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Houjun est surnommé par quelques-uns « la perle du Nord », malgré sa proximité avec les zones les plus froides du pays, la cité est connue pour ses exploitations agricoles. On y produit du riz et dans les zones les plus pauvres, de l’orge et du millet, suffisamment pour nourrir la population locale et exporter de la nourriture dans les autres régions de Kaminari. La cité double en tant que station balnéaire grâce à sa proximité avec la mer et il n’est pas rare de voir des nobles en vacances à Houjun. Lorsqu’ils ne sont pas à la capitale, ils profitent d’un repos bien mérité dans leur résidence secondaire. Ce qui créé parfois un panorama étrange, entre les habitations plus modestes des fermiers salariés et au contraire, les riches exploitants qui ont des dizaines et des dizaines d’hectares de rizières. En ville, il y a foultitude d’hôtels particuliers, preuves que les affaires marchent bien, ils ont même une bourse au riz.
Selon la légende, les ancêtres de mon clan, les premiers Suibaku en exil, firent leurs premières armes ici. A devenir des voleurs de profession sur les étalages du marché local, à Houjun. Si ce n’est qu’une histoire pour inspirer les claniques, je lui prête volontiers une certaine vérité, car il est vrai que la cité est riche. Néanmoins, ce n’est pas pour voler les richesses locales que je suis ici aujourd’hui. Bien au contraire, c’est pour une mission avec une Kenkyusha, une scientifique de l’unité de recherche, que j’y suis. Ou plutôt, j’assiste une scientifique, en effet, ce n’est pas avec mon absence de galons que je vais pouvoir me distinguer aujourd’hui. Ma supérieure est Betsumei Ayako, une membre des unités spéciales de Kumo. C’est elle qui doit me rejoindre, j’étais déjà sur place et on m’a dit d’attendre son arrivée avant d’agir.
Nous avons pour ordre de réprimer les maraudes locales. Selon la notice de mission, des mercenaires profite de son statut pour extorquer les commerçants et brutaliser les travailleurs. Une cruauté qui n’a pas sa place au pays de la Foudre.
Mais je m’emballe. Il y a de nombreuses rumeurs qui agitent le pays, comme quoi une grande organisation préparerait un gros coup. Je ne peux confirmer ni infirmer ces on-dit, car j’enchaîne les tâches subalternes dans la région. L’ordre m’a été transmis par un messager, s’il y a eu un briefing étendu à Kumo, je n’ai pas pu y assister. On m’a simplement dit d’aller à Houjun et d’attendre l’arrivée d’une supérieure hiérarchique.
Je jette un œil au cadran solaire près de l’entrée Sud de Houjun. Normalement, Ayako devrait bientôt arriver. L’horaire était large, on m’a annoncé une date et un lieu, mais pas d’heure. Pour faire bonne figure, j’attends depuis l’aube près des écuries, assise sur un gros caillou à jouer aux dés contre moi-même.
Finalement, je vois une silhouette familière à l’horizon, ce n'est pas elle, mais un chuunin que je connais bien : Suibaku Masahiko, comme moi, un exilé du clan.
Lorsqu’il arrive à ma hauteur, je m’incline bien bas.

« J’ai été envoyé pour remplacer ta binôme. Elle a été envoyée ailleurs. Je suis là pour te seconder.
-Du coup, nous ne sommes que tous les deux sur une mission de rang B ?
-C’est cela, tu angoisses ?
-N… Non, je suis surprise de ce changement de dernière minute. »

« Ito Takami. » Masahiko jette un œil à mes notes avant de reprendre. « Un noble d’importance moyenne à Houjun, qui a pris la relève de son père il y a deux mois de cela. Son paternel est mort et comme le veut la tradition, c’est le fils qui reprend les affaires familiales. Il n’est pas du genre agréable, ni conciliant, c’est même quelqu’un d’ambitieux. C'est lui qui a engagé tous ces mercenaires fauteurs de troubles. »

