Jour de corvée aux casernes et dans les locaux collectifs. Une manière très sympathique de dire que nous passons la serpillère partout où les chuunins et les jonins ne la passent pas. C’est-à-dire partout.
Heureusement, la journée touche à sa fin et nous allons pouvoir rentrer chez nous. Notre chef, un officier qui attend avec impatience sa prochaine affectation, nous passe en revue et au bout d’un instant, a une moue satisfaite.

« Très bien, tous ceux qui ont terminé le boulot, faites un pas en avant. » Toute la section fait un pas en avant. « Pas si vite Momiji, pas si vite Keiko. » Je serre les dents. « Vous autres, vous pouvez y aller. » Le cadre se retourne vers nous. « Vous deux, vous restez. »

Les autres genins nous accordent quelques regards un peu désolé, ils prennent congés alors que nous restons dans la cour. C’est la fin de la semaine, j’aimerais rentrer chez moi et retrouver mes sculptures, mais ce n’est pas au goût de notre responsable. Un grand homme à la mâchoire carré, qui a toujours un grand sourire sur les lèvres et un air avenant. Trois traits de visage qui transforment chacun de ses ordres en un sarcasme pince-sans-rire. Yamabushi est très sympathique, mais parfois, il fait un peu peur quand il donne les consignes. Nous avons toujours cette impression qu’il est lassé de la discipline, qu’un jour il va frapper un subordonné de toutes ses forces.
Il ne crie jamais, il ne s’énerve pas, sa patience est sans limite. Pourtant, si un jour il devient tout rouge et s’emporte, nous ne serons pas étonnés. Ce jour-là, j’espère que je serai loin, car Yamabushi est très fort et depuis son divorce, il se consacre corps et âme aux arts martiaux. Il pousse de la fonte pour anéantir ses regrets. À en juger par son assiduité légendaire à la salle de sport et sa musculature finement dessinée, il en a beaucoup, que dis-je, c’est un puits intarissable.
Yamabushi reprend la parole.

« Mesdemoiselles, j’ai besoin de votre aide. » Mes yeux ne s’arrondissent, il ne va quand même pas… « Non, je ne vais pas vous demander de me rabibocher avec mon ex-femme. » Nous pourrions, je suis sûr que c’est un défi qui serait à notre hauteur. « Par contre, j’ai assez de problèmes de cœur avec elle, pour devoir subir ceux des autres. J’ai deux genins sous mes ordres qui n’arrêtent pas de se tourner autour : Nanami et Kensuke, quand l’un est absent, l’autre me harcèle de questions sur comment aborder l’autre. Je ne suis pas un grand frère. » Vraiment ? Aux dernières nouvelles, c’est le plus sympathique de tous les jonins. « Bousculez leur routine, trouvez un moyen pour qu’ils sortent ensemble et soient heureux. »

Il nous laisse une seconde pour assimiler les ordres.

« Allez, je vais être sympa, je ne suis pas censé vous demander cette faveur. Donc faites le et je vous inviterai pour des ramens et une bière au Banzai Sakura. » Le restaurant où les jonins vont dépenser leur solde ?

Ce serait un grand honneur.
Il lève le pouce d’un air rassurant avant de disparaître dans un nuage de poussière, nous laissant seules dans la cour de l’académie. Il commence à se faire tard, le soleil commence déjà à se coucher et une teinte orange recouvre les bâtiments. Les deux amoureux doivent être à l’intérieur, en train de terminer le rangement des archives. J’ai un bref regard vers Keiko.

« Pauvre Yamabushi, j’espère qu’un jour il réussira à se réconcilier avec sa femme. Une suggestion avant de démarrer cette petite mission officieuse ? »

Qui sait, je suis sûre que nous pourrions faire bien plus que mettre ensemble deux genins qui s’aiment déjà. Cela semble un peu facile, mais nous pouvons nous en contenter pour ce soir.

Cela faisait plus de deux mois que Keiko enchainait les missions dont la difficulté allait crescendo. Les dernières en date l'avaient mené à traverser Kaminari en long en large et en travers. Heureusement que la sensorielle n'était encore qu'une Genin sinon elle aurait sûrement été affectée à des missions partout dans le monde. Ironiquement, elle n'attendait que ça ! Pas forcément la promotion et la possibilité de diriger une équipe mais plutôt l'opportunité de voir un peu le monde. Un rêve de gosse pour la jeune femme qui avait longtemps été cantonnée à la forêt bordant le Pays du gel. Une vie qu'elle avait choisi très tôt, voulant surtout s'éloigner très loin de la capitale et d'un clan très militariste certes mais diablement politisé.

Et puis l'arrangement floral c'était clairement pas son truc...

Si Keiko n'avait pas de mission en ce jour, elle ne pouvait pourtant pas trouver le réconfort dans l'entrainement ou même les bains publics. En effet, c'était jour de corvée pour les kumojins. Si la sensorielle avait souvent voulu râler à cause des missions anodines qu'on lui avait assigné depuis sa promotion, elle n'était pas du genre à la faire ne public. C'était un peu le même refrain en ce qui concerne les corvées. Il fallait bien en passer par là à son grade. Une raison de plus d'être promue au rang de Chûnin. Keiko faisait ainsi contre bonne fortune bon cœur, se disant qu'il s'agissait d'un simple mauvais moment à passer. Alors qu'elle s'apprêtait à rentrer à la maison, elle est prise à partie par l'officier responsable. L'ironie du sort voulu qu'elle n'ait pas à traverser ça toute seule. La sensorielle tourna la tête et découvrit Momiji à ses côtés. Elle lui offrit un léger sourire avant de reporter son attention sur leur bourreau tandis que les autres kumojins quittaient les lieux en toute hâte.

De peur que l'officier se ravise et rappelle tout le monde sans doute...

Keiko resta impassible en écoutant les mièvreries que leur débitait ce Yamabushi. Si l'ancienne militaire acceptait énormément de choses en ce bas monde, étant plutôt conciliante, il fallait avouer que les choses de l'amour lui étaient complètement étrangères ! Elle s'y connaissait un rayon en matière de sexe, les privilèges d'être en autarcie au sein d'un petite unité bien planquée de l'armée, mais l'amour ? Putain de merde ! Elle dut se retenir pour ne pas jurer devant les autres ! Elle en avait reçu des missions pourries qui lui avaient hérissé les poils mais là c'était le pompon ! Elle jeta un coup d'oeil inquiet vers Momiji, espérant que cette dernière se montre heureuse de la nouvelle. Et accessoirement que la jeune femme s'y connaisse en la matière. La sensorielle soupira lorsque l'officier disparut.

"Pauvre de lui et... Pauvre de nous. Je t'avoue que... Comment dire... Cette mission comme tu dis, c'est vraiment pas mon rayon. Je sui une militaire de carrière et j'ai passé dix années au fin fond de la forêt. J'imagine qu'on pourrait demander à leurs compagnons ce qui les motive et leurs centres d'intérêt ? Peut être qu'un rencard autour d'un thème qui leur est familier fera des merveilles ?"

Keiko, à ma grande surprise, m’avoue manquer d’expérience en la matière, comme quoi l’amour n’est pas son rayon. Toutefois, ses suggestions témoignent du contraire : le rendez-vous sur un thème particulier ou un centre d’intérêt commun aident beaucoup à forger des relations stables. Pour une fille qui n’a pas vraiment d’expérience amoureuse, elle a de bonnes idées. J’ai un sourire.

« Oui en effet, ce serait pour le mieux, discuter avec eux, comprendre d’où vient le coup de foudre. » Naturellement, nous commençons à marcher. « Dix ans au fond de la forêt, ce doit être quelque chose. Tu dois avoir l’expérience de la nature et des animaux du coup. »

Nous entrons dans le bâtiment principal de l’académie, les archives sont au deuxième étage. Nanami et Kensuke doivent être en train de ranger à l’heure qu’il est, ce qui laisse toute liberté à leur maître de discuter avec les enseignants. Quant à nous, nous commençons à avoir l’habitude de l’académie ninja : nous y étions déjà allés pour une mission précédente. En chemin, j’en profite pour détailler un peu ma manière d’appréhender la mission.

« Selon toute vraisemblance, ils doivent avoir des affinités communes s’ils s’entendent bien. Il faut simplement donner un peu d’élan à leur relation pour qu’ils soient enfin un couple, ça ne devrait pas être trop difficile. D’ailleurs, en parlant de leur équipe… »

Le troisième disciple de Yamabushi est devant les archives, à trier de gros cartons remplis de paperasse. C’est une adolescente sportive, avec des petites lunettes jaunes qui nous salue bien bas lorsqu’elle nous aperçoit.

