La guerre, ce monstre d'horreurs et de combats destructeurs, avale les héros d'hier et révèle les talents de demain. Ces hommes et ces femmes parcourent les champs de bataille à la recherche de celle qui leur apportera l'honneur et la gloire. Capables de l'inimaginable, ils sèment la mort pour justifier leur grade et on la leurs pardonne contre d'autres vies sauvées, un équilibre précaire.
Bien loin de la lumière dans l'ombre des projecteurs, c'est là qu'opère Muku la jeune Senbaru. Elle ne sème rien et ne récolte rien. Elle ne compte ni les morts ni les traits gratifiants sur ses épaulières. Elle n'attend rien des autres, sauf qu'il joue leur rôle, celui qu'elle leur a confié un temps donné.

* Je dois encore progresser pour espérer voler de mes propres ailes. *

Clouer au sol, la maîtresse du papier se sait aussi faible qu'un oisillon. Ses défaites successives contre Nanabe, l'échec cuisant contre le Jinsei au temple oriental sont autant d'indices accablants. Le compte est simple : trois combats qui se sont soldés par trois défaites. Piégée dans le nid qu'est Kumo, elle aspira à rejoindre les Nuages tel un cygne majestueux.

* Je dois savoir me battre pour survivre dans l'ombre, seule. *

Contrairement à tous ces héros, cette femme à la peau blanche se confond dans le noir. La lumière lui brûle les yeux et la foule lui casse les oreilles. La fureur du combat la fait suer et l'honneur l'ennuie. La tromperie et l'opportunisme ont bien plus de valeur à ses yeux, un autre moyen pour la même faim. Même en mission avec son Ombre, elle reste en retrait. Si elle devait recevoir ses fleurs et ses bonne grâces, ça le serait uniquement pour le travail accompli et rien d'autre.
Mais elle le sait, elle est encore trop faible...

* Il y a bien un pantin qui se présentera ici pour venir se prouver à lui-même qu'il est le meilleur ! *

Victoire ou défaite, cela lui importe peu, tous deux n'auraient aucune valeur. La kunoichi ne se complaît pas dans ce genre de ressentiment, encore une fois, seul compte sa faim, pas les moyens. La première étape de son plan est de progresser en combat individuel. Bien qu'elle hait ce format, les missions futures lui en imposeraient certainement. Elle devait à tout prix étoffer son arsenal sous peine de mourir jeune.

Voilà pourquoi elle attendait sur ce terrain d'entraînement depuis des heures. Elle patientait qu'un combattant avide d'exercice vienne vider sa frustration sur elle, le parfait punching-ball. La vie ne l'a pas épargnée, mais elle cherche les coups, malgré tout. Empirique, l'expérience construira la carapace qui la protégera. Mais avant ça, elle devait souffrir et encaisser en silence.

« Waibe ! » finit-elle par interpellait le médecin des terrains. « Dès que quelqu'un se présente, indique lui qu'un adversaire est disponible, tu veux bien. »

Après une éternité d'attente, à croire que tous ces combattants ici présents manqués d'intelligence, quelqu'un se présenta enfin. A voir son allure, nul doute qu'il s'agissait encore d'un guerrier, ou plus précisément d'une guerrière. Habituée à ces chiens de guerre, comme elle aime les appeler, Muku reconnue sans détour des traits communs entre cette femme et Nanabe. D'abord un goût peu prononcé pour l'habillement souvent désuet, puis une odeur prononcée de sueur. La comparaison avec le chien semblait se confirmer.

Muku est égoïste et narcissique. Contrairement à Kaori, elle accorde de l'importance aux apparences dans le seul but de tromper sa proie ou le chasseur, selon les points de vue. Dans cet espace dédié aux prouesses physiques s'entraînent à toute heure des brutes dégoulinantes. La Senbaru faisait tâche.
D'une incroyable beauté, sa peau blanche d'une pureté immaculée contrastait avec celle café au lait de sa future adversaire. Sa chevelure finement coiffée tombait avec élégance sur son kimono blanc. La veste entrouverte dévoilée une brassière noire aux motifs nuageux, non sans rappeler son village d'appartenance. Un pantalon noir aux larges jambières recouvrait de fines cuisses, on croirait à une longue jupe. Chaque pièce était soigneusement ajustée et à la parfaite taille. La roturière qu'on prendrait pour une noble avait plutôt sa place dans une bibliothèque, chose qu'elle aurait certainement préféré.

