Adversaire:

Je rajuste une dernière fois ma veste de combat : la ceinture de grenades et le harnais d’explosifs ne me disent rien qui vaille. J’ai d’ordinaire l’habitude de cacher ces accessoires sous ma veste blanche, une dissimulation fort utile pour les missions incognito. Mais j’ai pour ambition un jour de rejoindre les Kiheitai, les troupes de choc de Kumo. Pour cela, il faut que je sois à la hauteur de mes ambitions et représente une menace considérable. Seuls les ninjas les plus agressifs et les plus dévastateurs sont envoyés chez les Kiheitai. Pour faire partie de ce corps spécialisé dans l’assaut, il faut prouver d’une certaine hargne au combat et pour cela… Il faut avoir l’habitude du feu.
C’est la principale raison de ma venue aujourd’hui sur le terrain d’entraînement : combattre d’autres ninjas, reprendre l’habitude des affrontements violents, pourquoi pas gagner un ou deux duels. Néanmoins, pour une première mise en jambe, tenir le coup face à d’autres genins me suffira amplement : à force de soutenir de loin sans m’investir en personne, j’ai dû perdre quelques réflexes.
L’air froid des plateformes d’entraînement constitue un délicat rappel que dans quelques minutes, je vais avoir chaud. Autant par l’effort physique que par l’énergie de mes explosions. En me présentant devant Waibe, le médecin en charge d’attribuer des paires aux ninjas qui viennent seuls, j’arrive derrière une genin qui cherche une spécialiste du ninjutsu.

« M… Moi ? Je suis volontaire. Je cherche quelqu’un avec qui combattre, pour un duel. » Je lève timidement la main. « Je m’appelle Momiji, Suibaku Momiji, spécialiste du ninjutsu et des explosions.
-Oh, une Suibaku va se battre sur le terrain d’entraînement ? » Commente l’un des arbitres. « Je croyais qu’ils avaient leur propre zone, à cause des cratères qu’ils laissent derrière eux. » Je pince les lèvres.
« C’est à peine vrai, juste pour les hauts gradés du clan. Pour les genins, ça passe, la plupart du temps. » J’espère que ça va passer avec moi.

Je me vois mal touiller un sceau de ciment avec un manche à balais car j’aurais pulvérisé la pierre des arènes. En face de moi, la jeune fille qui voulait un sorcier me regarde et dans un réflexe peu belligérant, je m’incline bien bas.
Mais j’ai peur de ne pas convenir : je n’ignore pas que certains veulent des adversaires plus forts qu’eux. Pour qu’ils aient un plastron, une cible résistante qui saura encaisser leurs attaques les plus puissantes. Hélas, je suis une genin avec juste un peu d’expérience, je ne suis pas certaine d’être conforme à ses attentes. Néanmoins, je suis sûre que ce sera une expérience enrichissante pour nous deux.

« Enchantée, partante pour un duel ? » Je lui offre mon plus beau sourire.

Ce n’est pas parce que nous allons nous battre que nous devons être hostile l’une vers l’autre.

« Oui, les Suibaku ont leur propre zone d’entraînement. Une vieille carrière à ciel ouvert que nous utilisons pour nous entraîner. Nos techniques ont tendance à provoquer de gros dommages collatéraux et même si ce n’est pas l’endroit idéal, il est à l’abandon, ce qui nous permet de nous entraîner sans causer de dégâts. »