Le blond a un soupir, il observe une carte du village de pêcheurs, la cité est grande, la bourse au riz de Houjun égale presque celle de la capitale, les maisons nobles sont nombreuses, quoique souvent délaissées. Takami fait partie de cette aristocratie locale, de ces gens qui sont nés ici et aspirent à de grandes choses. Comme beaucoup d’autres jeunes gens, il souhaite voir sa famille prospérer, quitte à en faire payer le prix au plus grand nombre.
Lassé de ce genre de mission dont il a l’habitude, Masahiko s’enfonce dans son siège, continue de lire paisiblement mon rapport avec une mine circonspecte. Takami délègue le travail, il a engagé des mercenaires pour extorquer des commerçants et faire des levées de fonds. Des pratiques qui ne sont au goût de quasiment personne, ni de la pègre locale qui se retrouve sans le sous, ni des habitants qui ne voient aucun intérêt à être pressés comme des citrons. La grogne monte et le responsable local ne fait rien.
Ce qui nous force, nous, ninjas de Kumo, à agir.

« Tu sais, » reprend Masahiko. « En voyant ton rapport, je me dis que c’est un problème somme toute assez mineur. Il s’agit de mettre aux arrêts quelques vauriens et rappeler aux civils que nous sommes là pour eux.
-Nous comporter en miliciens ?
-Tout de suite les gros mots. La police locale sera ravie de nous aider, j’en suis certains. Ces mercenaires sont des profiteurs, ils regretteront amèrement de s’être conduits en brigands quand ils finiront dans les cachots du Daimyo, j’en suis certain. »

Pour un ninja spécialiste de la démolition, je le trouve bien calme. Masahiko hausse les épaules, ne souhaitant pas particulièrement s’étendre sur le sujet. Il pose ma feuille de notes sur le rebord de la table et regarde par la fenêtre. D’un signe de main, il m’invite à le rejoindre et nous observons un peu la cité.
Une ville où on croise autant de riches que de pauvres, où il fait bon vivre quand on a les moyens. Certains tirent leur épingle du jeu, mais la plupart des riches le sont depuis un moment déjà. Le centre-ville est riche, la périphérie, un peu moins. C’est presque étrange, de voir de la criminalité au centre-ville d’Houjun, on aurait pu croire que la milice communale se serait chargée elle-même de ses bandits. Néanmoins, quelque chose doit les en empêcher, ou quelqu’un ?
C’est la conclusion à laquelle arrive mon camarade.

« Il doit y avoir un problème au niveau de la police. Ni l’armée, ni la milice n’agissent, c’est qu’ils ne sont pas dignes de confiance. Ils n’ont rien dit ?
-Je me suis annoncée en tant que ninja de Kumo et ils m’ont envoyé sur les roses. » L’artificier a un hochement de tête songeur.
« Alors je m’occuperai moi-même de leur tirer les vers du nez. » Il se lève, enfile sa veste et prend son équipement.
« Masahiko, attend ! » Le blondin s’interrompt. « Que dois-je faire en attendant ton retour ?
-Prépare de l’argile, beaucoup d’argile. Cette nuit, nous partons en chasse. »

J’ai un pincement de lèvres.
Ça va barder.