« Bonsoir mesdames, comment puis-je vous aider ? » J’ai un petit sourire.

On peut dire ce que l’on veut, mais Yamabushi adore inculquer le respect et les bonnes manières à ses élèves. C’est une sensation agréable que d’être saluée avec toutes les convenances, même lorsque nous sommes de simples genins.

« Bonsoir, Nanami et Kensuke font partie de ton équipe n’est-ce pas ?
-Oui, vous avez besoin d’eux ?
-Disons que ma camarade est moi nous disions qu’il fallait faire quelque chose pour eux.
-Ah oui… » la sportive comprend très vite. Elle a un hochement de tête avant de reprendre. « En effet, il faudrait leur forcer la main. Ils sont amoureux l’un de l’autre, mais ils ont une peur panique de se faire rejeter, quand bien même ils passent leur temps à rougir quand ils s’échangent un regard. Par les kamis, si vous pouviez faire quelque chose, ça m’arrangerait bien. Je commence à en avoir assez de les voir jouer aux tourtereaux. »

J’ai un regard vers Keiko.

« Tu veux commencer avec les questions ? »

"Si t'as besoin de conseils pour traquer ou chasser du gibier, n'hésite pas. Haha."

Keiko répondit après un léger rire nerveux, visiblement légèrement mal à l'aise. Si elle était fière de son service et de ses dix longues années passées à arpenter la frontière de Shimo, elle avait encore du mal à en parler autour d'elle. Du moins de tout ce qui ne touchait pas à son job en lui-même. C'était sans doute un réflexe découlant de son appartenance à un Clan important de la Capitale. Difficile de parler de sa vie de plébéienne dans ces cercles là. Même si elle ne doute pas de ses capacités à attirer l'attention de tous ces nobles oisifs à la cour du Daimyo à l'affut de la moindre chose qui sort de l'ordinaire. Et sa vie d'avant fut aussi critiquée par les élèves de l'Académie durant son court séjour au sein de cette dernière. Des gosses de riches là aussi. Du coup c'était dur de se confier à quelqu'un comme Momiji qu'elle connaissait encore très peu. Elle acquiesça et emboita le pas de sa jeune partenaire jusqu'à une kunoichi aux allures de sportive.

"Bonsoir !"

Keiko sourit de plus belle, apparemment très heureuse de rencontrer le troisième membre de l'équipe de Yamabushi. S'il avait fallu arracher les vers de nez des amoureux, ça aurait pu être vachement plus compliqué. Avoir leur collègue et ami, quelqu'un qui les connait très bien va leur faciliter grandement la tâche. La sensorielle se demandait d'ailleurs si elle partagerait ce genre de relations avec ses partenaire de la Team Z un jour. Elle avait tout de suite bien accroché avec Hiroki, le Chûnin dirigeant l'équipe mais ne connaissait pas encore bien Hien, le spécialiste du Genjutsu et son amour pour les champignons. C'était sans doute une question de temps. Momoji lui laissa mener l'interrogatoire. Si cela ne lui changeait pas de certaines de ses attributions récentes, la Genin étant une spécialiste de la torture, la cadre était somme toute assez différent de ce dont elle avait l'habitude ! Elle préféra évidemment aller droit au but.

"Croyez-moi vous voulez pas vraiment qu'ils se montrent ouvertement amoureux. J'imagine déjà le carnage en mission. Mais bref, que pouvez-vous nous dire sur leurs centres d'intérêt ? Ils pratiquent un sport ou ont un hobby particulier ? Un endroit qu'ils fréquentent souvent peut être ?"

C’est un léger malaise qui s’empare de ma camarade, Keiko, alors qu’elle répond à ma remarque. Une petite phrase sur la chasse pour le gibier. Néanmoins, je détecte un certain inconfort que j’attribue à la mission, mais aussi peut-être à la conversation : il est possible que Keiko ait eu de mauvaises expériences dans les bois. Ne souhaitant pas remuer des souvenirs désagréables, je me contente d’un hochement de tête : j’ai eu une formation assez basique en matière de traque, ses conseils me seraient d’une grande aide. Si je souhaite me perfectionner, les enseignements de ma comparse seront utiles.
Satisfaite d’avoir pu rencontrer une personne qualifiée pour répondre à nos questions, elle enchaîne directement sur les informations à savoir. Avec un entrain qui me surprend, je dois l’avouer : j’aurais imaginé Keiko plus laconique. Je réprime un petit gloussement en l’entendant faire un commentaire sur cette histoire d’amour. Peut-être que c’est une mauvaise idée, mais il faut que jeunesse se fasse : mieux vaut qu’ils aient des remords que des regrets. Ma camarade interroge la sportive, qui a un hochement de tête avant de répondre directement.

« De souvenir, ils vont souvent nager au lac en été. Mais ce n’est pas vraiment la saison… » Il fait encore trop frais et elle s’empresse de nous délivrer plus intéressant. « Ils jouent souvent au shogi ensemble et font du modélisme.
-Du modélisme ? » Ma question ne la surprend pas.
« Oui, ils peignent des petites figurines. Ils sont en train de faire un samouraï, pour un jeu de plateau. Sinon, Nanami fait de la boxe et Kensuke lit beaucoup. C’est le modélisme qui les passionne tous les deux. Pour l’endroit… » Elle cherche dans sa mémoire. « Ils traînent souvent aux ramens.
-Les ramens ?
-Oui, ils adorent manger des nouilles. Si vous les cherchez et que nous ne sommes pas en mission, ils sont au restaurant sans doute. »

La jeune ninja jette un œil autour d’elle, puis se penche vers nous avant de nous demander sur le ton de la confidence :

« C’est Yamabushi qui vous a envoyé hein ? Je savais qu’il était las de les voir se tourner autour, mais je ne pensais pas qu’il enverrait deux genins résoudre le problème. » Pourtant, le jonin-judoka s’est décidé à agir.
« Il faut croire que monseigneur est moins patient que tu ne le pensais. »

C’est compréhensible : il doit souffrir de son divorce. Le couple au sein de son équipe doit lui rappeler de mauvais souvenir. Néanmoins, au lieu de les brimer pour cela, il essaie de leur faciliter la tâche. C’est très noble de sa part, même s’il prend peut-être un peu trop au sérieux son rôle de professeur, de guide ? Qu’importe, j’ouvre la porte des archives et en voyant les kilomètres d’étagères, de livres, de rouleaux, d’index et de dossiers, je hoche poliment la tête. Nos deux tourtereaux doivent être tout au fond, en train de ranger les derniers papiers à remettre en ordre. Une tâche bien difficile, surtout quand on voit l’allure du stockage et son organisation. Néanmoins, nous avons une mission, il n’est pas l’heure de disserter sur les bibliothèques de Kumo, nous aurons tout le temps plus tard.
Je me tourne vers Keiko.

« Un plan d’attaque ? Je pensais discuter un peu avec Nanami, lui dire que Kensuke a quelque chose de très important à lui dire. Ou alors, lui dire sincèrement qu’une conversation à cœur ouvert est le meilleur moyen d’avouer ses sentiments à quelqu’un. Agir comme une grande sœur en somme. » Ce que je fais d’habitude en famille. « Tu pourrais aller parler à Kensuke, lui dire la même chose. Peut-être qu’ainsi, ils arriveront à se parler l’un l’autre, qu’en penses-tu ? »

Keiko écouta avec attention la Jônin et s'évertua à retenir toute cette fichue liste de loisirs et d'activités que les amoureux privilégient. C'était pour le moins incompréhensible pour la sensorielle dont l'adage était plutôt de se concentrer sur une seule activité afin d'être une experte plutôt que d'étaler ses capacités telle de la confiture sur un toast trop grand. Remarque c'était la même chose pour la culture : Moins t'en as, plus tu l'étales. Les journées de la Genin étaient très règlementées et tournaient soit autour de ses missions, soit autour de l'entrainement lorsqu'elle n'était pas en mission. Inutile de préciser que ces derniers temps, elle n'avait pas eu énormément de temps pour parfaire ses techniques. La requête du jour avait plus l'air de vacances qu'autre chose. Si la militaire de carrière aurait envoyé bouler ce genre de requêtes avant son arrivée à Kumo, elle se trouvait dans l'incapacité de la faire à présent.

Par empathie et solidarité bien entendu.

