiste en enfilant sa cape, camouflant le symbole placé sur ses vêtements. N'était-ce pas étrange, d'ailleurs ? La plupart d'entre eux avaient passé toute leur existence à chercher un moyen de se débarrasser de cette vie. Sortir de l'institut, vivre pour eux-mêmes et non pour Reizoku. Et maintenant qu'ils étaient libres... Ils restaient quand même tous ensemble. Certains gardaient leurs habitudes, d'autres continuaient carrément de porter leur symbole. Même le nom « Kagirinai » semblait flotter dans l'air à chaque fois qu'ils se retrouvaient.

Ils pouvaient se rassurer en se disant que c'était pour atteindre leur but commun ; mais n'était-ce pas simplement parce qu'ils n'avaient aucune idée de comment vivre autrement ?

Soupirant, Yona se mit en route. Etrangement, elle ne souffrait pas autant de la chaleur qu'elle ne l'aurait cru. Tant qu'elle faisait attention de ne pas exposer sa peau directement au soleil, c'était vivable. Peut-être que ça faisait réellement partie de ses gènes, après tout...

Elle salua Kyoi d'un geste de la tête. Elle était désolée pour son frère mais malheureusement, elle n'était pas la personne la plus agréable avec qui avoir une conversation en ce moment. Même si de toute façon, elle n'avait jamais été une grande oratrice. Elle voyait bien l'expression de certains de ses frères changer lorsqu'ils posaient les yeux sur le bandage qui encerclait le cou de la marionnettiste ; et contrairement à son besoin d'observer et d'analyser, elle détournait le regard. Elle avait bien trop peur d'y voir de la pitié.

Waichiro arriva rapidement après et bien entendu, il ne manquait que Shigekore. Si sa sale habitude d'arriver en retard était un minimum contrôlée autrefois par les punitions du patriarche, elle était tout à fait libre de s'épanouir maintenant que les sanctions n'existaient plus. Mais c'était comme pour tous ; ils devaient chacun trouver leur propre équilibre dans « l'après. » L'après-Reizoku.

Le quatuor était finalement complet. Kyoi connaissait très bien les trois personnes qui seraient avec lui pour la réalisation de la mission. Tandis que deux d’entre eux étaient de ce qu’ils appelaient « la première génération », Yona et lui faisaient partie des dernières pousses formées à Kagirinai. Deux générations, mais une seule et même formation. Voici leur héritage, voici leur fardeau.

Suite à l’invitation de Waichiro, Kyoi lui emboîta le pas et prit alors le chemin qu’aurait dû prendre le convoi, s’il était finalement arrivé sur place. Le jeune garçon à la chevelure de neige souffrait peu de la chaleur en cette fin d’après-midi, il pouvait donc se concentrer pleinement sur la mission, et pas sur ses problèmes avec la chaleur environnante. Le fait d’être totalement concerné par la mission et de faire abstraction de tout autre élément, voici l’une des choses que Kyoi gardait de son paternel… Entres autres choses.

•• Vous pensez procéder comment ? J’imagine qu’on va refaire le chemin que le convoi aurait dû emprunter jusqu’à tomber sur quelque chose ? ••

On aurait dit qu’il était déjà las de cette mission. Mais ce n’était pas du tout le cas. Il ne voulait pas non plus meubler et faire la conversation. Non, tout ce qu’il cherchait, était la confirmation qu’ils étaient bien tous sur la même longueur d’onde et qu’ils avançaient bien tous dans le même sens.

Cela pouvait paraître évident, mais Kyoi avait appris au contact de ses frères et sœurs qu’ils n’étaient pas tous semblables. Et ce, malgré le fait qu’ils aient tous eu quasiment la même éducation. Et c’est donc dans un silence quasi religieux que chacun d’entre eux avançait dans le sable, allant alors à la rencontre du fameux convoi qui avait totalement disparu des radars…

❅❅❅

Il faisait nuit noire dans le désert de Kaze, et la température était désormais beaucoup plus agréable pour notre jeune héros à la chevelure blanche. Lui qui était plutôt quelqu’un vivant dans le froid, il se retrouvait beaucoup plus lors des longues soirées passées dans le désert. Et tandis que le petit groupe faisait une pause pour s’hydrater et se nourrir, le tout à la lumière de l’astre lunaire, le jeune Kyoi remarqua alors une ombre au loin, sur l’une des dunes derrière eux.

Sans bouger, et en continuant normalement son activité en croquant à pleines dents dans sa pomme, il lâcha alors le plus naturellement du monde, à une voix assez basse pour ne pas se faire entendre par des oreilles indiscrètes, mais sans chuchoter pour autant.

•• On nous observe. Il y a une personne sur la dune derrière toi Waichiro. ••

Kyoi n’avait pas besoin de dire aux autres d’être discrets ; chacun avait reçu la même éducation, ils savaient donc comment réagir, le manieur de glace n’en avait pas le moindre doute.

Le quatuor progressa sur le sable toujours brûlant du début de soirée, encore gorgé de la chaleur du jour. Même si leur entraînement sur ce type de sol était minime comparé au reste, les vieux réflexes n'avaient pas tardé à prendre le relais et s'adapter à ce nouvel environnement. Leurs pas, silencieux, ne soulevaient pas la moindre gerbe de sable. Et si quelqu'un les apercevait au loin, il aurait aisément pu croire à des esprits n'ayant pas trouvé le repos, arpentant le désert. Ainsi, même dans un acte aussi banal qu'était la marche, rien n'était laissé au hasard. Leurs mouvements fluides étaient parfaitement contrôlés et en observant bien, il était possible de remarquer que leurs gestes étaient semblables. Chacun bougeait en harmonie avec le groupe, comme des satellites dont la position s'ajusterait automatiquement dans l'espace. Reizoku avait énormément de choses à se reprocher, mais il fallait reconnaître que la méthode qu'il leur avait inculquée de force était parfaite.

Et alors que le linceul sombre de la nuit les enveloppait, le premier obstacle se dressa sur leur route. Tous reçurent l'information de Kyoi sans broncher, sans sursauter, comme ils l'avaient appris. Celle de Shigekore ne les déstabilisa pas plus. Et même si une dizaine d'ennemis venaient à surgir, ce ne serait pas suffisant pour faire flancher le quatuor. Autrefois, le patriarche aurait envoyé seulement deux individus de sa progéniture pour une mission de cet acabit, tout en remarquant à voix haute que s'ils étaient compétents, un seul aurait dû suffire.

Sortant discrètement un miroir de sa manche, la marionnettiste observa leurs arrières tout en prenant garde de ne pas refléter les rayons de la lune.

« Cinq heures, deux. »

Trois mots suffisaient pour informer leur escouade d'élite sur la localisation des ennemis, comme ils l'avaient appris ; et avec toutes ces informations, il était facile d'analyser la situation. Les silhouettes semblaient assez formées et synchronisées pour se tenir à un plan et les encercler. Il n'y avait pour l'instant aucun signe criant d'hostilité de la part des cibles mais en connaissant l'ordre de mission, le lien apparaissait assez clairement entre les deux affaires. Pourtant, ils avaient aussi appris qu'il ne fallait pas se fier aux apparences et ne pas agir précipitamment : il n'était pas impossible de tomber sur un camp de nomades souhaitant simplement défendre leurs biens.