Journée tranquille aux casernes, chacun vaque à ses occupations
J’épluche la cent cinquantième patate de la matinée, une affectation qui n’est pas des plus intéressantes, néanmoins, c’est aussi une façon délicate de passer le temps. En cuisine, à préparer la nourriture de ce midi avec d’autres commis. Une tâche à laquelle nous nous attelons avec diligence, car faillir à notre devoir est synonyme de gros ennuis : personne n’aime travailler l’estomac vide. Je dois en être à dix kilos de patates épluchées au kunaï, une tâche rébarbative mais qui m’évite de nombreux ennuis.
En effet, cela va faire trois jours que je suis ici, avec des genins blasés et démotivés. Ils traînent des pieds passer la serpillère et nettoyer les douches, ils peinent à faire leur lit et si j’ai droit à une chambre commune avec les « anciennes », celles qui ont de la bouteille, mais pas suffisamment pour devenir chunin. Si notre chambrée est impeccable, motiver les autres à tenir les lieux avec ordre et discipline s’avère impossible. Ils n’en font qu’à leur tête et je crains le jour où nous aurons une inspection.
C’est pour cela qu’avec d’autres, nous sommes heureux de travailler en cuisine. Nous sommes de l’autre côté des casernements, à préparer les repas et oublier que nous sommes dans une section qui manque encore de discipline. Car je crains la punition des cadres : ils nous ont fait comprendre qu’il fallait tenir les lieux avec une rigueur exemplaire, ce qui n’est pas le cas.
Je m’en rends compte quand un genin tout juste sorti de l’académie se pose devant la cuisine pour nous demander quand le repas sera prêt. Il est en chemise de plage, avec des sandales de bain et un short de nuit. La cheffe de cuisine le renvoie en hurlant, outrée par sa tenue débraillée. Lorsque, quelques minutes plus tard un autre genin arrive tout rouge et en sueur, la cheffe de cuisine s’apprête à faire usage de son taijutsu, jusqu’à ce que la nouvelle recrue nous prévienne.

« Il y a un problème ! Il y a un problème ! Ils envoient une chuunin faire son inspection des casernements. » La responsable pique un fard, elle devient tout pâle. « Les cadres ont été prévenu que nous sommes une section de glandeurs, enfin, pas vous évidemment. » La vétéran ignore ces dernières paroles et déjà, elle se tourne vers moi.
« Momiji ! » Commence-t-elle sur un ton sans appel, qui ne souffrira d’aucune contradiction. « Va accueillir la chuunin, Yuki Hanae je crois. Dit lui que la section n’est pas prête et qu’elle est indisciplinée. » Je pince des lèvres, ce n’est ni un honneur ni un privilège. « MAINTENANT ! » Je retire mon tablier et file.

Je fonce aux casernements et me poste juste devant, pile à l’heure, car je vois la sous-officier apparaître à un angle. Je lui offre le salut réglementaire, encore rouge de l’effort et l’informe de la situation.

« Bonjour chef, Suibaku Momiji à vos ordres. Je suis l’une des genins appelées pour faire les corvées dans les dortoirs et les lieux communs utilisés par les ninjas. Le repas est bientôt prêt, » je me rends compte que je dois émaner d’une vague odeur de patate. « Nous rencontrons de sérieuses difficultés pour motiver les genins fraichement promus de l’académie. Le précédent chuunin responsable nous a formellement interdit de leur hurler dessus ou de les secouer un peu. Ils n’écoutent rien et leurs dortoirs ne sont pas prêts pour une inspection. »

Là voilà fraîchement chuunin, le rang intermédiaire du ninja. Cela devait faire bientôt un mois que la jeune femme était entrée officiellement dans ses fonctions. Il en valait de même par rapport à son intégration à l’unité Mihari qui s’était passé deux semaines avant son obtention du grade de chuunin. Tout allait si vite. Chuunin et membre de la branche Kiheitai, cette dernière se voyait peu à peu recevoir des responsabilités de plus en plus grandes. Elle qui avait une satanée horreur de porter des responsabilités, ce grade l’obligeait cependant à en avoir, de gré ou de force. Être genin c’était bien finalement. Enfin, elle ne préféra pas penser à ça, mais plutôt au fait est que depuis peu, devait se préparer à une affectation temporaire au sein de la Caserne de Kumo. Apparemment il y aurait pas mal de dissidents, et on demandait à cette dernière de jouer les inspectrices le temps d’une journée. On lui avait expliqué à la va-vite son rôle dans cette manœuvre visant à remettre de l’ordre dans une section en particulier. Du sale travail.