Keiko laissa échapper un gloussement. Heureusement pour elle, ce fut lorsque la sportive évoqué le restaurant de ramens. Une passion pour la bouffe ? C'était plutôt légitime pour le coup. A tel point qu'elle ne trouva rien à redire ! Enfin jusqu'à ce que la kumojin commence à parler toute seule. La sensorielle lui emboita rapidement le pas jusqu'aux archives. Un endroit qu'elle avait déjà visité par le passé à son plus grand regret. Elle était une femme de grands espaces, à sa place en pleine nature. Dix ans en plein forêt laissait des traces... Mais elle pouvait cependant faire contre mauvaise fortune bon cœur et prendre sur elle. Elle écouta avec une attention particulière le plan de sa jeune partenaire.

"C'est parfait. Tu t'occupes de la fille et moi du gars. C'est compris. Le but c'est qu'ils se retrouvent ensuite au restaurant de ramens ?"

Keiko répondit de manière laconique, visiblement contente d'avoir à faire avec un homme sûrement plus brute et plus enclin à sa version des relations amoureuses. Elle se retourna éventuellement pour poser une dernière question mais n'attendit pas de réponse et s'enfonça dans les immenses archives. Vu sa chance légendaire, elle allait sûrement se paumer dans le dédale d'étagères...

« Je m’occupe de Nanami, va rejoindre Kensuke. Nous leur dirons de se rejoindre au restaurant de ramen en face de l’académie, ils ont des choses à se dire. »

Pour moi, c’est l’occasion de vadrouiller un peu dans les rayonnages. Le problème étant qu’il y a des kilomètres d’étagères et que le plancher ne grince pas. Difficile d’entendre quelqu’un ou de le voir venir avec tant d’obstacles sur le chemin. Je déambuler quelques peu dans les archives, avant de chercher un autre moyen de trouver Nanami sans perdre de temps. J’ai un regard vers le plafond : je suis ninja, je peux toujours appliquer les méthodes de l’académie. Je prends un peu d’élan, bondit au plafond et y colle mes mains. Le chakra fait le reste, je me redresse et continue mes recherches, cette fois-ci depuis le plafond. Une méthode somme toute assez efficace pour trouver au plus vite la genin qui est en train de faire l’inventaire d’une étagère d’archives.
Je descends à bonne distance, me retrouvant dans le bon côté pour lui adresser la parole et la rejoint.
Malgré mon relatif manque de discrétion, elle reste concentrée sur son bloc note, à compter les paquets dans le rayonnage et je dois poliment me racler la gorge. Elle a un sursaut en m’entendant et j’ai un sourire un peu désolé, je ne voulais pas la surprendre. Ah moins que ça ne soit elle qui manque d’attention.

« Nanami ?
-Oui ? Vous avez besoin de moi pour quelque chose ? » Me demande l’apprentie d’une voix douce et fluette.

Je m’attendais à une attitude moins directe, tout en étant plus agressive. C’est rare de croiser des genins au tempérament aussi calme. Ce qui me désarçonne un bref instant avant que je ne lui explique les raisons de ma venue.

« Je viens de la part de quelqu’un que tu connais très bien. Ça n’a échappé à personne que toi et Kensuke êtes très proches. Tu comprends que c’est une situation un peu particulière pour des ninjas de la même équipe.
-Vous voulez que je… » Elle pâlit d’un seul coup. « Que je le rejette ?
-Non, absolument pas. A vrai dire, je pensais plutôt qu’il faut que tu ailles lui parler à cœur ouvert. Que tu lui dises ce que tu ressens pour lui. Ce n’est pas sain de laisser traîner ce genre d’affaire. Je suis certaine que si tu l’invitais à manger des ramens, il serait ravi de discuter avec toi. » Nanami s’empourpre d’un seul coup.
« Mais s’il me disait non ?
-Le rejet fait partie de la vie, de toute manière, vous ne serez jamais un couple sans déclaration. » Elle pince des lèvres.

La genin prend une longue inspiration avant de se décider.

« Vous avez raison, je vais… je vais l’attendre aux ramens. Il doit me rejoindre là-bas non ? Comme à chaque fin de semaine.
-Oui, ne t’en fait pas. Va le rejoindre. » Elle s’en va.

Normalement, mon travail serait terminé, mais je saute au plafond (littéralement) et explore les archives à la recherche de Keiko et probablement, Kensuke. J’ai envie de voir comment elle s’en sort.

Utiliser ses capacités sensorielles pour ce genre de choses lui paraissait vraiment de l'overkill mais elle ne voulait assurément pas trainer. Il y avait des tonnes de missions plus intéressantes, que ce soit pour sa carrière ou pour peaufiner ses dites techniques que de convaincre un gamin de s'accoupler avec son crush. Voila que la Genin pensait de la même manière que les jeunes d'aujourd'hui. Mais où allait le monde ! Après un long soupir aux allures de questionnement existentiel, elle se positionna dans ce qui s'apparentait à une allée centrale. Elle fit quelques mudras et retrouva rapidement le Kensuke dont il était question. Ne sachant pas trop comment s'y prendre, elle décida d'y aller franco.

"Salut !"
"Oh putain ! J'veux dire... Vous m'avez fait peur madame !"

Voila qu'il vouvoyait Keiko et l'appelait madame. Outre le fait que c'était mal parti pour lui, la Genin se demandait si elle lui avait fait si peur que ça. On était dans les archives et certes il y régnait le même silence de cathédrale qu'à la bibliothèque mais quand même ! Elle essaya de se rappeler du prénom de la fille, histoire d'embrayer. Sa mémoire ne lui avait jamais fait défaut avant qu'elle n'intègre Kumo. depuis elle oublie un nom sur deux... Elle eut une épiphanie.

"Ah oui ! Tu connais Nanami ?"
"Evidemment, c'est ma partenaire dans l'équipe de Yamatoshi. Qu'est-ce que vous lui voulez ?"

Le gamin était sur la défensive. Comme c'était mignon. Mais Keiko n'était pas là pour s'abreuver des mêmes niaiseries qu'elle pouvait voir à la télévision et dont toutes les adolescentes et ironiquement les femmes au foyer d'un certain âge se vantaient de regarder avec assiduité. Parait que si on regarde un épisode, on ne peut plus s'arrêter. Tu parles d'un cauchemar ! C'est une vraie prise d'otages ! La sensorielle jura intérieurement avant de revenir à la réalité et son interlocuteur bien trop protecteur.

"Je l'ai entendu parler avec une de ses copines. Et apparemment elle a le béguin pour toi."
"Qui.. Que... Quoi ?!"
"Oui elle craque pour toi ! Elle était là à se dire qu'elle osait pas te le dire et qu'elle se demandait si tu étais intéressé parce que tu ne tentais rien..."

Keiko expliqua avec tout le sérieux du monde. Bon elle faisait carrément la commère qui racontait des histoires à la sorties de l'Académie mais bon. Vu la tête du gamin et ses gros yeux, elle se disait qu'il n'en avait probablement rien à foutre du pourquoi du comment. Et pourtant après avoir digéré la nouvelle, il hésitait visiblement toujours. La sensorielle lui mit une bonne grosse baffe des familles sans se soucier de sa tête d'ahuri cherchant à comprendre la raison d'un tel geste. Le parallèle était fort savoureux.

"Oh crétin, tu la passes la deuxième ? Elle t'attend au restaurant de ramens alors bouge tes fesses !"

Il détala comme un lapin. Keiko n'avait aucune idée de l'issue de cette future déclaration mais elle avait fait le taf. Pas dans la dentelle certes mais bon. Elle jeta éventuellement un regard vers le plafond et repéra Momiji.

J’allais faire une remarque sur les méthodes plus ou moins atypiques de Keiko : lui dire de se bouger les fesses et d’agir en homme est un bon conseil. Mais la manière qu’elle a de formuler ses attentes est pour le moins… Directe, surtout la gifle qui le renvoie en configuration d’usine, choqué et sonné. Finalement elle l’empoigne par l’épaule et l’envoie sur son chemin pour aller rejoindre la belle. J’ai un petit sourire lorsqu’elle m’aperçoit et une fois le genin à bonne distance, j’ai un petit applaudissement.
« Bravo, très efficace. Je suis sûre que Yamabushi sera très satisfait de notre besogne. Nous devrions aller lui faire notre…
-Oui en effet je suis satisfait. » M’interrompt le jonin en émergeant d’une bibliothèque.