« Je suis Muku, du clan Senbaru. » indiqua-t-elle avec une pointe de fierté. « Si tu es là pour t'échauffer, je te prie de changer de plate-forme... Je suis à la recherche d'adversaire sérieux. »

L'ingénue savait pertinemment pourquoi Kaori était là. Elle l'avait aperçue quelques minutes auparavant avec Waibe qui jetait des regards dans sa direction. Ce ton condescendant n'avait qu'un objectif : énerver la combattante pour qu'elle exprime sa rage guerrière. Je le répète, Muku est là pour prendre des coups, des coups toujours plus fort pour repousser toujours plus ses limites.

* Je ne cherche pas une copine avec qui jouer à touche-touche. Tu m'as l'air bien trop gentille. Voyons voir ce qu'il y a dessous si je gratte un peu. *

Sans un mot de plus, les mains blafardes s'agitèrent en une série de signes précis. Des longues et pendantes manches du kimono blanc se dessinèrent une dizaine de feuilles de papier. Elles lévitèrent innocemment dans les airs avant de prendre la forme d'armes menaçantes : des shurikens. Aussitôt que les mains s'arrêtèrent, les armes filèrent dans la direction de l'autre genin.

« Si tu ne sais pas éviter ça, alors tu n'as rien à faire ici. » déclara Muku d'un ton autoritaire.

Kaori était peut-être bien plus puissante qu'elle, à dire vrai elle l'ignorait complètement mais cela n'avait aucune importance. Elle refusait la moindre compassion, leurs véritables ennemis n'en auraient aucune pour elles. L'inébranlable sérieux des Senbaru se manifestait au travers de Muku. Studieuse et appliquée, l'exercice se voulait au plus près de la réalité.

Les armes de papier aussi tranchantes que les originales dardèrent leur cible avec succès avant de retomber sur le sol. D'un sourcil relevé, Muku s'étonna brièvement qu'elles ne se fichèrent pas dans leur ennemie. Ennemie oui, c'est comme ça qu'elle considérerait Kaori le temps de ce combat. Avec l'expérience des barouds contre Nanabe, elle comprit rapidement que la combattante usait des mêmes stratagèmes que la femme des montagnes.

* Je suis fatiguée par ce type de défense. Elles sont toutes là à bomber le torse face à mes menaces. Toujours la même rengaine. Il serait temps que je passe à un tout autre niveau. *

A son tour, la Yotsuki prit l'initiative. Quelques mudras plus tard, la voilà foudroyait face à la Belle, sourire aux lèvres. Une méthode usuelle des professionnels du corps à corps dont Muku avait une nouvelle fois connaissance. Sans tarder, la sentence tomba et une paume de main contondante la fit reculer de plusieurs pas en arrière. Sa respiration momentanément soufflait.

« Tu as failli froisser mon kimono. » dit-elle en le réajustant.

* J'ai eu de la chance que cette technique soit mineure. Elle utilise les mêmes codes que Nanabe. Je serai près à parier qu'elles se sont déjà rencontrées ici. *

Forte de ses acquis, elle plongea sa main dans sa sacoche et craqua un bref fumigène sur le sol. Loin de provoquer un brouillard aveuglant, il servait avant tout de distraction pour lui permettre d'effectuer quelques bonds en arrière et de regagner quelques précieux mètres. Durant sa fuite, elle signa de nouveaux mudras et une nouvelle vague de feuilles lévitantes chargea les airs. Contrairement à la première fois, elles étaient bien plus nombreuses. Les armes soi-disant inoffensives s'abattirent dans la zone devant la Senbaru telle une pluie battante.

Comme si ça ne suffisait pas, la maîtresse du papier reprit séance tenante ses incantations et de nouvelles feuilles, sans origamis particuliers, fondèrent sur les jambes de la guerrière pour espérer l'entraver.