Nous rentrons dans l’arène, deux arbitres scrutent attentivement le combat, au sommet des murs, on distingue même quelques curieux qui s’installent et l’espace d’une seconde, je vois le reflet d’une pièce de monnaie qui circule entre deux mains. Des paris ? Le remarque de Muku me passe presque au-dessus de la tête, j’observe le ciel montagnard, ou plutôt son absence : nous sommes au toit du monde. Les nuages sont à nos pieds et dans cette ambiance ascétique, de spectateur du monde, je me rends compte que nous partageons le point de vue des dieux. C’est un vent froid qui souffle et m’arrache un frisson alors que je noue ma veste autour de ma taille, juste en dessous de ma ceinture de grenade. Le harnais d’explosifs, la grenadière, les kunaïs à ma ceinture, tout cela me dépasse.
La Senbaru déclare qu’elle sera la première à lancer les hostilités.
Je me place devant-elle, la demoiselle recule un peu. Deux mètres, distance courte, presque du corps à corps, mon adversaire prend la peine de reculer encore un petit peu, je compte les pas et ma respiration s’accélère. C’est un bref frisson qui me traverse de haut en bas, l’adrénaline qui pulse dans mes veines, un mètre, deux mètres, trois mètre, quatre mètres. Six mètres nous sépare, la distance mortelle entre un utilisateur de taijutsu et un combattant de distance. Six mètres, c’est la distance qu’il faut à un tireur pour bander son arc et décocher une flèche. En dessous et le combattant de taijutsu a le temps de combler la distance. Au-dessus et un spécialiste peut faire ses mudras pour repousser une attaque.
L’académie et les enseignements de mon maître me reviennent à l’esprit : en cas d’attaque, reculer, contrôler l’espace.
Bras le long du corps, j’attends le premier geste offensif pour réagir à mon tour.
Muku Senbaru joint les mains.
Je fais de même pour préparer ma défense, grenade défensive, reculer au plus vite.

« Que la meilleure gagne. »

Le papier autour d’elle se met à léviter et s’assemble en shurikens de papier. Mes mains recrachent une boule d’argile soufflante.
S’élancent ma grenade et les projectiles. Ma main forme le signe du serpent, celui de la mise à feu.
Ma bombe explose au milieu des étoiles ninjas, mon hurlement se confond avec la déflagration.

« GRENADE ! »

L’explosion perturbe la trajectoire des shurikens qui me loupe de peu pour la plupart, une paire m’entaillent au niveau des bras, rien de trop grave.
Ma riposte est un enchaînement qui sort par automatisme, une manière de punir directement cette escarmouche légère. Mes mains plongent dans mes pochettes d’argile, mordant dans la glaise à pleine dents avant de ressortir. Les signes de main s’enchaînent.
Ma main gauche recrache une vipère d’argile qui fond sur Muku.
Ma main droite tousse cinq oiseaux qui s’agrippent à mon dos, en attente de l’ordre d’attaque. En attendant le prochain assaut, je continue de reculer, souhaitant mettre de la distance avec mon adversaire.

Rapport de situation :

Muku intercepte la vipère d’argile en envoyant des senbons de papier immobiliser l’animal qui finit empaler au sol. J’ai une grimace peinée pour la bête : je n’aime pas voir de la violence, même quand c’est dans le cadre d’un duel. Désolé vipère, tu seras vengée, je te le promets. Muku prépare de nouveaux signes de main, le début est le même que tout à l’heure, encore du papier. Ce qui m’avance bien : je n’arrive pas à savoir de quoi il s’agit. Dans le doute je prépare une nouvelle grenade soufflante et en voyant la grêle de shurikens qui me tombe dessus, je comprends que la quantité est une qualité. Je lance la bombe à effet de souffle au milieu du nuage de shurikens qui s’éclaircit de nouveau, principalement en son centre. La plupart tombent autour de moi sans grand effet, mais je récolte encore des coupures, heureusement qu’ils sont éparpillés sur une bonne zone, sans ça, j’aurais finie lacérée de part en part. Je peux me défendre de ses attaques à distance, les shurikens sont trop légers pour garder une trajectoire stable face à mes bombes.
Je note cette information dans un coin de mon esprit.
Tout ce papier dans l’arène me met mal à l’aise et je trotinne pour sortir de leur zone d’influence. J’attrape une nouvelle poignée d’argile pour préparer mes prochains assauts : c’est l’heure de tester la défense adversaire.
La guerre c’est comme la dance : une question de rythme et de synchronisation avec la personne en face. Testons le rythme.
Je lui lance une grenade à impact, attend un bref intervalle pour jauger sa réaction, réacquérir la cible, puis juste après, j’envoie une paire d’hirondelles téléguidées : elles attaquent par le ciel, l’une de la gauche, l’autre de la droite. Deux attaques pour tester le relief de ses défenses et sa capacité à maintenir un périmètre de sécurité. Ensuite, en fonction des circonstances, il faudra voir pour l’atteindre, trouver la faille.
J’ai le temps et j’ai les moyens de bombarder avec force, mais en attendant, je veux voir sa capacité à gérer plusieurs menaces en même temps et des attaques de différents angles. Voir si mes tactiques sont au point.
Puis j’ai un blanc, je me rends compte que j’y vais peut-être un peu fort, je pince les lèvres.