Il reprend peu à peu forme humaine, abandonnant ses apparences de gros livre posé sur une étagère pour un air plus normal. Yamabushi époussette ses vêtements, corrige légèrement sa tenue et a un hochement de tête qui se veut rassurant. Il lève le pouce avec un air un peu dadais, heureux que ses genins aient résolu leurs problèmes de cœur.

« C’est parfait mesdames, vous avez fait du bon boulot. Je suis heureux de voir que mes poulains vont me foutre la paix avec leurs histoires, ça m’évitera de devoir jouer au conseiller conjugal alors que je suis là pour être leur prof. En plus ça va me dégager du temps pour la muscu et ça c’est bien. »

Pour mêler le geste à la parole, il mime un développé couché. Je crois que lui aussi aurait besoin d’un peu d’aide avec sa vie amoureuse. Ou du moins, c’est le sentiment que j’ai en entendant ses paroles suivantes.

« Maintenant il ne me reste plus qu’à renouer avec mes gosses, à redemander en mariage ma femme et tout sera en ordre dans ma vie sentimentale. Mais c’est pour une autre fois, ce soir je n’ai pas la tête à redevenir un coureur du jupon. » Contente de le savoir. Il nous consulte d’un regard. « Bon vous deux, vous avez fait le travail à ma place et j’ai dit que je vous inviterai au Banzai Sakura pour des ramens et une bière. Aller venez, c’est Yamabushi le daron blasé qui invite ce soir. »

J’ai un coup d’œil vers Keiko : nourriture gratuite, qu’est-ce qu’on peut demander de mieux ?

Keiko sursauta à la vue du Jônin et de son Henge. Elle ne poussa pas de cri de surprise mais le cœur y était. Fallait avouer que ce dernier était étonnement bien planqué ! Elle se considérait comme une spécialiste en sensorialité mais elle ne l'avait pas repéré. Pourtant pour Momiji c'était relativement facile. A croire que ce type, sous ses airs de manche, possédait quelques capacités intéressantes. Même si à ce niveau, elle en pouvait déjà plus de la vie.

Ce cauchemar ne finira-t-il donc jamais ?

Keiko avait autre chose à faire que des réparer les cœurs brisés ou d'attiser la libido de gens visiblement retardés et à la faculté d'interaction amoureuse proche du néant. C'était l'hôpital qui se foutait de la charité ! La sensorielle n'y connaissait rien et s'était contenté de balancer la première chose qui lui était venue en tête histoire d'abréger cet épisode gênant d'une vie à Kumo devenant plus insipide de jour en jour. Elle avait beau maugréer qu'elle partait trop en mission ces derniers temps, c'en était franchement trop ! Cependant, elle n'était pas aux bouts de ses peines.

Il fallait encore se rendre au restaurant...

Niveau sociabilité, Keiko avait à peine l'équivalent du niveau primaire. Elle avait comblé ses envies au fil des années avec une facilité déconcertante, s'offrant généralement au premier type venu et le quittant une fois le jour levé. C'était simple et ne nécessitait aucune maintenance. Les relations amoureuses apparaissaient comme une véritable torture à ses yeux et cet épisode ne fit que la confirmer dans ses choix personnels. Et voila qu'elle allait passer une heure à écouter ce Jônin leur parler de ses problèmes de couple. Elle hésita à refuser, prétextant un rendez-vous quelconque ou une convocation au Palais mais elle eut le malheur de croiser les yeux de Momiji.

Et merde.

Keiko n'eut d'autre choix que de suivre le mouvement. elle fit son plus beau sourire. Ca ressemblait clairement plus à une grimace mais ce type n'avait pas l'air malin. Sa jeune pair par contre l'avait déjà vu évoluer en mission. Elle devait se rendre compte de la gêne de la sensorielle. Mais bon c'était l'occasion d'écouter les bribes de sagesse d'un ninja de haut niveau. C'était pas tous les jours que cette occasion se représenterait. Espérons qu'il ne parle pas trop de ses problèmes conjugaux...

Keiko m’adresse une grimace un peu gênée, incertaine de la bonne attitude à avoir. Yamabushi n’en prend égard et se dirige déjà vers la sortie. Mon cœur fond en voyant la mine toute gênée de mon aînée : il n’y a pas à avoir peur, c’est une sortie au restaurant, nous allons manger des nouilles, boire une bière et discuter de nos affaires de cœur, scander nos exploits en mission. J’ai un grand sourire, attendrie par la mine déconfite de ma collègue. On dirait un chaton qui a besoin de compagnie.
Je lui fais un câlin, lui tapant dans le dos avant de l’inviter à nous suivre.

« Aller viens, nous sommes à Kumo, c’est l’heure de sortir. En plus c’est Yamabushi qui invite pour nous récompenser. »

Nous nous mettons à marcher dans les rues du village caché des nuages. C’est le crépuscule, le ciel brille d’une teinte orange, la foule se tarit un peu et une brise fraiche enveloppe les rues de la cité. Tout autour de nous, les passants rentrent chez eux ou au contraire, vont au bar se délasser après une journée de travail. Nous croisons d’autres genins, en route vers le terrain d’entraînement pour leurs exercices de la soirée.
Je marche à hauteur de Keiko et lui donne un petit coup de coude, pour la dérider un petit peu. Bien sûr, nous sommes au service de Kumo et de la Raikage, mais nous devons aussi penser à nous. Des soldats déprimés et fatigués ne sont pas bons à grand-chose. De temps à autre, un bon bol de ramens et une bière est le remède à la lassitude de la vie militaire. Des petits plaisirs du quotidien qui nous font parfois cruellement défaut.

« Alors, raconte-moi tout. Qu’est-ce que tu fais dans la vie en dehors des missions ? D’ailleurs, qu’est-ce que tu vas commander au Sakura ? » J’écoute sa réponse avec attention.

Nous arrivons devant le restaurant, un établissement de taille moyenne, avec un luxe discret qui échapperait facilement à l’œil inattentif. Le mobilier finement ouvragé, parfaitement huilé et entretenu témoigne d’une certaine aisance des propriétaires. C’est une atmosphère calme, sereine qui émane des lieux, tout dans les teintes beiges, avec une petite scène pour un musicien qui joue une musique d’ambiance.
En nous voyant, le maître de salle prépare instinctivement une table près des fenêtres. Nous donnant l’occasion d’admirer la vallée qui s’étale devant-nous. On s’installe, une serveuse vient prendre notre commande et sans surprise, Yamabushi se comporte fidèle à lui-même.

« Trois bières s’il vous plaît. » Il choisit la boisson pour nous. La serveuse se tourne vers nous pour le menu et une fois que nous avons fait notre choix, retourne en cuisine. Le jônin a un petit air narquois, « alors mesdames, comment trouvez-vous votre service au sein du plus prestigieux de tous les villages ninjas ? Avec ses jonins hauts en couleurs, ses chuunins pleins d’enthousiasme et ses genins pleins de ressources. C’est pour quand la promotion ? »

Keiko se figea alors que Momiji lui témoigna un rare gage d'affection. Elle se laissa faire, plus surprise que véritablement gênée. Faut dire que même dans ses souvenirs les plus lointains, ses propres parents ne lui avaient jamais témoigner autant d'affection ! Bon sa mère était très à cheval sur l'étiquette et son père un bourreau de travail très bourrin et absent. Dur de faire pire. La sensorielle se contenta d'acquiescer de la tête avant d'emboiter le pas de sa jeune partenaire. Heureusement, cette dernière ne souhaita pas pousser plus loin son avantage.

"Il ne font pas que des ramens ? Hmm je me demande s'ils en font aux fruits de mer. Haha."

Keiko s'empourprait au fil des minutes et de la conversation. Pour la fille d'un clan noble de la capitale, les ramens étaient de la bouffe pas chère, juste bon à se remplir l'estomac comme elle l'avait si souvent fait durant son affectation du côté de Shimo. Un truc facile à manger sans saveur qu'o navale en cinq minutes entre deux tâche quotidiennes. Elle n'était clairement pas au bout de ses surprises. Et pour le coup une bonne bière ferait assurément du bien après ce que la sensorielle venait de vivre et cette pseudo-mission qui lui filait plus de frissons dans le dos que toutes les rangs B qu'elle avait effectué par le passé. Elle s'avale presque sa bière d'un trait et en recommande une aussitôt, histoire d'achever d'un coup son inhibition et ses barrières mentales.

"Ah ça fait du bien par où ça passe !"