* Je dois à tout prix la maintenir à distance. *

Certes elle a un balai mal placé, mais grâce à ces combats Muku a la ferme intention de devenir une arme. Une arme silencieuse au service de Kumo, et surtout de ses propres intérêts. Ces affrontements ont une autre finalité : tester et déceler les jeunes pousses des Nuages. Pour ses projets personnels, la Senbaru aurait besoin de bras, de bras armés.

Ce stratagème de fortune fonctionna à merveille contre Kaori. La magicienne néophyte avait plus d'un tour dans sa manche, à défaut d'innombrables jutsus capables de répondre à n'importe quelles situations. Cette créativité naquit lors de ses derniers échecs. Pour certains, notamment ces brutes épaisses, la défaite est synonyme de faiblesse. Pour les êtres perfides et opportunistes comme Muku, c'est une nouvelle donnée à prendre en compte. Raison garder et sang froid sont les maîtres mots. Tirer partie de chaque situation même les plus délicates et ne pas se complaire dans la victoire sous peine de chuter juste après.

* Seul le résultat compte. Et le compte n'y est pas puisque tu es encore debout. * se flagella-t-elle.

« Tu n'as pas esquivé mes dernières feuilles. J'ai connu des guerrières bien plus efficaces que toi. As-tu seulement le niveau pour m'affronter ? » la railla-t-elle.

La Senbaru ne ressentait aucun plaisir à l'offenser de la sorte. La vantardise n'est pas un trait de caractère chez elle. Seulement, elle ne reçut qu'une paume de main sans grand intérêt en guise de coup. Pour le moment cet entraînement était sans grande valeur. C'est pourquoi la sorcière s'évertuait à aiguiser ses mots, à piquer la fierté de cette combattante prometteuse.

* Montre moi de quoi tu es capable. Si je prospecte en ses lieux, ça n'est pas seulement pour mes propres compétences. Je suis à la recherche de lieutenants pour ma faction, le Marché Noir. Des bras armés portant ma volonté. Outre la confiance, j'ai besoin d'experts, de maîtres dans leur domaine. * se rappela-t-elle.

La distance de sécurité garantie, Muku relâcha son étreinte blanchâtre et les feuilles glissèrent le long de tes mollets au fur et à mesure.

« En plus d'être une piètre combattante, tu insultes ton adversaire en écorchant son nom. Quel niveau ! » rétorqua-t-elle en haussant les sourcils.

Supposant que son antagoniste est à la dérive pour en venir à de telles bassesses, elle décida de maintenir la pression. Ses blessures sont superficielles, alors la quantité supplanterait la qualité. Son corps ne serait plus qu'un tronc d'arbre sur lequel un cerf venait de faire ses bois.
Ses doigts nacrés dansèrent une énième fois. Les poignées perpendiculaires à des avant-bras parfaitement alignés, de nouvelles feuilles perlèrent de ses longues manches pendantes. Des armes que Kaori connaissaient bien désormais se plièrent dans les airs et fondèrent sur leur point de mire. L'issu est courue d'avance, mais qu'importe, l'usure est un moyen comme un autre.

La tacticienne pensait avoir percée à jour la faiblesse de Kaori. Une bagarreuse capable d'encaisser sans broncher a probablement en défaut l'agilité. Ses coups sont sûrement dévastateurs et elle aura commise l'erreur de ne pas frapper fort dès le premier engagement. Le visage placide et dénué de sentiment, Muku réincanta sur-le-champ une nouvelle entrave. Les feuilles sans formes particulières rasèrent le sol et s'ouvrirent comme deux bouches affamées pour engloutir, non pas ses deux jambes, mais les deux bras de la boxeuse.

A l'évidence, se contenter de contraindre les bras d'un pratiquant du taijutsu est une grossière erreur. Sans don de prédiction, l'on peut dire sans prendre de risque qu'ils utiliseront leurs pieds pour se battre. Muku n'est pas idiote. Elle souhaitait bravement voir autre chose qu'une lionne engluée dans quelques feuilles de papier. Qu'importe la victoire ou la défaite, seule l'expérience compte dans cette rencontre. Il en va aussi bien pour elle que pour son opposante.

