Elle l’a regardée droit dans les yeux. C’est là que la Chûnin a compris. Cet œil rouge, unique, qui la dévisage et ne lui laisse aucune alternative. Ce regard de braise qui la transperce, qui lui brûle les entrailles et ne laisse plus rien d’elle.
C’est quand ces mots ont été prononcés que Maki a été contrainte à la recherche, encore une fois. Ce long et fastidieux travail de repérage. Un autre, encore un autre. À croire que faire partie de l’équipe de la Raikage les fait fuir, les pauvres.
Alors, la Chûnin, comme à son habitude, s’est remise au travail.
D’un côté, ça lui met une pression phénoménale de chercher des élèves pour sa grande patronne. D’un autre, ça lui permet de ne pas devoir s’occuper d’autres tâches, comme de la communication ou autre. Les séances de communication verbale, elle a beau en avoir vécu beaucoup, elle n’y arrive toujours pas. Quand Itoe lui dit qu’il lui faut un autre élève, qu’il faut qu’elle prenne en charge un peu de ces jeunes Genins qui arrivent, c’est une bonne nouvelle, d’une certaine manière.
***
Les recherches ont pris une semaine. Une étude acharnée de tous les Genins du village, avec tous les profils. Tous ceux qui lui paraissent intéressants atterrissent sur le bureau d’Itoe, avant de revenir sur le sien, inchangés. Elle les lit tous, n’en choisit jamais aucun. C’est là que la tâche de Maki devient extrêmement complexe : c’est à elle que revient la décision finale, celle qui met des Genins sur les carreaux pour n’en faire briller qu’un. Heureusement que personne ne le sait : ça lui causerait bien des tracas.
Finalement, Maki a choisi Yotsuki Kaori. C’est le profil qui lui paraît le plus taillé pour convenir à l’Itoe qu’elle découvre en ce moment. Une femme forte, certes, mais surtout une femme qui a besoin de se reconstruire. Pour ça, rien de tel que des personnes fortes, bagarreuses, qui la pousseront dans ses retranchements ou lui permettront de voir que non, ce n’est pas encore perdu.
Maki est arrivée de nulle part, le dossier entre les mains. L’unique dossier, le final. Le seul utile, finalement. Évidemment, la lettre qui va avec est partie au petit matin pour convoquer Yotsuki Kaori à un entraînement, trois jours plus tard, au début d’après-midi. Pas plus d’informations, simplement une convocation à se rendre sur les plateformes. Itoe a donc lu le dossier et préparé ce qu’elle allait faire pour ce jour-là.
Une manipulatrice du Raiton, combattante au corps-à-corps, principalement. Une affinité qu’elle ne maîtrise pas, donc, mais un style de combat qui n’est pas non plus hors de sa portée. Autrement dit : ce n’est pas idéal, mais ce n’est pas impossible non plus.
***
Le jour du rendez-vous, Itoe est arrivée avec beaucoup d’avance. Elle commence par s’échauffer correctement, s’entraîner un peu de son côté.
Quand Kaori apparaît, elle l’accueille avec un sourire.
« Bienvenue ! »
S’en approche lentement.
« Je me présente, ne serait-ce que pour la forme. Seika Itoe, Shodaime Raikage, enchantée. »
Toujours cet éternel sourire.
« J’espère que cette convocation ne vous a pas trop perturbée ! »
Ce serait bien le comble.
« Avez-vous une idée de la raison de votre présence, au-delà de cet entraînement ? »
Lorsqu'elle vivait comme une simple civile avec sa famille loin de Kumo dans les terres de Houryou, l'une des premières leçon que sa famille de pauvres pêcheurs et de paysans lui avait inculquée avait été de rester hors de vue des nantis. Pour des gens au mode de vie frugal et empli de petits sacrifices réguliers, la vue des excès et des shows mis en place par les riches marchands et autres familles aisées constituait toujours des moments curieux et quelque part, était motivateur. Comment vivaient ils au quotidien? Avaient ils besoin de travailler au moins? Quel effet cela faisait il de ne pas avoir à s'enquérir du lendemain ? Le fossé social séparant la vulgaire pêcheuse et l'héritier d'une belle famille, le pouvoir conféré par l'argent et la naissance sur le travail manuel. Tant de paramètres les séparaient qu'ils étaient venu à s'imaginer que les riches étaient une espèce à part, capable de tout faire sans craindre les moindres répercussions. Hors, pour des gens dénués de toute forme de pouvoir si ce n'était leur volonté de vivre et de survive, la moindre miette pouvait devenir un profond objet de désir.