Keiko posa sa pinte et semblait visiblement de meilleure contenance, ses joues rosies et un léger sourire se dessinait sur son visage d'ordinaire très fermé et professionnel. En tout cas, elle avait une sacrée descente. Elle répondit à la question du jônin presque du tac au tac.

"La promotion ? Je ne pense pas en être loin si je juge par les dernières missions officielles qu'on m'a confié. Peut être dans quelques semaines, sûrement avant la fin de l'été. J'ai hâte d'y être !"

Keiko annonça sans gène, l'avancement et la réussite n'étant clairement pas un tabou pour la militaire de carrière. Et plus elle était d'une nature étonnement franche, surtout après avoir bu. Une pinte suffisait largement pour la rendre plus aimable, à défaut d'être pompette, du haut de ses cinquante kilos toute mouillée. Elle se tourna éventuellement vers Momiji pour entendre sa réponse, se rapprochant d'elle un peu trop près sans le faire exprès. La sensorielle s'anima enfin lorsqu'elle aperçut deux figures familières.

"C'est pas nos tourtereaux là-bas ?"

« Nous sommes loin de la côte, cela m’étonnerait qu’ils aient du poisson frais ou des huitres à Kumo. Ou alors, l’addition va être très salée pour Yamabushi. » J’ai un petit gloussement, s’il va manger ici une fois par semaine, c’est qu’il a les moyens de son train vie.
Lorsque nous recevons nos bières toutefois, Keiko attrape sa pinte, la vide d’une traite sous le regard médusé du jonin et de la serveuse, puis en commande une nouvelle. J’ai un hochement de tête approbateur, sirotant ma boisson alors que Yamabushi est surpris par l’enthousiasme de notre camarade. Celle-ci a un spasme naissant au coin des lèvres, alors que ses joues s’empourprent à vue d’œil. Nullement intimidée par la question de notre supérieur, elle lui répond avec une franchise qui me surprend un petit peu : il semble que l’alcool délie la langue de notre camarade. Elle qui est d’habitude très discrète, elle se fait beaucoup plus loquace avec un peu d’alcool dans le sang. J’ai un sourire poli, ne souhaitant pas réfréner ses paroles et pour être tout à fait honnête, moi aussi j’aimerais bien avoir une promotion avant l’été, même si cela va être difficile. Néanmoins, nous avons déjà eu des ascensions en un temps record à Kumo, cela ne serait pas si exotique que ça en a l’air.
Puis notre éclaireuse tourne le regard, a une moue surprise puis se retourne vers nous. Il y a Nanami et Kensuke à une table, en train de discuter. Bah, ils se débrouilleront très bien comme ça, Yamabushi se laisse aller à une petite blague.

« Bah j’ai qu’une chose à dire, c’est que dans cette histoire c’est Kensuke qui va se faire prendre violemment. Ce n’est pas avec un salaire de genin qu’il va retenir ses larmes en voyant la note. » Je retiens un gloussement, un grand sourire sur les lèvres et des spasmes entre les côtes. Ne pas rire, ne pas attirer l’attention. Le jonin reprend, toujours avec cette franchise empruntée à une Keiko éméchée. « J’espère qu’il est prêt. Parce que son portefeuille va mettre du temps à s’en remettre. S’il voulait se… » Il a un regard vers Keiko, presque complice.

Puis vers moi, il pince les lèvres, un peu gênée. Comme si je n’étais pas la bonne personne pour faire la blague qu’il voulait faire.

« Se faire plaisir ? » Il opine du chef à ma réponse.
« On va dire ça.
-Mais il est au bon endroit pour ça non ? »

Yamabushi a un regard vers Keiko, lui faisant signe d’un coup d’œil un peu embarrassé de voler à sa rescousse. J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?

« Si, c’est pas grave. » Conclut le jonin. « De toute manière, ça devrait aller pour ta promotion Keiko. Je n’ai entendu que des bonnes choses sur toi, je pense que c’est une question de formalité à ce stade. D’ailleurs Momiji, tu n’as pas répondu à ma question.
-Oh, je pensais aussi à une promotion avant la fin de l’été, ou au début de la saison chaude.
-C’est possible, on verra avec les cadres et la Raikage.
-Et donc, quelle est cette histoire de se faire plaisir ? Kensuke ne pourrait pas en tirer en allant au restaurant avec Nanami ? » Yamabushi s’étouffe dans sa bière, il fait signe à Keiko de me répondre.

Je me tourne vers ma comparse, ai-je loupé un détail ?

Si Keiko avait été un gars, elle se serait fendue d'un bon petit rictus gras bien lourdingue en réponse à la blague de Yamabushi. Faut dire qu'elle n'était pas étrangère à ce genre de langage châtié et ce genre d'allusions graveleuses. Dix ans dans l'armée avaient l'avantage de formater à ce niveau là. D'ailleurs en voyant le couple assis en train de discuter et de se faire les yeux doux, la sensorielle se demanda ce qu'ils fichaient encore là. Si jamais elle se retrouvait dans leur situation, ça fait depuis belle lurette qu'elle serait déjà dans sa chambre en train de faire des galipettes. Un concept qui était visiblement très étranger à Momiji. De ce qu'elle savait, sa jeune camarade n'était pas bien plus jeune qu'elle mais elle semblait très en retard dans le domaine. Probablement le résultat d'une éducation de trop grande qualité et d'une méchante surprotection ? Même si elle croyait se souvenir des confessions de la Suibaku lors de leur dernière mission que ça n'avait pas été le cas. La Genin manqua de s'étouffer lorsque le Jônin lui demanda d'expliquer.

"C'est pas du jeu !"

Tout ça parce qu'elle était une femme. Keiko ne savait pas trop quoi lui dire ou comment expliquer la blague de Yamabushi. L'armée régulière c'était un monde d'hommes et plutôt loin de ce qu'on pouvait retrouver dans un village caché. Les militaires étaient aussi bien plus doués, que ce soit au combat et pour ainsi dire académiquement. Elle soupira avant d'éventuellement se lancer avec sa franchise habituelle. Au risque de choquer.

"Kensuke veut coucher avec Nanami. Il veut se la faire. Ce restaurant est hors de prix et il va se faire... heu... prendre par derrière. Le genre qui fait bien mal."

Keiko glissa à l'oreille de Momiji en qualité de grande sœur improvisée. Ses joues s'empourpraient d'ailleurs à vue d'œil à présent. Elle ne devrait pas avoir à expliquer ce genre de choses ! Des choses étonnement banales pour elle mais qui étaient visiblement abstraites pour d'autres...

"A sec !"

Keiko rajouta en reportant son attention sur le Jônin avant d'exploser de rire, visiblement libérée et incapable de contenir ses émotions. Cela faisait clairement du bien par où ça passait. après des semaines, voire des mois de travail intense ! C'était libérateur à tous les sens du terme. Elle leva sa choppe et trinqua avant de l'avaler d'un trait.

« Aaaahhh, d’accord, je comprends mieux. Kensuke…
-Kensuke, même si c’est le mec, va se faire attraper violemment à la fin du repas. » Coupe Yamabushi avec un manque de finesse qui me fait avaler ma bière de travers.

Je manque de me noyer dans le houblon alors qu’il lime un geste obscène avec les doigts en cercle du jonin qui n’arrivent pas à faire rentrer son poing fermé. Je tousse et me couvre la bouche d’une serviette. Notre chef a un sourire, clairement satisfait de son effet de style qui est somme toute, très réussi quoique assez sauvage. Keiko a un fou rire et tape du poing sur la table, Yamabushi la rejoint et ils se gaussent alors que je récupère ma voix. D’un air encore enroué par le houblon, je proteste mollement.

« Arrêtez de rire, en plus ça fait super mal. » Yamabushi s’interrompt instantanément, les yeux ronds et la mâchoire qui se décolle, incertain d’avoir bien entendu mes paroles. « J’ai essayé une fois avec mon copain, ça m’a suffit. » Il s’empourpre. « On parle toujours de le faire dans...
-Oui oui, » me coupe instantanément le jonin, visiblement soulagé. « De ça, rien à voir avec les mains ou autre. » Il se racle bruyamment la gorge, très gêné. « Bref, Kensuke, ou plutôt son portefeuille, va comprendre ce que c’est de faire la femme ce soir. » Beau rattrapage de situation.