* Comme prévu, tu encaisses une nouvelle fois cette attaque. C'est d'un ennui mortel. * se renfrogna-t-elle.

D'autres feuilles vinrent enlacer les bras de la guerrière privée de ses deux armes, on la supposerait inoffensive. Durant sa course pour atteindre la Belle, Muku fut surprise du tableau. On aurait dit une grosse poule vert caca d'oie les bras cloués dans le dos qui lui fonçait droit dessus. Une poule certes, mais une poule folle furieuse qu'il valait mieux ne pas sous-estimer. Une erreur déjà commise par Muku contre Nanabe. Ses jambes élancées à toute vitesse lui rappelèrent que ses deux membres là aussi sont de redoutables armes.

« Kami, Barrière de papier ! »

Ses mains à elle aussi sont de véritables armes, capables d'invoquer une matière si futile en apparence. Quant elles eurent fini de s'agiter, un mur immaculé se dressa entre les deux antagonistes. Composé d'un nombre incalculable de feuilles, elles s'enchevêtraient les unes aux autres sur une épaisse couche pour former une énorme ramette de papier. Une seule feuille est futile, mais cette exemple confirme le dicton selon lequel l'union fait la force. Un adage dans lequel la Senbaru avait trouvé un sens, d'où sa présence ici c'est dernier temps.

Le coup de pied rotatif de Kaori heurta de plein fouet le mur qui vola en éclat. Non pas par chance mais avec précision, il remplit le rôle confié par sa créatrice, la protégeant de ce fait. Fière de son art combatif, la guerrière termina son combo avec un coup de pied descendant que la magicienne para non sans mal de ses deux avants-bras croisés.
Le temps qu'elle reprenne position, la hargneuse kunoichi recula de quelques pas et incanta de nouveau ses armes blanches. La finalité de cette attaque ne faisait nul doute. Mais elle s'en foutait, elle s'entêtait sachant pertinemment qu'il n'y avait pas d'autre voie. Une première salve fut tirée. Pas une seconde de plus ne s'écoula pour qu'elle prépare la seconde qu'elle décocha sans attendre.

Entre ces deux jeunes genins, une certaine rengaine s'installait. Les mêmes attaques contraient par les mêmes défenses et vice versa. Un chouïa ennuyeux à suivre par les médecins des terrains qui scrutaient attentivement leurs moindres faits et gestes afin d'intervenir au plus vite. Mais ces ninjas chevronnés qui ont connus l'horreur de la guerre savent à quel point il est important de s'endurcir. Un mal nécessaire pour former l'élite du village.

* A la suite de combat, il faudrait qu'on prenne le temps de discuter un peu. * se demanda Muku. * J'ai besoin d'en apprendre plus à ton sujet. *

Ces guerriers, ces décérébrés, ces idiots si méprisants parfois. Expert dans la maîtrise de leur corps, ils en oublient parfois leur tête et leur intellect. Kaori paraissait ne pas échapper à la règle. Sa dernière frappe encaissée, chose qu'elle n'avait pas anticipée et contre les assauts répétés de Muku, elle lâcha finalement un flot d'injures et de bassesses. Face à cet archétype, fière représentante de ce modèle archaïque, la Senbaru se demanda si finalement son talent serait un atout à ses desseins.
Celle au balai mal placé ne savait pas ou peu rire, un défaut. Mais elle personnifiait à elle-seule la résolution. Cette intention ferme et définitive d'atteindre son but par tous les moyens.

* Je suis la pour souffrir, tu peux continuer. * se cingla-t-elle.

Comme toutes les autres fois dans cette rencontre, les armes pliées rencontrèrent cette coque de chakra si difficile à percer. Elles laissèrent néanmoins de nombreuses traces superficielles. Certaines d'entre-elles finirent par s'élargir, à tel point que de biens trop minces filets de sangs exsudaient sur sa peau mate.
Ses vêtements en revanche portaient les séquelles de l'émulation entre les deux jeunes femmes. Les lambeaux pendant qui restaient dévoilaient un corps affûté pour la guerre. L'insolence préalable fut vite pardonnée.

« J'ai la tête dure ! » faisait-elle référence à son caractère.