« Tout va bien ? C’est à ta convenance. »

Je n’aimerais pas y aller trop fort.

Rapport de situation :

Muku intercepte la grenade en lançant un kunaï. L’explosion l’impacte légèrement alors qu’elle génère un mur de papier sur son flanc droit. Le gauche encaisse l’hirondelle kamikaze de plein fouet et elle se retrouve projetée contre son mur d’origamis. Sonnée par l’impact, elle prend un instant avant de se relever, titubant légèrement avant de me courir dessus en préparant des mudras. Je suis impressionnée qu’elle soit encore debout après l’impact des bombes : d’ordinaire, peu de genins résistent sans protection à mes explosions. Le bakuton est un domaine extrêmement létal, qui ne manque pas de provoquer des dommages collatéraux.
J’attrape de l’argile à ma ceinture, prépare une autre grenade soufflante et lorsque les senbons de papiers volent dans ma direction, c’est une bombe à effet de souffle qui les intercepte. Le Trop légers pour garder leur trajectoire, ils partent à la dérive et s’écrasent au sol sans occasionner de dégâts.
J’ai un pincement de lèvres en voyant la deuxième rafale qui s’écrase à ma pochette gauche, les aiguilles de papier se plantent dans l’argile. Les origamis se déplient et tombent au sol, reprenant leur forme initial sans avoir infligés trop de dégâts à ma glaise : c’est un matériel inerte tant que je n’y ai pas injecté de chakra. J’ai perdu quelques matériaux, mais l’argile est assez dense pour garder sa forme initiale, en particulier puisqu’elle est toujours au sec.

« A mon tour. »

C’est l’heure de la riposte.

« MOINEAU DE CHOC ! » Les cinq oiseaux dans mon dos prennent leur envol et foncent sur Muku. Je profite de la fenêtre qui m’est donnée pour entamer des signes de main.

Mes paumes crachent deux hirondelles d’argile qui prennent de la hauteur. Mes escarmoucheurs aériens font volte-face et attaquent la manipulatrice de papier en tenaille. Je récupère une petite quantité d’argile et effectue la même technique. Celles-ci montent en l’air avant de redescendre. L’une fait un piquet sur Muku, l’autre attend un peu avant de suivre la même trajectoire sur mon adversaire. la quantité est une qualité. En particulier lorsqu’elle comprend quatre bombes téléguidées sur neuf.
Par mesure de précaution, je reste sur mes gardes et recule encore, cherchant à maintenir la distance face à Muku.

Rapport de situation :

Descriptif tour:

Le bombardement fait son effet : débordée de tous les côtés, Muku n’arrive pas à tenir la cadence. Son mur de papier intercepte une hirondelle, un autre encaisse la rafale de choc qui le fait brûler sous l’effet de la chaleur. Elle émerge du nuage de flammes et de cendres, les hirondelles explosent au contact ou à proximité immédiate et elle se jette au sol. Dans un ultime espoir pour m’avoir au corps à corps, elle poursuit sa course et alors que je me prépare au contact, tirant un kunaï pour lui faire la peau, j’ai un hoquet de surprise en la voyant s’effondrer devant-moi, inconsciente.
Je me fige pendant une seconde, brandissant mon kunaï, parée à contrer une éventuelle feinte. Puis en comprenant qu’elle ne fait pas semblant, j’ai un mouvement de recul, horrifiée par la puissance de mes explosions et range mon couteau.

« Muku, Muku ! » Je me précipite à son chevet. « Muku, parle-moi. »

Waibe apparaît un instant plus tard, et vérifie son souffle avant d’avoir une mine soulagé : elle n’est qu’inconsciente et déjà, mon adversaire semble émerger. J’ai un soupir de soulagement en la voyant se redresser, épuisée et désorientée, mais en bonne santé. L’espace d’un instant, je craignais le pire pour elle, mais elle se porte bien.
Je prends note de ne pas faire n’importe quoi avec mes bombes : si certaines y résistent très bien, d’autres au contraire, ont des difficultés à tenir le choc des impacts. Le bakuton est un élément dévastateur et aujourd’hui, la piqûre de rappel aurait pu être beaucoup plus intense. Je ne dis rien, laissant le temps à ma camarade de se remettre du choc des hirondelles et de reprendre conscience de son environnement.
Je lui tends une main pour l’aider à se relever.