Marche de nuit dans les rues d’Houjun.
Comme l’avait soupçonné Masahiko, la police ne souhaitait pas agir. Ce sont pour la plupart des vigiles qui ont pour mission d’attraper des voleurs à l’étalage et des réprimander des ivrognes qui font du tapage nocturne. Mais jamais ils ne s’attendaient à devoir arrêter des mercenaires, des hommes avec des sabres qui rackettent les commerçants. Mieux encore, dans la petite troupe de volontaires que Masahiko a réuni, il y a des policiers, mais aussi quelques membres de la pègre locale. Des « gentilshommes » qui ont accepté de nous prêter main forte, pour rétablir l’ordre, mais aussi les vieilles taxes de protection. Celle que tout le monde accepte plus ou moins.
C’est une dizaine d’hommes qui nous suit dans la pénombre. Nous sommes au centre-ville d’Houjun, le chuunin aux cheveux d’or ouvre la voie. Nous nous dirigeons vers les quartiers des mercenaires, non loin du domaine Ito. C’est à cet endroit qu’ils dorment, Masahiko veut profiter de l’occasion pour réaliser un coup de filet et les arrêter tous en même temps. Ce qui ne devrait pas trop causer de problème, aux dernières nouvelles, ils n’ont aucun ninja avec eux. De ce fait, nous avons le champ libre pour les arrêter. Nous les mettons hors d’état de nuire et les autres se chargent de les attacher et de les ramener au poste de police.
Nous arrivons en vue de leur dortoir, un petit domaine muré, avec deux sentinelles qui discutent à leur poste de garde, devant la porte. Mon comparse Suibaku lève une main, me faisant signe de ralentir l’allure. Nous progressons à pas de chat et nous arrêtons à l’angle.

« Tu prends le petit avec le chignon, je me charge du grand barbus. » Nous avons un blanc, « sans explosion évidemment.
-Tout en silence. »

Le temps de prendre une inspiration.
Nous fonçons sur la paire. Masahiko envoie un coup de genou dans la poitrine du premier, je frappe le second à la gorge, lui envoie un coup de pied entre les jambes et lui fait une prise du dormeur. Ou du moins, j’essaie. Mon aîné assomme le barbu d’un coup de poing au visage et me regarde lutter.

« Continue, tu t’en sors très bien, » l’autre se débat entre mes bras. J’essaie de bloquer l’afflux de sang au cerveau mais il lutte. « Ne t’inquiètes pas, ça prend du temps avant de trouver le coup de main. » J’encaisse un coup de coude dans les côtes. « Attend, je vais lui tenir les bras. » Une longue minute passe et finalement, il s’endort.

Je le laisse tomber au sol et reprend mon souffle.

« Crochète la serrure du portail. » La police nous rejoint.

Crochet de raclage et clef de torsion sont les deux favoris de tout cambrioleur qui se respecte. Je bloque la serrure dans un sens et fait quelques va et viens, avec le crochet de raclage. En une seconde, le portail s’ouvre. Masahiko ouvre le chemin, je m’engouffre à sa suite, alors que nous fonçons dans la gueule du loup. Derrière nous, les deux sentinelles sont mises aux arrêts. Devant ? Plusieurs chalets où dorment les hommes de Takami. Il y a une petite cour avec un étang au centre, c’est un silence de monastère qui nous accueille. Mon collègue sort une grenade.

« Fait les guets, je n’en ai pas pour longtemps. S’il y a un fuyard qui essaie de nous échapper, tu t’en occupes. »

Un peu forcée d’obéir aux ordres, je me positionne à l’angle, sur la muraille et surveille. Les arrestations suivent une procédure bien huilée : Masahiko entre en tête, balance une grenade pour sonner tout le monde, puis la garde s’occupe de les ligoter. J’observe le déroulement, puis un mouvement à la périphérie de ma vision me fait sursauter. Un homme qui saute par-dessus la muraille avec une agilité de fauve. Un ninja à n’en point douter.

« Stop ! Arrêtez-vous ! » Il se retourne.

Je bondis à sa hauteur et nous nous faisons face quelques instants.
C’est une ombre, toute vêtu de noire et aux sacoches pleines de shurikens qui me fait face. Avant que je ne puisse dire quoique ce soit, il prend l’initiative et me fonce dessus au contact. J’ai à peine le temps de tirer mes grenades que je me retrouve coincée avec lui au corps à corps. Je me prends un coup au visage, un autre dans le tibia, je tombe à genou, il enchaîne sur un coup de genou en pleine face.
Avant que je ne comprenne ce qui se passe, le noir, le silence.

« Tu t’es bien battue. » Ricane Masahiko en m’offrant une serviette glacée.

