Objectifs:

Sculptée, c’est ainsi que je décrirais Mekata Nanabe, une jeune fille qui tire sur la fin de son adolescence et à en juger par son physique de statue, adepte du corps-à-corps. J’ai un petit sourire, pleine d’entrain, elle semble plus investie dans cette mission de routine que je ne le suis. C’est une surveillance des lieux pour rassurer les populations et à l’occasion, patrouiller les pistes à la recherche de bandits, s’il n’y a rien d’extraordinaire dedans, c’est le genre d’opération qui peut vite barder. Pour cette raison, je garde un œil ouvert alors que nous assurons la relève : le temple de Susanoo est un grand édifice, construit en hauteur et en proie à un temps orageux.
Si les chemins de pèlerins ont retrouvé un calme tout relatif, je doute que les bandits soient partis pour autant, ils doivent chercher un autre moyen de dévaliser les voyageurs qui cherchent à s’obtenir les bonnes grâces du Dieu de la foudre. En attendant que ce problème soit résolu définitivement, nous devons surveiller le périmètre et si nous le pouvons, intercepter les voleurs de grands chemins qui sévissent dans le coin.
Je salue le duo père-fils et alors que nous prenons quartiers, ma binôme me pose quelques questions.

« Oui, j’ai eu une formation en sensorialité, je m’y connais un peu en détection. Je garderai l’œil ouvert. Néanmoins, je doute que nous trouvions quoi que ce soit depuis cette tour de guet, si des bandits partent en maraude, ils éviteront soigneusement le coin. Si cela ne te dérange pas, à l’occasion nous devrions partir en ronde. »

Patrouiller les routes, inspecter les sentiers en quêtes de passages inhabituels.
Néanmoins, il y a plus urgent à faire d’abord, je pose mon paquetage dans un coin, déploie le tapis de sol puis pose mon sac de couchage. Avant de partir, nous devrions voir si les anciens occupants nous ont laissé un petit cadeau : une carte, des notes particulières.

« Tu as parlé avec les Omuraji, ils t’ont dit quelque chose sur leurs itinéraires de patrouilles, des incidents qu’ils auraient pu rencontrer ? Ils se sont plaints de l’administration, mais ce n’est hélas pas de notre ressors, n’ont-ils rien signalé sur la sécurité des pistes ? »

Ce n’est pas anodin qu’on se plaigne des autorités locales, néanmoins, ce n’est pas notre mission. Nous devons veiller à la sécurité des pélerins.

« Oui bien sûr, installons notre barda à notre retour de patrouille. » Nous redescendons promptement de la tour de guet.

C’est une petite marche dans les alentours Sud du temple qui nous attend. L’occasion de discuter un peu et de découvrir un peu la région. Si je suis déjà allé au temple, je n’ai pas l’habitude d’inspecter les petits chemins et ce sera l’occasion de rechercher des traces de passage. Si des bandits rôdent dans les fourrés, ils auront sans doute une planque ou un itinéraire privilégié au travers de la végétation. La forêt est dense dans cette parcelle de la forêt, nous trouverons facilement une anomalie si elle se présente à nous.
J’allais dire que Nanabe est bien silencieuse, un choix que je respecte, mais elle me donne tort en esquissant une remarque sur mon clan d’appartenance, une simple phrase un peu gênée, ou du moins, c’est l’impression que j’en ai.

« Je viens du clan Suibaku en effet. Mais je n’en fais plus partie depuis dix ans déjà. Je l’ai quitté lors du rituel d’initiation, je ne souhaitais pas commettre un vol pour mériter ma place au sein du clan. » Certains disent que c’était une erreur, que j’aurais dû me soumettre à cette tradition symbolique, mais je ne souhaite pas honorer un passé de criminel.

Aujourd’hui, le clan doit montrer patte blanche et les ninjas de Kumo doivent faire de même, parfois, j’ai l’impression que cette réputation me colle à la peau et nuit à mon image. Néanmoins, je n’ai encore jamais eu de problèmes avec mon nom de famille. Pas ouvertement et tant que cela reste ainsi, je n’ai pas de raison de me questionner sur celui-ci.

« Je maîtrise l’argile explosif, comme les autres de mon clan. Néanmoins, cela fait longtemps que je ne suis pas retournée au sein du domaine, je ne fais pas partie de leurs affaires internes si je puis dire cela ainsi. » Ce qui m’arrange, je n’exclus pas toutefois qu’un jour, si je monte en grade, on me rappelle.