« Tu m’as effrayé, j’ai cru t’avoir perdu pendant un moment. »

Mais ce serait mentir de dire que Muku ne m’a pas surpris : je ne m’attendais pas aux murs, ni à cette quantité de shurikens de papier.

« Beau combat, » j’ai un regard vers ses yeux. « Tout va bien ? Pas de mal de tête ni d’envie de vomir ? Une douleur anormale ? »

« Bien sûr, c’est la moindre des choses. Un examen de routine pour vérifier que tout va bien. »

De toute manière, les médecins sont habitués à voir des Suibaku débarquer avec des blessures par explosion. C’est presque une tradition à part entière : les organes vitaux sont très sensibles aux ondes de choc et même avec des grenades d’entraînement, on peut se blesser gravement. En espérant que Muku n’ait pas les poumons contusionnés, pour une première rencontre, ça ferait tâche. De toute manière, il faut que j’apprenne à mieux doser mes assauts : si j’avais fait usage de ma rang B, nul doute que Muku aurait été à l’hôpital dans un brancard.

« Pas grand-chose, on dit souvent que je suis une fille calme et trop gentille. » Le genre dont on s’étonne presque qu’elle soit devenue ninja, mais comme pour beaucoup de choses, les apparences sont trompeuses. « Allons prendre un rafraichissement en tout cas. »

Nous nous arrêtons devant une petite échoppe après avoir quitté le terrain d’entraînement, quelque part sur la route pour l’infirmerie de Kumo et une fois n’est pas coutume, je me prends un jus de fruit. D’ordinaire, j’ai une préférence pour le thé, mais boire un jus d’orange ne fait pas de mal. Pour m’excuser d’avoir tapé trop fort, j’offre sa boisson à Muku.
C’est presque étrange, cette sensation que la vie reprend son cours normale après un duel. L’adrénaline qui redescend, le calme après la bataille. On s’assoit, on discute, on oublie qu’il y a encore quelques minutes, nous étions dans une lutte sans merci pour savoir qui était la plus forte. Je n’aime guère ce genre de changements brutaux, mais c’est l’habitude des longues marches avant d’atteindre la mission qui parle. J’aime bien quand il y a un sas de décompression.

« Alors Muku, pour un premier combat face à une Suibaku, un commentaire à faire ? »

Je suis curieuse, il est rare d’affronter des manipulateurs de papier. Qui plus est, je n’ignore pas que l’inverse est aussi vrai : affronter un Suibaku est assez rare. Nous ne sommes pas si nombreux à Kumo. C’est pour cela que j’aime recueillir les avis de mes camarades sur le clan en lui-même, mais aussi sur mes capacités. Pour progresser, il faut avoir des retours.

Muku ne manque pas d’éloges à propos du Kekkei Genkai de mon clan, le couvrant d’éloge avec les explosions, leur versatilité en matière de combat de choc. Je manque de rougir quand elle me complimente sur mes grenades à effet de souffle : je ne pensais que leur usage m’attirerait autant d’éloges. Elles génèrent une déflagration légère, n’importe qui aurait pu y penser, je l’ai appris relativement jeune. C’est un moyen de s’entraîner sans risques de blessures, ou très peu. J’ai un hochement de tête poli.
Ensuite, la Senbaru me pose des questions sur mon clan, une vague question sur l’exil, comme quoi nous ne serions que peu mentionnés dans les livres d’histoire. Ce qui est compréhensible, les Suibaku ont pendant été un long moment des criminels de carrière, ce n’est pas le genre de personne qu’on inscrit dans les livres d’histoire. En particulier lorsqu’il faut écrire le roman d’un pays, l’épopée d’un peuple, la naissance d’une nation.

« Eh bien, » par où commencer ?