Je me tourne vers Keiko, qui récupère de son fou rire et la scrute d’un air méfiant, presque inquisiteur. Cherchant à comprendre ce qui peut bien motiver une fille à vouloir le faire par-là. Je me retourne vers Yamabushi, puis vers Keiko, tentant de deviner la réponse à une question que je n’ai pas encore posé. Puis jugeant que c’est de mauvais goût, m’abstient de tout commentaire : nous sommes dans un restaurant très chic, ça ferait mauvais genre de nous entendre discuter de ce genre de sujet. En particulier en des termes aussi crus. Du coup, cherchant à éviter un autre instant gênant pour mes convives, j’essaie de faire dériver la conversation sur un sujet plus décent.
D’ailleurs, j’en ai un tout trouvé ! C’est la moindre des politesses d’ailleurs, c’est presque si je ne manque pas à tous mes devoirs.

« En tout cas mes félicitations Keiko, je ne savais pas que tu avais un copain. Ca fait longtemps que vous êtes ensemble. »

Yamabushi me regarde d’un air très sérieux, un sourcil froncé pendant que l’autre s’affole. Le père de famille, époux et ninja me sonde des yeux en quêtes de réponses, puis en voyant que je suis sincère dans mes propos, éclate de rire.

« Tu as un copain non, Keiko ? »

Elle doit avoir un homme non? Si elle a testé.

"Oh que non j'ai pas de copain. Dans notre métier c'est plus sage de penser comme ça. Et puis où je trouverai le temps ? Je suis en mission h24 ces derniers temps."

Keiko s'insurgea, presque attaquée par les propos de Momiji avant de se reprendre. Décidément, elle était bien à fleur de peau ! Elle n'avait pas eu de jours de congés depuis des lustres et cela commençait sérieusement à lui peser. Bon d'ordinaire elle passait son temps sur les terrains d'entrainement mais tout de même. Jamais elle ne pourrait entretenir une vie de couple qualifiée de normale. Ca devait être plus ou moins la même chose pour tous les autres kumojins d'ailleurs. Son regard s'attarda sur Yamabushi avant de fixer celui de sa jeune camarade. Elle glissa son bras autour de son cou et le laissa retomber sur son épaule opposée.

"Et puis regarde ce pauvre Yamabushi et ses histoires de cœur. On peut dire ce qu'on veut mais l'amour c'est pas une sinécure !"

En matière de relations de couple, Keiko n'avait là encore que ses parents comme exemple. Un couple distant qui ne se montrait affectueux qu'en de trop rares occasions. Remarque une relation comme celle-ci lui allait. C'était pas trop fatiguant. Bon pour l'attention elle repasserait mais le métier de ninja était tel que cela pouvait convenir. Cependant, elle s'imagina rapidement en couple avec un de ses anciens prétendants nobles de la capitale et elle manque de vomir. C'était un véritable cauchemar. La majorité de ces types ne lui convenaient absolument pas. Elle déglutit alors qu'un frisson lui parcourra l'échine. La sensorielle enchaina, toujours avec franchise.

"Du coup je cherche plutôt des coups d'un soir."

Keiko sortit de sa transe, son regard se baladant par réflexe dans la salle avant de se poser sur ses compagnons de table. Un léger silence s'installa alors que sur ses lèvres se dessinait l'esquisse d'un rictus coquin. Ouais elle avait déjà trop bu. Juste à temps pour voir arriver la nourriture !

Pas de copain ? D’accord, je reprends une gorgée de ma bière, cherchant toujours à comprendre l’agencement des évènements, la chronologie de l’histoire, si je suis extraordinairement naïve ou si au contraire, Keiko est perverse sur les bords. J’allais adresser un regard à Yamabushi quand Keiko m’attrape par le cou, passant son bras autour avant de me ramener vers elle. Je pince les lèvres, un peu embarrassée par cette proximité nouvelle, la ninja échange un regard avec le jonin avant de me jeter un bref coup d’œil, je lui fais un gentil sourire, ne sachant pas comment réagir. Je m’empourpre lorsque ma camarade m’incite à observer de près notre chef, puis déclare qu’il est un exemple de la difficulté de trouver l’amour quand on est ninja. Comme quoi ce ne serait pas une sinécure.
Rappel : je suis toujours sous le bras de Keiko qui ne m’a toujours pas lâché.
Je lui tape très poliment sur le bras mais rien n’y fait. Je crois que l’alcool lui est un peu monté à la tête. Du coup, j’essaie de boire ma bière en composant avec la ninja à mon cou. Celle-ci annonce qu’elle recherche des coups d’un soir et je m’empourpre : déclarer cela avec une telle proximité risquerait de faire jaser. Je pince les lèvres, hochant la tête avec l’air le plus neutre possible.

« Je comprends, c’est bien aussi les coups d’un soir. » Yamabushi a un gloussement en entendant ma réponse, l’air de rien, il donne son opinion.
« Je profite de mon divorce, mais… C’est long au bout d’un moment. »

Nous recevons les plats que nous avons commandés. Forcément, Yamabushi a commandé un repas massif, alors que j’ai opté pour des nouilles avec un bouillon de poulet, de l’œuf et quelques légumes. Un repas équilibré pour la soirée, même si je dois avouer que voire toute cette viande dans le bol de Yamabushi est appétissant.
Yamabushi me regarde avec un sourire, l’air de me dire que c’est à mon tour de faire la conversation avec Keiko qui a déjà le verre de trop dans le nez. Pourtant elle n’est qu’à sa deuxième bière.

« Alors Keiko… » Vite Momiji, trouve quelque chose à dire. « Qui serait ton plan d’un soir parfait ? Le type romantique ? La parfaite inconnue ? Le héros itinérant ? »

Le jonin pouffe, il se retient de rire et attaque son plat.
J’ai dit quelque chose de mal ?

Keiko avait les dents qui rayaient littéralement le parquet. Elle avait une faim de loup et elle fut à deux doigts de baver en apercevant son plat qui devint immédiatement le centre de toutes ses attentions. elle relâcha éventuellement Momiji et admira ses ramens avec suppléments de porc. Ca n'avait clairement rien à voir avec les ramens qu'elle avait déjà mangé par le passé. Même à Kumo ! Elle remercia Yamabushi et attaqua immédiatement. Après quelques énormes bouchées, la sensorielle manqua de s'étouffer et fit passer tout ça avec sa boisson. Elle se tourna vers sa jeune partenaire qui s'intéressait encore à sa vie amoureuse.

"C'est une vraie question ? Tu es bien curieuse ? Tu serais dans quelle catégorie ?"

Keiko explosa à nouveau de rire en donnant un petit coup d'épaule amical à Momiji avant de retourner à ses ramens avec un immense appétit. A se demander comment une femme aussi menue va pouvoir stocker tout ça ! Ca passe toujours mieux quand on vous offre le repas. La sensorielle gloussa toute seule à cette idée, se disant que certes Kensuke allait douiller mais Yamabushi ne s'en sortirait pas indemne non plus. Mais elle devait cependant avouer que ce restaurant était de toute première qualité. Ces ramens étaient tout simplement exquis ! Si y'a une chose que la militaire de carrière appréciait depuis son arrivée à Kumo, c'était assurément la bouffe et surtout sa diversité. Un réel bouleversement pour Keiko qui avait plus l'habitude des rations militaires ou le rare restaurant potable d'Ikeyama...

Si quelqu'un pouvait cuisiner comme ça pour moi tous les jours...

"A vrai dire, ça m'est égal Momiji. Je prends ce qui vient et surtout je n'ai aucune attente autre que de passer une bonne soirée. Et toi ? C'est quoi ton type ?"

Keiko embraya sur ce fil de discussion vu que visiblement ce dernier voulait jouer les prolongations. Clairement la faute de sa jeune partenaire !

« Moi ? Dans une catégorie ? »

J’ai peur de ne pas comprendre, Keiko me donne un petit coup de poing sur l’épaule avant d’attaquer ses ramens. Je fais de même, les légumes sont bons, le bouillon est au point et les nouilles délicieuses. Yamabushi m’envoie un petit regard amusé, j’imagine qu’à poser trop de questions, on écope de ce genre de réponses. Je prends une gorgée de ma bière, j’aime boire, en particulier quand l’alcool est de première qualité. J’essaie de tasser au fond de ma gorge la remarque de ma comparse, cherchant une réponse de qualité à lui fournir.
Mais avant que je ne puisse esquisser l’ombre d’une phrase, Keiko reprend de manière beaucoup plus directe. Me demandant quel serait mon type. Mon type ? Je joue nerveusement avec mes mains, peu habituée à parler de ma vie sentimentale : évidemment, la séduction fait partie de l’arsenal des ninjas, mais j’ai peu l’habitude d’en faire usage, même dans ma vie de tous les jours. Mais bon, je n’ai pas encore adopté de chat, j’imagine que c’est bon signe en un sens.