Toutefois, ne mettons pas la charrue avant les bœufs.

« Et toi ? Le clan Mekata, c’est le contrôle de la densité si j’ai bon souvenir, tout va bien de ton côté ? »

J’écoute avec attention les paroles de Nanabe, qui me rappelle qu’entretenir de bonnes relations avec son clan est toujours utile. De manière général, avoir des relations et des amis est toujours utile. Ensuite, en fonction de ses ambitions et de la volonté de chacun, il faut trouver son compte, se faire des amis, savoir se protéger. Néanmoins, je ne porte pas spécialement à cœur les intérêts de mon clan : ils sont en mesure de se prendre en charge, je ne peux pas et ne souhaite pas particulièrement devenir chef de clan un jour. Bien sûr, comme elle le dit, un jour peut-être auront-ils besoins d’un représentant, mais ce jour n’est pas encore venu et j’espère qu’il ne viendra jamais.
Je suis Momiji plus que je ne suis une Suibaku. J’ai des liens de parenté avec les Suibaku et j’apprécie ma famille directe. Ainsi soit-il.
La Mekata en est probablement venue aux mêmes conclusions puisqu’elle a quitté son clan pour poursuivre des objectifs personnels. J’ignore quelles sont ses raisons, mais elles doivent être respectables. Nanabe a l’air d’être une personne courtoise, intelligente et sympathique. Je la vois mal trahir son clan purement par appât du gain. Encore que l’appât du gain est quelque chose de très subjectif.

« Tu as probablement raison. Néanmoins, j’attends d’être confrontée à la situation avant d’émettre une réponse définitive. On ne sait jamais de quoi l’avenir est constitué. » Le reste de la patrouille s’éternise un peu, nous patrouillons les routes à la recherche de traces de bandits, mais rien du tout.

En dépit, nous retournons à la tour de guet, en espérant que notre prochaine patrouille soit plus fructueuse. L’occasion pour moi de poser quelques questions à Nanabe sur la situation à Kumo. Le Jinsei s’agite beaucoup et avec les troubles qui en découlent, il nous faut lutter contre son influence dans le pays de la foudre.

« Tu penses que le temple de Susanoo court un grand danger ? Ou alors s’agit-il simplement d’attaques de bandits, sans lien avec la politique actuelle ? Il y a des rumeurs qui courent sur la menace du Jinsei dans le Nord, mais ici ? » J’écoute attentivement sa réponse.

Ensuite ? Nous arrivons à la tour de guet et je monte les escaliers pour rejoindre le sommet. Quelle n’est pas ma surprise en voyant trois personnes en train de fouiller dans nos affaires. Je crois que nous avons trouvé nos brigands : un trio de voleurs en guenilles, avec des sabres rouillées et à l’air hirsute. J’ai un hochement de tête un peu confus : s’ils sont du Jinsei, alors Kumo n’a rien à craindre. J’échange une moue surprise avec eux, puis mon regard se porte vers Nanabe.

« Qu’est-ce qu’ils font ici ? Tu les as invités ? » Je me tourne vers les trois voleurs. « Qui vous a autorisé à fouiller dans mon sac ? »

L’analyse de Nanabe fait preuve d’une certaine de justesse, le Jinsei ne s’arrêtera pas avant d’avoir conquis tout le pays. Il s’est implanté dans le Nord car c’est la zone la plus lointaine de Kumo et de la capitale, donc les moins influencés par les ninjas de la foudre. Nous devons réagir avec force à ces attaques, qui ne présagent rien de bon.
Toutefois, la surprise que nous avons à la tour m’empêche de réagir autrement que par la surprise et j’en perds mes moyens. Pourtant, alors que j’imaginais déjà un bain de violence avec une Nanabe en furie face aux voleurs, c’est avec une bonté rare que je la vois offrir ses rations aux trois brigands devant-nous. Preuve que la compassion est bien une vertu des ninjas de Kumo, pour être honnête, c’est même avec surprise que j’appréhende la scène. Je m’attendais à une bagarre, conditionnée par l’académie et l’habitude des rencontres violentes.
A la place, Nanabe brise le sabre de son assaillant et nous rappelle à tous les objectifs de la foudre : défendre le pays, protéger le peuple. Une affirmation qui me laisse songeuse alors qu’elle offre une partie de ses rations. Je tarde à réagir et fait de même, attrapant mon sac avant de sortir deux rations à mon tour pour les offrir aux… brigands ? Affamés ?