L'assaut final présageait de ce dernier échange verbal. Le bras tendu de la Yotsuki se rapprochait. Muku maria ses mains dans une dernière danse et des feuilles naquirent de cette union. Du bas vers le haut, les ramettes de papier se succédaient pour renforcer une épaisse défense. Le rempart de papier n'excéda pas quelques dizaines de centimètres de hauteur. Les réserves de chakra vidées par les offensives successives, la kunoichi n'avait plus de quoi se protéger.

* C'est fini. * conclut-elle.

L'axiome se confirma encore une fois. Très peu pour elle de ses combats en duel et honorifiques. A ses yeux, rien ne vaut l'efficience d'une exécution furtive et définitive.

Quand elle rouvrit les yeux, elle aperçut sa joue blanche écrasée sur la cuisse brune de son adversaire. Au lieu de la confronté à la dureté du sol, la combattante lui préféra la fermeté de ses muscles. Un geste d'abord humiliant, finalement bienveillant quand Muku se remémore la violence de l'attaque.

La condescendance encore, puis l'étreinte se relâcha s'en suivie d'un avertissement. Son évidente faiblesse à lutter en un contre un trahissait-elle sa perfidie et son opportunisme ? Pas si sûr et pourtant Kaori la pria de ne pas agir avec traîtrise.

« Je n'ai pas honte de la défaite. Au contraire je m'en nourrie, d'où ma présence ici. » précisa-t-elle en époussetant sa tunique. « Je reconnais volontiers ta victoire. » s'inclina-t-elle avant de tendre la main pour l'aider à se redresser. « J'ai des lacunes dans ce genre d'exercices, je tente de les corriger. Tu m'y auras aider, en partie. »

L'escarmouche terminée, Muku l'invita à quitter l'aire d’entraînement. Rejoindre une terrasse un peu plus bas sur un autre versant, retrouver un terrain neutre pour apprendre à se connaître différemment.
Bien que solitaire, la Senbaru sondait de potentiels alliés. Dévouée à Kumo, elle cherchait secrètement à libérer son village du joug du Daimyo, sa mort lui suffirait.

* Une victoire est une victoire, peu importe le chemin pour y parvenir. * gagea Muku. * Et dans notre cas, mes réserves en chakra m'ont fait défaut. Il est clair que je manque d'entraînement, ni plus ni moins. *

« Je considère ta victoire légitime. Le manque de chakra est une issue comme une autre. Un adversaire sans ressource est une proie sans défense. Ce sera la leçon à retenir aujourd'hui. Je ne l'oublierai pas. » réfuta la perdante.

Muku laissa sa partenaire aux bons soins des eisenins. Elle avait perdu, certes, mais elle n'avait pas démérité. Le corps de Kaori était affublé d'innombrables coupures plus ou moins profondes. Si l'Albinos avait tenu la distance, elle l'aurait probablement eu à l'usure. Mais cette chienne de guerre a le cuir épais. Dans tous les cas, elle signa une nouvelle défaite, encore.

D'un commun accord, la Senbaru prit de l'avance. Les coups reçus ne l'handicapaient pas tant et elle rejoignit à allure réduite le bar désigné. Le trajet fut uniquement consacré aux tactiques à développer pour contrer ses foutus combattants au corps à corps. La perfectionniste se remémora ses trois derniers combats, notamment ceux contre Nanabe, et une constante ressortait à chaque fois : difficile de se débarrasser de ses sangsues.
Pendant le tournoi Kumojin, celle qui se fit éliminer au premier tour observa les autres matchs. Une technique l'obsédait depuis quelques temps et semblait apporter la solution à son problème : le clonage. Pour sûr, ce jutsu viendrait prochainement compléter son répertoire technique. A tester.

Après avoir traversé la passerelle liant les pics, la jeune femme entra dans la taverne. L'établissement est typique de la topographie kumojin. D'abord troglodyte, la salle où s’asseoir s'ouvre sur le vide. Niché à flanc de montagne, les tables en terrasse sont suspendues dans les airs grâce à une corniche de pierre. Muku sourit à l'image la reproduisant balancer Kaori dans le vide. Elle, elle est rancunière. Mais le combat de ce jour n'alimentait aucune animosité en elle, c'était juste un entraînement.