— Génial…

Elle soupira. Rien qu’en pensant qu’elle allait devoir gérer un troupeau d’Hommes incapables de se discipliner, cette dernière en avait une migraine. Pourquoi il a fallu que ce genre de demande bien ringarde tombe sur ses épaules ?
Le lendemain matin, aux alentours de dix heures, la kunoichi s’était rendue au sein de la fameuse Caserne. La femme à la chevelure d’or n’a jamais eu l’occasion de passer par cette case. Sûrement dû à son statut de migrant, tiens. Puis avait-elle vraiment eu besoin de ça pour finalement passer chuunin ? Cela devait être rien de plus qu’au final un centre de rééducation, ou quelque chose de ce genre. Le genre d’endroit qui n’irait certainement pas à Hanae, dans laquelle les formateurs eurent la chance de ne pas se croiser à l'intérieur. La kunoichi aurait mené un enfer à ces derniers.

Tout juste arrivée vers la section en question, la voilà arrêtée par une femme suante et épuisée après tout cet effort pour parvenir jusqu’à elle, gardant tout de même un fort entrain devant la blonde. Elle l’appelait « chef » de manière formelle, une chose à laquelle celle-ci était peu habituée encore, tout juste ayant obtenu le garde de ninja intermédiaire. Une odeur de patate se sent. D’où elle ressortait ? Pas le temps de poser la question, cette Suibaku lui racontait la situation quelque peu critique au sein de la caserne.

— On m'a déjà informé brièvement de la situation. Bordel, ils auraient pu envoyer quelqu’un d’autre pour ce genre de corvée.

Elle ne manquait pas de faire entendre son agacement, se grattant la tête. Momiji parlait de l’ancien chuunin qui avait dû faire le sale boulot à sa place et qui aurait apparemment interdit au personnel de hausser la voix sur les nouveaux genins. Hanae ne semblait pas de cet avis.

— Je me fiche de l’ancien responsable. Il n’avait pas qu’à me donner son sale boulot s’il voulait faire cette combine avec eux.

L’avantage d’être chuunin était qu’au moins on pouvait se permettre de contester les dires des autres chuunin sans trop de problème. Enfin… Venant d’Hanae, qu’elle soit chuunin ou encore au statut de genin, la blonde aurait tout de même taper du pied à ces directives.

— Emmène-moi vers eux, prêts ou pas prêts. J’ai pas que cela à faire d’attendre qu’ils soient prêts. Ils auraient dû l’être bien avant après tous.

La chuunin n’a pas l’air contente. Je pince les lèvres en me rendant compte de l’orage à venir : nous sommes ninja de Kumo, nous sommes soumis à un impératif d’excellence et l’expression qui traverse son visage veut tout dire. Je pressens la crise de colère du siècle et reste à ses ordres, n’ayant pas reçu l’autorisation de me déplacer. Elle fait un commentaire acide sur cette mission qui est indigne de sa personne, puis enchaîne une remarque acerbe à l’attention du précédent chef. Je ne dis rien, je pense que si la discipline est défaillante, c’est à cause d’un manque d’encadrement. Ne sachant pas moi-même comment j’aurais organisé les chambrées et l’ordre dans ces casernements, je ne suis pas en mesure de dire quelle méthode est la bonne. Toutefois, la nouvelle responsable en a sa petite idée, ce qui me fait dire qu’il va y avoir du changement dans l’air, pour le meilleur comme pour le pire.
La sanction tombe quand elle me demande de la guider jusqu’aux dortoirs.

« A vos ordres chef. » Nous entrons dans le bâtiment.

Nous montons un étage avant de nous trouver au dortoir rebelle, chacun vaque à ses occupations. Entre-ouverte, on distingue dans la chambrée des apprentis qui lisent, dorment ou se disputent. L’ambiance n’est pas à beau fixe et certains disparaissent dans leurs quartiers en voyant la chuunin qui m’accompagne. Une fois au milieu du couloir, je me racle la gorge et suit la routine classique.
C’est-à-dire crier l’ordre de revue.

« Genins ! Rassemblement pour l’inspection des chambrées ! » Un silence de mort s’abat dans les chambrées, suivi de bruits de pas.

Très vite, une vingtaine de genins fraichement promus de l’académie se présentent en ligne et je m’empourpre d’un seul coup. Pas un n’a de tenue réglementaire. Les bandeaux frontal manquent à l’appel, certains sont en tongs, d’autres ont encore leur couvre-chef en intérieur. Ils ne respectent pas les règles de base et pire encore, en jetant un coup d’œil aux portes entre-ouvertes, je vois que les lits ne sont pas faits.
Les mots me manquent pour décrire ma stupéfaction. Ce n’est pas bon, ce n’est pas bon du tout même. Ne pouvant pas les sauver, je me contente de suivre le protocole.

« Ils sont prêts pour l’inspection chef. »

La blonde ne manquait pas de tranchant dans ses dires comme dans sa manière de s’y prendre avec la jeune genin. Il fallait dire qu’elle n’était pas du genre à modérer ses mots, à faire attention à ce qu’elle dit en générales. Elle disait ce qu’elle pensait, de manière spontanée et souvent ce n’était pas des mots doux, pour preuve ses diverses remarques désobligeantes à propos de son poste actuel. L’argentée du clan Suibaki restait stoïque comme elle pouvait, une bonne chose apparemment au sein d’une hiérarchie. Se taire et laisser ceux au dessus dicter ce qu’il fallait faire. La kunoichi du clan Yuki avait du mal avec ce genre de chose, du genre à donner à rajouter quand quelque chose ne va pas dans son sens. Une qualité ou un défaut, cela dépend de la situation. Peut-être était-ce mieux de se contenter de suivre les ordres, ou bien d’émettre une remarque quelconque. Cette Momiji avait l’air de choisir la première solution. Soit.