« Excusez-nous pour ce vol, » déclare l’un des voleurs de grand chemin en acceptant nos provisions, les yeux rivés vers le sol, honteux. « Nous pensions que Kumo nous avait abandonné. C’est pour cela que nous avons commencé à voler. » J’ignore s’il s’agit des mêmes brigands que ceux qui ont attaqué les caravanes de marchands, en tout cas cela m’étonnerait fort que trois hommes affamés et émaciés comme eux aient pu attaquer des groupes entiers. « Nous vous remercions pour votre gentillesse.
-Ce n’est rien. Kumo est peut-être loin, mais nous essayons toujours de venir en aide aux habitants de la foudre. En particulier les plus démunis et ceux qui ne peuvent plus se débrouiller seuls. En rentrant, nous tâcherons de signaler la misère locale au Raikage, pour que des mesures soient prises.
-Merci de votre clémence et excusez-nous.
-Ce n’est rien, mangez à votre faim ce soir et évitez de recourir au crime pour vous nourrir si vous en avez la possibilité. » Je tourne mon regard vers Nanabe, lui laissant la parole.

Une fois toute cette affaire réglée, alors que nous sommes dans la tour de guet, mon esprit cogite un petit peu. Beaucoup même, alors que je suis drapée dans ma couverture, à veiller en attendant que le soleil se couche. J’ai du mal à comprendre comment nous en sommes arrivés là. Pourquoi des gens ont faim à Kumo, pourquoi le Jinsei, pourquoi toutes ces missions de paix en urgence pour débloquer une situation qui enfle.

« Nanabe, est-ce que Kumo est en train de faillir ? »

Les paroles de Nanabe mettent du temps à venir. A sa décharge, ma question n’était pas du genre simple, en particulier par les temps qui courent : la guerre contre le Jinsei, les troubles civiques qui en découlent, la jeunesse du village. C’est un baptême du feu pour la plupart d’entre nous : bien sûr, nous nous sommes battus, nous savons à quoi ressemble le combat. Mais il y a une différence entre mener quelques escarmouches et participer à un conflit national. La réponse de ma camarade résume assez bien ce qui nous attend : un défi. Un défi pour nous tous, le village doit faire ses preuves et la Raikage aussi. Si j’ai toute confiance en elle pour nous mener à la victoire, le doute est permis.
Comme le dit si bien la Mekata, c’est la première crise majeure que le pays et le village doivent affronter. Le Jinsei a avancé ses pions, il a prouvé sa dangerosité, désormais, il nous faut nous protéger et lutter contre l’ennemi invisible. Hélas, ils ne portent pas d’uniforme et si nous devons maintenir la paix, nous devons aussi contre-attaquer, ce qui n’est pas une mince affaire. Nous n’allons pas assassiner des paysans affamés. Peut-être que le Daimyo accepterait ce genre de dérapage, mais à mes yeux, cela va à l’encontre de tous les idéaux chevaleresques qu’on a pu m’inculquer. Je crois en une justice équitable, bienveillante.
Peut-être que détruire la prison d’Arashi était justifié, mais relâcher des milliers de criminels dans la nature, faire la guerre aux villages ninjas, ne semble pas la bonne solution. On dirait des mensonges, une pâle justification pour semer le trouble et faire émerger un ordre nouveau, qui serait plus en faveur de ces terroristes.

« Alors, » mes paroles sont incertaines, j’ai toujours du mal à y croire. « Les dés sont jetés. »

C’est une sensation étrange, de se savoir en guerre. Ça ne ressemble pas à ce que j’imaginais. Je pensais qu’il y aurait plus de violence, d’explosions et de sang. Au final, notre premier combat fut contre des paysans affamés, si on peut dire qu’il y a eu confrontation. Je me recroqueville un peu plus dans mes couvertures, pensive.

« Nous sommes en guerre. Nous triompherons, mais à quel prix ? » Je me rends compte que je dois avoir l’air un peu défaitiste, roulée dans mes couvertures. « En tout cas, tu peux compter sur moi Nanabe. »

Nous serons à la hauteur.
Mais d’abord, retournons au village, il y a un rapport à taper.
Lorsque la relève arrive, c'est avec un grand soulagement que nous faisons notre sac pour repartir à Kumo.