* Je ne suis pas là pour perdre mon temps. Je dois en connaître d'avantage à son sujet, particulièrement quels sont ses objectifs de shinobis ; et tout spécifiquement son avis au sujet de notre Daimyo. Elle vient de me fournir la preuve de ses compétences, couplés aux futures miennes et à celles d'un troisième luron, il y a moyen de former une bonne équipe. Encore faut-il que nos intérêts converges, car les miens sont bien définis et ne résulteront qu'à une chose : la mort de Sugimoto et de sa lignée. * développa intérieurement Muku.

Soucieuse de préserver son intégrité, la Senbaru n'avait fait part de ses intentions profondes à personne, pas même à Maigu, sa petite sœur par adoption et fidèle compagnon. Un projet surprenant pour une fidèle Kumojin qui considère néanmoins son Daimyo comme nuisible pour son village. Mais pour atteindre cet objectif final, les étapes seront nombreuses, comme le gain de pouvoir et de puissance. Et pour cela, valait mieux être bien entouré.
Kaori l'aperçut au bord du précipice en traversant le pont. Toutes deux se font chaleureusement signe, un simple mîme de la part de la sociopathe dénuée de tout sentiment affectif envers l'autre. Elles se retrouvèrent autour d'un verre.

« Le village fut fondé par une Senbaru il y a 31 ans, Eiko. Nous sommes donc à l'origine de tout ceci. La maîtrise du papier fait partie de l'âme des Nuages, si j'ose dire. » lui répondit posément Muku. « Et toi, d'où viens-tu ? Je ne connais pas d'autres Yotsuki. Vous êtes un clan ou un famille ? »

Instinctif et révélateur, ce claquement de doigts indiquait l'appétence de Kaori pour les vieilles histoires. A l'heure où tout un peuple se complaît dans l'oubli, où le passé est communément balayé sous le tapis, cette jeune femme s'interpelle à l'évocation d'un nom de la première ère. En remontant aussi loin, Muku n'en espérait pas tant. Son projet demanderait du temps, de l'abstinence et de la patience ; des qualificatifs qu'on ne rattacherait pas à des mercenaires motivés par l’appât du gain. Pour aller au bout, elle devait s'entourer de lieutenants transcendés par ce but ultime : celui de libérer son village de l'asservissement du Daimyo, et de faire de Kumo et de Kaminari des entités égales, de les unifier. Pour se faire, la famille Sugimoto devait tomber.

* Kumo est dans l'ombre des nuages, sous le joug de la Foudre. A sa guise, il nous fait et nous défait comme de vulgaires pantins. Et aujourd'hui, ni lui ni nous ne sommes en mesure de contenir le tonnerre qui gronde sur nos terres. Pour préserver le village, il faut contrôler la capital. * Telle est la conviction de la jeune Senbaru.

En dehors des terrains d'entraînement, Kaori semblait moins à l'aise. Finit la souplesse des coups de pieds rotatifs, place à un buste solennellement droit. Ses yeux perçants cherchant la moindre faille restaient désormais fixes, faisant peser le poids de la suspicion sur Muku.

* A quoi t'attends-tu? * s'interrogea la Sournoise.

« Ton grand-père a tord, le passé est riche d'enseignements, surtout pour nous la jeune génération. Si tant est qu'on les comprenne. » lâcha-t-elle, évasive.

* Pourquoi cherches-tu à me tester en évoquant cette période interdite ? Moi, je n'ai rien oublié... *

A la bibliothèque de Kumo, Muku avait découvert un secret, un très lourd secret qui fait planer au-dessus de sa tête une épée de Damoclès. Il est inavouable. La kunoichi a fait le choix de la vérité, d'ouvrir les entrailles du passé, d'affronter les peurs d'aujourd'hui et de se libérer des chaînes de demain. Aussi, elle ne pouvait rester spectatrice et avait décidé de mettre en branle ce mouvement factieux, fidèle à Kumo.