Après tout, si elle me pose la question, c’est qu’elle attend une réponse, des informations sur les Suibaku, sur ce que nous étions et sommes devenus. L’exil Suibaku, puis le retour après une amnistie en échange de notre loyauté. Nous avons acheté notre droit de cité par notre sang, ce qui fait de nous un clan tout à fait légitime. C’est une belle histoire, pourtant, je ne partage pas cet amour de la dynastie, ce besoin de perpétuer la tradition.

« Déjà, merci du compliment. Tu as du talent avec tes origamis, je ne m’attendais pas à voir apparaître un mur de papier. » Ensuite ? Il faut attaquer le vif du sujet. « Le clan Suibaku est un clan d’artificier principalement. A l’époque, bien avant ma naissance, le clan était en exil et se livrait à toute sorte d’activités criminelles. Lorsque le pays de la foudre a eu besoin de ninja, il fût offert l’amnistie au clan, en échange de son service à la foudre. Une manière de racheter une existence de criminel. Encore aujourd’hui, il y a une petite coutume qui sert de rite passage, le devoir de voler un objet sans grande valeur, pour la symbolique, pour honorer les ancêtres j’imagine. Je n’y ai pas pris part et du coup… » J’hausse les épaules. « Me voilà où j’en suis, au service de Kumo, sans être au service de mon clan. »

Une histoire pleine d’ironie, mais c’est mieux ainsi.

« Et toi ? De ce que j’ai pu entendre, l’histoire du clan Senbaru est riche en drames. » Ils dirigeaient Kumo à une époque.

« Si je compte retourner au sein du clan Suibaku ? » J’ai un haussement d’épaule, bien sûr, on ne peut rester en loup solitaire toute sa vie. De l’autre côté, je ne vois pas pourquoi je devrais retourner auprès d’eux, je peux tracer mon propre chemin. « Non, pas dans l’immédiat. J’ai refusé leurs traditions, ce n’est pas pour y revenir. Je conserve de bonnes relations avec eux mais ne peut accepter le passé du clan. »

Mais ses paroles éveillent en moi un certain intérêt, lorsqu’elle me parle de l’histoire de son clan, du village. De la notion d’honorer ses ancêtres. Si je n’apprécie guère l’épopée de mon clan et les traditions qu’il perpétue, c’est toujours avec respect que j’écoute son parcours. Les morts méritent la décence à défaut de recevoir du respect ou de l’admiration. Je ne partage pas l’amour que d’autres peuvent porter envers les racines Suibaku, car je n’aime ni les bandits ni les voleurs. Néanmoins, il faut savoir faire l’impasse sur certaines choses, ou en assumer les conséquences.
Qu’elle avoue un tel irrespect envers les dirigeants de Kumo me surprend. Néanmoins, c’est compréhensible : si en effet elle vient du clan qui a fondé le village caché des nuages à son origine, sa vision des choses doit être radicalement différente du commun des ninjas. Ma réponse laisse transparaître une certaine naïveté : n’étant pas informée, difficile pour moi de faire un choix éclairé.
S’il y a un choix à faire.

« Le village caché des nuages mérite de perdurer. Je pense que c’était une erreur de fermer Kumo en premier lieu. Néanmoins, je ne puis dire si un changement de gouvernance serait légitime ou non : j’ai grandi à l’écart des politiques, avec un idéal de défenseur du peuple. Je ferai ce qui est le mieux pour les habitants de Kaminari. » Je n’ignore pas que c’est une esquive peu satisfaisante. « J’aspire à la paix, parce qu’avec la destruction de la prison d’Arashi, j’ai pu voir ce qui arrive quand on laisse des criminels dans la nature. J’aimerais ne pas avoir à me battre mais… » Je retire un de mes gants et dévoile une bouche fermée. « On ne peut pas laisser les kamis faire tout le boulot. »

Toutes ces remarques politiques, toutes ces questions.

« Devrais-je comprendre quelque chose, Muku ? »

Alors, le jour où je prendrai la plume pour écrire l’histoire, ce sera seulement celle de Suibaku Momiji et non pas de son clan. Si je venais à joindre le récit de mes ancêtres, ce serait avec joie, mais je ne souhaite pas prendre la tête d’un clan dont je désapprouve le passé. Peut-être que je pourrais le réformer, comme elle le dit si bien, il faut savoir assumer son passé pour changer le présent. On doit incarner le changement que l’on souhaite voir.
Si je veux qu’un jour les Suibaku représentent un clan digne qui a rejeté son passé de hors la loi, il faut se donner les moyens de le faire évoluer.
La Muku s’empourpre d’un seul coup et a un sourire. Elle papillonne des yeux avant de s’effondrer sur la table. Je bondis d’un seul coup, choquée par ce qui vient de se passer : est-ce qu’elle est encore consciente ?