« Eh bien… » Yamabushi me fait un clin d’œil pour m’encourager. « Je serai du type romantique j’imagine. Un peu de douceur dans ce monde de brute, » j’avoue être un peu lasse parfois de certaines remarques qu’on peut essuyer. « L’univers ninja est quand même très masculin par moment. » Toutefois, j’admets volontiers y prendre part à l’occasion, en faisant quelques remarques un peu vaches. Il faut savoir rire de tout, y compris de son sexe. Mais bon, les hommes écopent du même tarif, voire un peu plus. Je termine ma pinte d’un trait avant d’en reprendre une. Là c’est bon, je commence à être à l’aise. « Rencontrer une belle inconnue ou un bel inconnu, autour d’un thé, une belle rencontre. » Yamabushi a un fou rire. « Ne riez pas, j’entretiens la conversation moi.
-T’inquiètes Momiji. » Ricane le jonin. « Moi mon type c’est une femme calme, un peu sarcastique et hautaine, le genre à aimer me mettre des coups de pied dans les couilles en prenant la maison et les gosses, avec des yeux rouges et une précision légendaire. Le genre à toucher une paire de tong en solde d’un seul coup d’œil.
-Votre ex ?
-Oui, mais en mieux. Une ex premium. » Nouveau concept.

J’ai un regard vers Keiko, ne sachant pas quoi penser de tout cela.

Keiko aimait visiblement ses ramens avec supplément de porc. A tel point qu'elle envoya bouler l'étiquette et toutes les leçons et les manières qu'elle avait apprit dans sa jeunesse. Sûrement un des effets désinhibiteur de l'alcool. Ce n'était pas quelque chose qu'il était facile d'oublier ou de faire abstraction. Surtout lorsque ça vous a été marteler dans votre petit crâne sans pitié jusqu'à ce que vous criait grâce. La vie de noble était pas toujours fun. Y'avait des côtés assez horribles et traumatisants. Heureusement que la sensorielle a rapidement mit les voiles ! Si elle avait toujours été à la Cour du Daimyo elle aurait cependant bien plus de facilités à faire du social et à interagir avec ses pairs. On ne peut pas tout avoir dans ce monde. Elle revint à la réalité lorsque le regard de Momiji croisa le sien en quête de réponses.

"Il faut de tout pour faire un monde. A chaque pied sa chaussure."

Keiko répondit de manière plutôt diplomatique pour le coup, ses ramens ayant visiblement fait leur effet et diluer la proportion d'alcool dans son sang. Du moins légèrement. Ou alors elle est trop occupée à manger et à penser à sa bouffe qu'elle se fiche de tout ce qui l'entoure. Il est clair que ce n'est vraiment pas son sujet de conversation favori et ne l'avait jamais été, bourrée ou non. Mais au bout du compte la sensorielle ne s'intéressait qu'à très peu de choses et ces dernières tournaient toutes autour de leur métier. Et malheureusement elle ne connaissait pas assez ses partenaires pour vraiment évoquer les détails de son entrainement ou sa manière particulière de manier son épée courte. PAr contre parler du terrain était sûrement une meilleure idée. Elle se lança entre deux bouchées.

"Pour la santé mentale de Momiji, parlons plutôt boulot ! Qu'est-qui vous est arrivé de plus bizarre lors de vos missions ? Vu comment on les enchaine ces derniers temps, j'imagine que vous aussi, vous avez vécu des trucs marrants ou qui sortent de l'ordinaire ?"

« Il faut de tout en effet. » J’essaie encore de comprendre.

Comment nous sommes partis d’une simple mission après les heures de bureau à discuter de nos vies amoureuses, du plan parfait, des amours navrés de Yamabushi. J’ai un hochement de tête poli lorsque Keiko suggère de parler d’autres choses, des anecdotes du boulot en particulier : les évènements hors de l’ordinaire ou au contraire, les anomalies rencontrées durant nos pérégrinations dans le pays de la foudre.
Notre supérieur a un rire, il a assez de bouteille (et d’alcool dans le sang) pour nous raconter ses pires anecdotes. Sans surprise, il est le premier à enchaîner, alors que je fouille dans mon esprit à la recherche de quelque chose de drôle qui m’est arrivé.

« Bien sûr, en tant que ninja de Kumo, j’ai croisé des situations burlesques que seule la bêtise humaine peut expliquer, mais aussi des instants de tendresse et d’humanité qu’on ne rencontre qu’une fois dans une vie. » Il a un regard vers moi, puis Keiko. « Mais commençons par le plus débile : un jour, j’étais avec mon groupe. Ou plutôt, je laissais mes élèves faire les corvées pendant que je me chargeais de l’administratif, rien de très étonnant. Parce que… Je me suis cuité la veille pour oublier mon ex-femme, je suis à la bourre et comme punition symbolique, un de mes collègues me demande d’échanger les tâches. Il fait la paperasse et moi, je surveille ses élèves. » Il a un regard autour de lui. « Ils sont en train de faire les corvées et il y en a un qui s’est brûlé au second degré avec un fer à repasser. » J’ai un rire.
« Comment peut-on se brûler avec un fer à repasser ? C’est ridicule, c’est de l’eau, du métal chaud et une poignée, à la limite, on peut mettre des gants si on ne veut pas se blesser.
-Oui, mais Momiji, tu es une fille raisonnable, avec un certain sens pratique, quand tu t’occupes de ton linge, tu utilises un fer à repasser. Lui non, il a voulu repasser ses fringues alors qu’il les portait sur lui. » Par les kamis.

Comment a-t-il réussi l’examen final de l’académie ? Cela me semble impossible, stupide, incohérent, pourtant Yamabushi ne ment pas. Je peux le voir à son expression incrédule, presque navrée. Je secoue la tête, n’arrivant pas à y croire.
C’est à mon tour de raconter quelque chose d’extraordinaire.
« Un jour, je m’entraîne avec Masahiko, un ami à moi du clan Suibaku. On s’exerce, puis nous partons en mission, une rang D de routine. On doit chasser une sorte de gros chat mutant du jardin d’une vieille dame. On l’attrape et on le relâche dans la forêt. Deux jours plus tard, nous recevons une nouvelle mission. Un noble a perdu son ocelot, une race de félins de la jungle, comme quoi il serait parti en balade et personne ne l’aurait revu depuis. Trois jours, j’ai dû passer trois jours dans la forêt à rechercher ce matou. »

Et je me suis fait soufflée dans les bronches, évidemment.

Keiko pouffa lors Yamabushi raconta son histoire. Y'avait pas de quoi casser trois pattes à un canard mais ça faisait le taf. Et puis la sensorielle était clairement dans l'ambiance. Honnêtement, dans son état elle pourrait rigoler à plus ou moins toutes les blagues ou toutes les situations !

"Et tu l'as retrouvé au moins, le chat ?"

Keiko pouffa de plus belle, son avant-bras venant se poser sur l'épaule de Momiji. Parler cul n'était pas la meilleure idée du jour mais laisser les autres raconter des histoires en picolant c'était pas fou non plus ! La sensorielle était vraiment complètement différente de d'habitude, comme si le masque qu'elle portait au quotidien s'était fissuré et était même sur le point de carrément tomber. Jamais elle n'avait pu se montrer aussi naturelle depuis son arrivée à Kumo. C'était d'une tristesse folle mais telle était sa nature et telle était sa vision de son travail. Il s'agissait peut être de son premier pas dans un monde nouveau. en attendant c'était à elle de raconter une histoire. Pouvait-elle faire mieux qu'un type repassant ses fringues sur lui-même et une Genin chassant un chat dans la forêt ? Assurément !

"Alors qu'est-ce que je vais bien pouvoir vous raconter."

Keiko se frotta les mains. Elle avait visiblement vu et vécu pas mal de choses bizarres durant sa carrière et les quelques mois qu'elle venait de passer en qualité de Genin. Elle réfléchit quelques secondes, ressassant ses pires missions, partant de sa toute première en compagnie de la vieille Fubuki avec qui elle avait gardé les Portes des Cieux, jusqu'à sa plus récente en compagnie de Muku. Pour le coup une mission des plus banales à la bibliothèque et si elle s'était révélée intéressante niveau cartographie, la sensorielle n'avait fondamentalement rien à dire dessus. Faut dire que toutes ses missions s'avérèrent plutôt banales ! Rien ne semblait sortir de l'ordinaire. Après tout elle était une Genin très sérieuse alors on lui confiait surtout des missions appropriées ! Merde c'était elle qui avait choisi ce sujet en plus !