« Le 'reste' de ton clan ? Que s'est-il passé ? Où sont les autres ? » creusa-t-elle. « Je n'y suis jamais allé mais je suppose que Houryou est bien différent de Kumo ? Les Nuages est une petite ville, tu t'y intègre facilement ? Un adage du coin dit, qu'avec Kumo, les kaminarijins ont le coup de foudre. » mentit-elle pour connaître ses sentiments envers son village natal.

Si Muku s'entraîne au combat alors qu'elle déteste ça, c'est pour apprendre. Si Muku s'enterre dans la bibliothèque alors que le vieux Ren est imbuvable, c'est pour apprendre. Si Muku souhaite voyager alors que Kumo lui suffit, c'est pour apprendre. Et si elle apprend sans cesse, c'est que le savoir, c'est le pouvoir.
Son caractère hautain et sa nonchalance lui viennent de son enfance particulièrement difficile. Des parents arrachés et envoyés à Arashi. Une adolescence solitaire et pauvre. Elle s'est faite toute seule en ne comptant que sur elle-même. D'où son manque d'attachement pour les autres.

« Oui, elle est mon ancêtre. Le clan possède son domaine au sein même du village. » informa-t-elle la petite curieuse. « Je ne connais pas les relations entre le clan et la Shodaime, puisque je n'en fais plus partie... » abandonna-t-elle.

* Tu comprendras désormais que mes intérêts n'ont rien à voir avec le clan, peu m'importe de qui je descends. Si je grimpe la montagne de mon destin, c'est à la seule force de mes bras. Kumo est ma famille. *

Chaque phrase de la kunoichi du Nord était épluchée par la Senbaru. Par ses mots, elle souhaitait ôter son armure à cette guerrière et la mettre à nue. La force physique est une chose, l'emprise en est une autre. Muku n'avait aucunement l'intention d'exercer une quelconque domination sur sa consœur, elle souhaitait plutôt lui apporter un but. Une voie dans laquelle l'intellectuelle saurait diriger cette force de la nature à ses propres fins, tout en respectant les volontés de la combattante. Une alchimie subtile, mais qui habilement dosée conviendrait aux deux genins, et cela de leur plein grès.

* Comme ça tu te sens redevable au village, mais tu es profondément guerrière avant d'être kumojin. J'ai bien senti la force de tes points...
Pour se faire, je dois t'apporter la guerre, une guerre qui servirait tes ambitions, tout en respectant ta promesse envers Kumo.
Je ne perçois pas d'attachement particulier à la Capital, mais je préfère éviter cette partie pour le moment. Je pense pouvoir répondre à tes attentes, les tiennes serviront les miennes … *

« Patriotique est bien grand mot. Si le village ne nous offrait pas tout ce qu'il nous apporte aujourd'hui, nombreux seraient ceux à lui tourner le dos. Tu es peut-être la plus patriote de nous tous, en mettant à son service tes poings contre une vie simple. » objecta-t-elle.
« Quant à moi, j'ai toujours vécu ici, pour le meilleur et pour le pire. Par mon nom, j'ai cette attachement sentimental à ses pics, ils sont comme les doigts de mes mains. » imagea-t-elle en tendant ses phalanges vers le ciel. « Et puis, même si cette héritage est controversé, mon aïeul Eiko est à l'origine de tout ceci. J'ai l'intime conviction de devoir poursuivre son œuvre. » s'arrêta-t-elle brusquement, pour refréner ses émotions.

Loin d'adopter les dogmes violents de son ancêtre, Senbaru Muku n'est en revanche pas contre le fait d'employer de temps à autres la manière forte. Une puissance dirigée et contrôlée.
Une fois l'équipe composée, ils devront d'ailleurs passer à l'action. Des gangsters armés jusqu'aux dents ont la main mise sur le Marché Noir de Kouwareki, porte d'entrée du commerce mondial à Kaminari. S'emparer de cette organisation clandestine ne peut se faire autrement que par le sang. De quoi contenter l'appétit féroce de cette genin à la peau mate.