« Muku ? » Pas de réponse, « Muku ! » Toujours rien, je m’approche d’elle avant de prendre son pouls : son cœur bât et elle respire. Par contre, elle est dans un piètre état : ses blessures se sont rouvertes et je dois l’emmener à l’hôpital avant que sa vie ne tienne à un fil. « Désolé, mais je n’ai pas le temps d’attendre que tu te réveilles. »

Je la charge sur mon épaule et réprime une grimace d’inconfort : elle est lourde, à moins que ça ne soit moi qui suis faible. Je disparais avec Muku sur mes épaules et en sentant de toit en toit jusqu’à l’hôpital, je me rends compte que c’est de quelques séances à la salle de musculation qu’il me faudrait. Soulever de la fonte pour soulever plus facilement mes camarades. En arrivant à l’hôpital, j’ai un pincement de lèvre et tente de masquer ma fatigue. Plus facile à dire qu’à faire, je m’en rends bien compte lorsqu’un médecin me prend Muku des mains en me demandant si j’ai aussi besoin d’assistance médicale.

« Non, je suis une genin, je me suis laissée allée physiquement. » Je prends une inspiration. « C’est elle qui a besoin de soins médicaux. » Glorieux non ? La genin trempée de sueur à cause d’un simple aller à l’hôpital en transportant sur ses épaules une camarade. « Je vais m’installer à côté, dans le hall où on attend les patients. »

Je me traîne jusqu’à un siège avant de m’effondrer dessus.
On me tend un verre d’eau.
Suprême défaite.

« Non merci, j’attends une camarade qui est auprès des docteurs. »

hrp:

Les heures passent et avec elles, mes interrogations : je prends le temps de réfléchir à ce que Muku cherchait à me dire, les questions qu’elle posait, ses réponses et ses incitations. Au fond de moi, il y a l’étincelle d’un doute quant à la meilleure façon de gouverner le pays de la foudre. Je me demande pourquoi le Daimyo est en charge de la région si c’est la Raikage qui la défend : nous sommes les gardiens de la cité, ne devrions-nous pas avoir voix au conseil ? Après tout, nous sommes des ninjas, nous combattons, nous avons largement mérité notre droit de vote, pourtant nous sommes relégué à Kumo. Sans mettre la charrue avant les bœufs, je crois comprendre pourquoi Muku m’incitait à l’ambition : les Suibaku méritent sans doute mieux que la place qu’on leur réserve. Nous méritons tous un avenir radieux, ne serait-ce que pour les sacrifices auxquels nous consentons. Toutefois, il est trop tôt pour en discuter, je me perds en suppositions et surtout, j’espère que ma comparse va bien.
J’avais conscience que les explosifs engendrent de gros dégâts, mais c’est toujours un choc de s’en rendre compte. De voir les blessures sur le corps d’une autre, le sang versé et les hématomes liés aux ondes de chocs, les shrapnels qui pénètrent les défenses, le souffle court d’un poumon éclaté. J’attendrai le temps qu’il faut, mais je ne quitterai pas le dispensaire avant d’avoir la certitude que ma camarade est bien portante, question de principes. Je fais les cents pas dans le hall, prend un thé, me remémore les jours fériés de Kaminari, essaie de réconcilier les opinions de Muku et les enseignements de l’académie.

« Mademoiselle Suibaku ? » J’ai un regard vers l’infirmière qui m’a appelé. « Votre partenaire de duel souhaite vous voir. » J’ai un soupir de soulagement, Muku est consciente.

Nous traversons le couloir et j’arrive dans une petite chambre avec une Muku consciente, mais mal en point. Je m’assois à son chevet et lui présente mes excuses :

« Navrée d’avoir frappé si fort Muku. Je veillerai à ce que ça n’arrive plus. » Je porte une attention toute particulière à sa remarque. « Alors, nous nous reverrons. »