Bien qu'ayant grandi et avoir cotoyé le village caché des Nuages depuis environ deux ans à présent, Kaori avait toutefois gardé une certaine forme de peur naturelle envers les détenteurs d'un pouvoir décisionnaire. Elle ressentait en effet un sentiment d'infériorité constante qui s'était d'autant plus renforcé à cause de son intégration aux forces armées. Mais si sa situation était devenue relativement agréable comparée à ses jeunes années, elle restait tout de même parmi les bas échelons de la société ninja, appréciant à leur juste valeur ses supérieurs hiérarchiques et leur expérience. Cependant, n'ayant que peu de moyens de jauger réellement la société civile, elle s'était contentée de les ignorer, nourrissant une certaine forme de haine pour ces pleutres, se refusant de leur donner la moindre excuse pour jeter les shinobi en pature.
Un personnage en particulier chiffonnait sa vision des choses: Le Kage. A la fois titre et fonction, ceux qui le portaient devenaient de fait la jonction entre les civils et les shinobi. Chef de village, mais également chef des shinobi. La basanée respectait la supposée puissance écrasante de ceux à qui le titre était décerné, mais avait toutefois du mal à comprendre comment il était possible d'associer les deux sans devenir fou. La méthode de la toute première Raikage utilisaient la force et la répression pour maintenir le statu quo, elle avait, selon les dires, créé une société où tous pouvaient prétendre à une place pour peu qu'ils aient les épaules assez solides pour la réclamer. Seika Itoe, de son côté, avait été désignée suite à une crise et sa politique avait été soutenue par les civils réclamant un système moins dirigiste. Incapable de situer celle qui avait repris le titre de Shodaime Raikage, Kaori n'avait eu jusque là que de rares occasions de se confronter à l'individu.
Et pourtant, en ce jour de printemps, la voici se tenant à quelques mètres à peine de sa personne. Présente uniquement pour l'accueillir seule à seule visiblement. Depuis qu'elle avait reçu la missive la sommant de se rendre au terrain d'entrainement en ce jour, pour une telle rencontre, Kaori n'avait eu que bien peu de sommeil. Que pouvait donc vouloir le tout puissant Raikage à une simple Genin? Allait elle la radier des forces parce qu'elle ne parvenait pas à trouver d'équipe depuis plusieurs mois? La jeune paysanne avait elle commis une faute? Serait elle exécutée? Bannie ? La Raikage s'occupait-elle elle même des licenciements ? Ou serait elle juste abattue séance tenante ?
Les idées se bousculèrent dans la tête de la jeune adolescente tandis que la chef du village se présente avec une certaine sympathie pour le grain de poussière qu'elle était. Paniquée, la genin tente de se donner une contenance en se tenant le plus droit possible, s'empêchant de croiser le regard de sa responsable, elle maintenait une distance raisonnable et un garde à vous impeccable afin de donner la meilleure image qu'il fut possible. Craignait cette rencontre, l'adolescente s'était présentée tirée à quatre épingles: coiffée, vêtue de sa combinaison d'apparât d'un bleu azur au liseré blanc; sa peau caramel luisant dans les jeunes rayons du printemps. Bras découverts, la demoiselle affichait des muscles fins et saillants propres aux utilisateurs réguliers du Taijutsu, tandis que l'emblème - lustré s'il vous plait - du village caché des nuages brillait ardemment sur sa ceinture.
Lorsque la Raikage lui demanda enfin si elle avait la moindre idée de sa présence en ces lieux, Kaori faillit éclater de panique. Cherchant à sauver un minimum sa face, elle fixa un point indéfini à l'horizon, évitant toujours de croiser le regard de sa supérieure. Pourquoi en effet quelqu'un d'aussi important voudrait rencontrer quelqu'un d'aussi insignifiant? D'autant plus que la convocation avait été particulièrement vague sur ce point. Remarquant que les secondes s'écoulaient sans réponse, la jeune femme finit par se pencher bien bas devant sa responsable en signe de respect et finit par articuler d'une voix qu'elle espérait égale, mais ayant bien trop de trémolos pour cacher son état d'esprit terrifié:
" Je suis Yotsuki Kaori, maitre Raikage. Je ne sais pas pourquoi je suis ici, mais j'espère que je ne vous ai pas offensée. J'ai bien conscience que je ne suis pas en mesure de demander quoi que ce soit, mais je vous en prie, ne me renvoyez pas, je finirais par trouver une équipe, j'y travaille. Je fais même des missions en solitaire pour pouvoir remplir mes obligations. Mais comme vous le savez, vu mon grade, les missions que je peux accomplir seule ne sont que triviales. Je ferais mieux, maitre Raikage. Je ne mérite pas votre attention. "
Sur la fin, il était sans doute évident que la jeune femme perdait ses moyens face à l'autorité de sa responsable. Elle se mordit d'ailleurs la lèvre de dépit. Si la Raikage avait déjà prévu de la renvoyer de ses ninja, cette piètre démonstration pitoyable n'allait sans doute pas la convaincre. Pourtant, Kaori espérait. Oh oui, elle espérait qu'elle parviendrait à changer sa vision.
Accueil