"C'est pas vraiment une histoire de kumojine mais plutôt de mon époque dans l'armée kaminarijine. J'étais ne poste du côté d'Ikeyama et généralement après le service on passait un peu de bon temps à la taverne. Enfin quand on était pas sur le terrain en surveillance au beau milieu de la forêt."

Keiko prend un petit air nostalgique clairement visible et reprend en mimant la scène après avoir repris une gorgée de sa boisson.

"Mon unité et moi on picole tranquille à la taverne lorsque notre chef fait irruption et nous demande d'aller sur le terrain d'entrainement. On s'exécute et en arrivant on tombe sur un VIP de la capitale en inspection. On nous demande de montrer nos talents en lancer de shuriken. Tout se passe relativement bien, même si on est bien chargé en alcool local et pas forcément des spécialistes. Enfin jusqu'à notre pote, le petit dernier de l'unité qui venait d'arriver et accessoirement le fils du dit VIP... Il veut faire le malin alors qu'il est chargé comme un mulet. Il lance toutes ses shurikens en rafale avec style. Il prend une pose victorieuse et tout. On a presque applaudit avant d'entendre des hurlements. Le VIP s'est tout pris dans la gueule ! Dans la gueule ! Haha. Je crois même qu'il s'en ai pris une dans les fesses !"

Keiko s'étouffe alors de rire, revivant visiblement la scène.

« Le chat ? Oui, je l’ai retrouvé. Il m’a griffé plusieurs fois quand je l’ai attrapé et j’ai dû nouer mon chandail autour de mon visage pour éviter d’avoir le visage balafré. Il n’était pas de très bonne humeur quand je l’ai ramené à son propriétaire légitime et moi, j’étais soulagée d’en finir avec cette mission. » Yamabushi a un sourire.

Je porte mon attention sur les nouilles et mange en écoutant le récit de Keiko qui nous régale d’une anecdote sur son temps dans l’armée de Kaminari, bien avant la naissance du village caché de Kumo. Je termine ma bière avant d’avoir un hoquet. L’histoire de ma camarade me donne le sourire, surtout quand elle s’accoude à moi : j’imagine que je suis à la bonne hauteur pour ça. La spécialiste de la sensorialité nous raconte comment il y a eu un accident de lancer de shurikens avec un visiteur de la capitale. Comme quoi il ne faut pas faire confiance à des ninjas éméchés, même si je dois avoir un gramme dans le sang vu l’alcool ingéré. C’est ma deuxième ou troisième bière ? Je regarde le fond de mon verre et me rend compte que c’est une bière très alcoolisé que j’ai commandé. Ceci explique cela, le rouge me monte aux joues et lorsque ma camarade termine son récit, je cherche quelque chose de spirituel à dire.

« Il devait l’avoir mérité, » j’ai un hoquet, puis je me rends compte de ce que je viens de dire. « Qui sollicite des soldats tard le soir après le service ? Tu imagines faire cinq tours de stade après les ramens pour satisfaire l’égo d’un vétéran dont la dernière mission est un raid sur la cantine du régiment ? » Je m’empourpre à nouveau, devenue toute rouge j’ai les yeux ronds, comprenant ce que je viens de dire. C’est méchant, très méchant. « De toute façon, les civils ont toujours du mal à nous comprendre, la discipline, les horaires impossibles, ils râlent quand on met l’heure de trop à leur rapporter leur chat. » Je reprends une gorgée, puis me rend compte que mon verre est vide.

En désespoir de cause, je me rabats sur les nouilles et entre deux bouchées, demande son opinion à la sensorielle.

« Keiko, œil de Kumo et oreille de la Raikage, premier nuage de Kaminari et très-sainte-observatrice-qui-voit-tout-même-l’invisible, dis-moi, comment se portent nos tourtereaux ? Est-ce que Yamabushi aura un drame amoureux à gérer demain. »

La réponse de Momiji fit légèrement sourire Keiko. Un noble de la capitale était toujours accueilli avec respect. Le type n'était pas n'importe qui à la base. Mais c'est vrai que ce dernier les avait bien emmerder ce jour là et que sa punition s'était révélée somme toute méritée. La sensorielle ne releva pas l'erreur de sa jeune camarade. Cela servirait à rien. Elle n'était pas une madame je-sais-tout et n'avait pas vocation à l'être. Constatant que leurs verres étaient vides, elle commanda à nouveau à boire pour tout le monde.

"C'est quoi cette incantation ! On dirait que t'invoque un Bijuu ou une sorte de démon !"

En vrai Keiko était flattée. L'alcool sans doute. Il était toutefois vrai qu'elle représentait une certaine minorité au sein du village. non pas par ses origines, même si être de sang noble et accessoirement militaire de carrière était déjà en soi assez particulier, mais avant tout par son choix de spécialisation. Enfin si on peut parler de choix. La sensorialité est un domaine qui lui était toujours venu presque instinctivement. La seule discipline que la sensorielle avait vraiment travaillé depuis son arrivée était le Taïjutsu. Notamment en réponse à sa défaite, certes honorable, au tournoi de Kumojin face à Juro, un autre Genin dont c'était la spécialité pour le coup.

"J'en sais rien. Je vois rien de spécial. J'ai une excellente vue mais quand même, faut pas abus... Attendez, je crois qu'il lui tient la main, non ?"

Niveau amour Keiko était une quiche mais elle possédait tout de même des bases. Même si aucun homme ne lui avait tenu la main de cette manière durant sa vie. Disons qu'elle avait toujours évolué dans un milieu bourré de testostérone et que les gars s'embarrassaient pas avec ce genre de civilités. Ca n'avait pas l'air si marrant que ça. Peut être qu'un jour la sensorielle éprouverait suffisamment de sentiments pour quelqu'un qu'un simple toucher l'amènerait au septième ciel. Ouais, Keiko peut toujours rêver.

"Ouais, je crois qu'elle va passer à la casserole. Après ils ont l'air de s'aimer alors ça risque pas de râler demain. Félicitations Yamabushi ! Santé !"

Yamabushi plisse des yeux, cherchant à observer au mieux ses élèves avant d’avoir un sourire. Une fois qu’il a obtenu confirmation des dires de Keiko, il lève son verre et je fais de même. Santé, bravo à nous qui avons réussi à créer un couple, bravo à Yamabushi pour nous avoir offert ce formidable repas. On trinque, on recommande des bières et le serveur revient vers nous pour faire disparaître les cadavres de pintes.
Je crois que l’alcool commence à faire effet, j’ai un léger hoquet et une sensation de chaleur au niveau des joues. J’ai un sourire, j’aime cette soirée, j’aime les gens autour de moi et j’aime ce restau, on s’amuse. Yamabushi se retourne vers moi, comme s’il voulait avoir mon opinion sur le couple en train de naître.

« Kensuke va la déglinguer. » Je prends mon bol et termine les dernières gorgées qu’il reste. Puis j’ai un air un peu triste : je n’ai plus rien à manger. « Retour à la configuration d’atelier comme disent les artisans du village. » Puis j’ai un pincement de lèvres.

Oui, je crois que l’alcool est en train de faire effet. Je suis ronde comme une queue de pelle et ça ne va pas aller en s’arrangeant je pense. Mais… Si je suis consciente d’être ivre, est-ce que cela veut dire que je suis simplement pompette ou alors, totalement déchirée ? Je crois qu’il me faudrait une autre bière pour en être sûre.

« Par contre, est-ce que… euh… » Bière, absinthe, liqueur… « Est-ce qu’on attaque le dessert ?
-Pourquoi pas. Keiko ? » Une fois sa réponse donnée, le jonin se tasse un peu dans sa chaise.

Il réfléchit, je le vois à son air concentré, comme s’il fouillait dans sa mémoire pour retrouver un souvenir. Ou alors, c’est une nouvelle qu’il a dû mal à assimiler, finalement, il relève la tête avec une expression victorieuse.

« J’ai trouvé ! Je vais parler à ma femme, je vais lui dire que j’ai changé. Que je suis en forme et que je serais là pour elle. » J’ai un regard vers Keiko, il va recommencer. « Mesdames, qu’est-ce qui vous ferait plaisir comme cadeau ? Un truc pour reconquérir mon ex. » Bonne question, je n’y avais jamais songé.
« Des fleurs et un poème ? Keiko ? »