Elle suivra la femme à l’odeur de patate jusqu’à la salle en question, grimpant d’un étage avant d’arriver à destination. Hanae avait sorti une sorte de grand bloc-notes avec tout un listing de choses à compléter. Des trucs bien barbants à son goût qu’elle souhaiterait vite s’en débarrasser. Plus qu’à espérer que ce groupe de « rebelle » allait au moins faire le strict nécessaire demander dans sa liste, histoire de checker le tout et vite rentrer à la va-vite. La porte entrouverte, d’un œil indiscrète, elle pouvait déjà voir la future catastrophe se préparer. Ça discutait, dormait, parfois même se disputait. Tout ça alors qu’un chuunin était censé venir ici aujourd’hui, une chose qui ne manquera pas à Hanae de glisser une remarque avant qu’elles n’entrent dans le long couloir.

— Ont-ils été mis au courant au moins ?

Car à priori ils n’avaient pas l’air à première vue, une chose qui se concrétisera une fois qu’elles entreront dans le grand couloir. Donc là, il y avait une vingtaine de genin qui étaient incapable de respecter des règles aussi basique que porter leur bandeau ? Hanae elle-même avait le sien, bien que peu friande de porter un symbole qui n’était pas réellement le sien. La fierté Yukijine ça. La blonde regardait la liste, puis les genins, puis à nouveau la liste, et ceci plusieurs fois. Cela ne manquait pas. Elle n’avait presque pas manier le stylo qu’elle avait en mains. Sa tête se relèvera, son regard faisant un tour auprès des divers genins en position.

— Donc là, vous êtes en train de me dire qu’avec tout un listing de chose à vérifier et que parmi toute ses petites choses insignifiantes que même un gamin de 10 ans pourraient le faire, vous n’arrivez pas à compléter au moins une tâche ?

Cela avait vite exaspéré la blonde qui allait devoir tenter de remettre de l’ordre dans une sorte de porcherie. Elle n’avait pas encore vérifié toutes les chambres et autres installations, mais du peu qu’elle voyait, il y avait déjà bon nombre de choses à faire. Son regard s’attardera un peu plus vers son guide, reprenant un air plus basique après une râle.

— Quelles sont les diverses sanctions de cette caserne ?  Cela m’aidera déjà à me décider.

Elle ne connaissait pas trop la Caserne et risquait de poser des questions bien souvent. En tout cas, au vu de la question, ce n’était pas une question par hasard.

« Je ne crois pas qu’ils aient été mis au courant. Ce qui ne change rien aux habitudes qu’ils devraient avoir prises. » Les locaux doivent être nettoyés matin et soir, un coup de balais et de serpillère.

Les lits doivent être faits le matin. Les armoires impeccablement rangées et ordonnés, de même pour les cantines, les uniformes portés selon la norme réglementaire et le bandeau d’identification doit être clairement visible. Nous devons nous habituer à la discipline et cela passe par avoir une apparence physique irréprochable pour nos contacts avec les populations. De même, nous devons être exemplaires dans notre attitude et cela passe par acquérir une certaine discipline de vie. Si les quartiers de corvées ressemblent à une porcherie, cela ne motive pas à faire son travail correctement.
La chuunin a un long soupir exaspéré, fulminant de rage contre les apprentis qui tirent au flanc depuis des jours. Je pince les lèvres, mal à l’aise, partagée entre mon devoir d’obéissance à la hiérarchie et mon devoir de loyauté envers les gens de ma caste. J’ai un bref regard sur la liste de la Yuki et ne voit aucune note, pas une seule case de cochée.
Elle a un râle, puis me pose la question qui fait frissonner tous les genins de la caserne. La question des châtiments pour la discipline.

« Course à pied, pompes, du sport jusqu’à l’épuisement. Les autres sanctions incluent : se faire hurler dessus, corvée de nettoyage avec une brosse à dent, nettoyer les pierres dans la cour, » qui est en gravier, « selon le précédent cadre, les limites sont l’imagination du chef et les châtiments corporels légers. »

Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que nous allons faire des pompes et des tractions jusqu’à nous évanouir. Ou alors, puisque nous sommes en hiver, déblayer la neige dans l’allée à mains nues, sans gants. Si elle est vraiment de mauvaise humeur, courir en short et t-shirt dans tout Kumo, nous sommes en altitude, il fait froid et il y a du vent. Ou alors les trois en même temps. Devant nous, les genins attendent leur punition.
Certains sont crevés de trouille, d’autre au contraire, attendent presque avec un air de défi la sanction à venir. Néanmoins, ils ne disent rien.
La Yuki a les cartes en mains.