« Des problèmes familiaux, on peut dire ça. » baissa-t-elle le regard. « Les miens ont été bannis à Arashi, dès cet instant je n'ai plus eu de nouvelle. Après cette attaque du Jinsei, j'ignore s'ils sont toujours en vie. » termina-t-elle à voix basse. « Les autorités du pays les ont envoyés là-bas pour des faits mineurs. Même s'il a survécu, le clan a souffert du Traité de Prospérité et de la fermeture du village. Si mon ancêtre nous voyait, aussi faibles, elle aurait honte. » lança-t-elle cette perche.

La complotiste était tiraillée. Devait-elle aller plus loin tout de suite ? Où valait-il mieux attendre, laisser les mots germer dans l'esprit fertile de Kaori.
Forte, elle serait peut-être déjà mûre.

« Depuis la remilitarisation de Kumo, le village est loin d'avoir retrouvé sa puissance et sa protection d'antan. J'aimerai tant l'aider... et nous sortir définitivement de cette pauvreté » soupira-t-elle.

L'heure était venue.

L'évocation d'Eiko porta ses fruits. La toute première Raikage du village est la seule dont le prénom est encore inscrit dans les livres. Probablement parce que c'est une Senbaru. Les autres qui suivirent ont tout bonnement disparu de notre histoire, c'est ce qu'on appelle le Grand Oubli.
Comme Kaori s'amusa à le rappeler, prononcer ce nom, c'est s'attirer des ennuis. En effet, la toute puissante famille Sugimoto à la tête de Kaminari depuis des générations s'est évertuée à faire oublier à son peuple le passé sanglant de Kumo. Un récit tronqué de l'histoire pour conserver son emprise malfaisante sur le village. Muku recherchait des shinobis conscients de cette main invisible qui les étreignaient. Animés de cette volonté de libérer le village, et pourquoi pas le peuple de la Foudre, car les dieux seuls savent ce que cette famille a commis.

* Tu trouves donc la légende d'Eiko inspirante ? A moi d'être suffisamment maline pour l'être tout autant, et t'emmener dans mon sillage... *

La seconde prise de parole de Kaori fut comme un nouveau coup de poing que Muku reçu en plein visage. Cette ancêtre qu'elle vénérait presque l'aurait probablement exécutée selon les termes de la combattante. Cette idée raisonna et engourdit l'esprit vif de la jeune femme à la peau blanche. Porter le nom de Senbaru et ne plus faire partie du clan, une hérésie... Sans le savoir, Kaori avait mis le doigt sur un point sensible.
Après le Traité de Prospérité, la branche Senbaru dont Muku fait partie s'est appauvrie à tel point que ses parents décidèrent de quitter le domaine clanique. Sans le sou, son père profita de son don pour créer de la fausse monnaie. Ce qui valut, à lui et sa femme, un aller simple pour Arashi.

« Tu dis probablement vrai. » rétorqua humblement Muku, sans insister d'avantage.

* Je dois retrouver ma place au sein du clan. C'est avant tout une question d'honneur personnel. * s’enquiert la jeune Senbaru. * Y évoluer, c'est aussi un bon moyen de gagner du pouvoir, notamment politique. * Relativisa-t-elle avec bien d'autres idées derrière la tête.

« … Mais si elle prenait le temps de discuter avec moi, elle y réfléchirait à deux fois ... » s'amusa-t-elle finalement à répondre à Kaori.

Finalement après s'être fait titiller, la Yotsuki dévoilait son vrai visage. A l'image d'une bonne marchande qui ne vend rien sans en tirer un bon profit, la guerrière monnayait déjà ses poings.

* Tu es à Kumo car il t'offre une vie simple, tu serais ailleurs si on t'en offrait plus... Tu m'intéresses bien plus maintenant que je te comprends. *

« Mon entraînement n'est qu'un prétexte pour découvrir et tester des shinobis talentueux. Nous ne nous sommes pas rencontrés par hasard. Et cet échange amical autour d'un verre n'est rien d'autre que le test suivant, puisque tu as réussi le premier... Et on dirait bien que tu as réussi le second.»

Muku se leva et glissa sa chaise sous la table.

« Je reviendrai vers toi prochainement. Et lorsque nous nous reverrons, tu sauras tout. » conserva-t-elle ses propos énigmatiques. « Je te souhaite une bonne journée. A bientôt. »