Je la pose sur mon front et mon visage, en espérant que mon visage dégonfle avant la fin de la journée. Nous avons croisé un ninja durant l’arrestation, il s’est enfui après m’avoir copieusement fracassé. Je suis tombée au sol et il m’a roué de coup sans que je puisse me relever, à demi-consciente, si je ne m’étais pas protégé la tête par instinct, je serais sans doutes morte à l’heure qu’il est.
Pour être tout à fait honnête, je ne trouve pas l’humour de mon comparse très agréable : j’ai une tête de hamster, des ecchymoses sur tout le corps et mâcher me fait mal. J’hésite très sérieusement à manger de la soupe ce soir, mais ça, ce n’est pas un détail glamour de la vie de ninja. Je lui adresse une moue boudeuse.

« Aller, » reprend le chuunin. « C’était pas trop mal hier soir, la neutralisation au corps à corps et le travail de surveillance. Dommage que tu ais été surprise par un ninja.
-Takami a engagé un homme de confiance pour surveiller ses arrières.
-Il faut croire, nous n’avons aucune preuve, nous ne pouvons pas l’arrêter à ce sujet. Néanmoins, j’ai toute confiance en la police pour presser comme des citrons les voyous qui ont été arrêtés avec notre aide. Il est évident qu’ils auront beaucoup de choses à dire, en particulier sur leur employeur. » J’ai un bref sourire.

Cette pensée me console un peu, alors que nous sommes dans notre planque à Houjun, en train de surveiller la maison Ito qui est un peu plus loin. La justice a parfois besoin d’aide pour faire son travail et aujourd’hui, nous sommes en charge régler une bonne fois pour toutes ces affaires de racket. Mais si nous avons traité les symptômes, il reste encore à traiter l’origine du mal et sans preuves, nous ne pouvons pas débarquer chez Takami pour lui passer les menottes. Comme si de toute manière, nous en aurions l’occasion. Il doit avoir renforcé la sécurité chez lui, s’il a d’autres ninjas à sa botte, il doit être sur ses gardes.
Je ne devrais pas, mais j’ai une certaine rancœur envers le type qui m’a assommé puis passé à tabac.

« C’est quoi le plan chef ?
-Tu me donnes du chef maintenant ? » J’allais protester, que nous sommes en mission et qu’il incarne une figure d’autorité, mais il a un petit gloussement flatté, qu’il accompagne de son traditionnel sourire en coin. « Je vois que ça apprend vite les us et coutumes de l’académie. Pour un esprit libre qui a réfuté les croyances de notre clan, tu ingères bien vite celles de Kumo.
-Kumo n’incite pas au vol.
-C’est vrai. D’ordinaire, je te demanderai quel est la différence entre les vols éhontés des Suibaku et les impôts que prélève Kumo pour se financer, mais… Compte tenu de la situation actuelle, ce serait de mauvais goût, on me croirait membre du Jinsei. » J’aurais bien du mal à le voir en terroriste.

Il a refusé de voler un vase, ce n’est pas pour commettre des actes odieux contre Kaminari et ses habitants. Mon camarade fait quelques pas dans la cuisine, se forçant à jeter un œil au riz à cuire. D’habitude, je suis préposée à la cuisine, mais il a jugé bon de s’en occuper aujourd’hui. Nous verrons si c’était une erreur ou au contraire, une bonne idée. En tout cas, l’attention me touche : je ne me voyais guère aux fourneaux avec mes bleus.

« Momiji, dans quelques jours, nous aurons les aveux des voyous locaux et nous pourrons mettre fin à toute cette histoire. Tu sais ce que cela veut dire ?
-Que nous rendrons une petite visite à Takami ?
-Si ce n’est pas lui qui vient nous voir en premier, avec ses ninjas. » Ah…

Je ne m’attendais pas à une telle réponse.
Je reprends de la glace : il faut que ces ecchymoses se résorbent au plus vite.