UFF, UFF, UFF.La vie de genin est une vie de servage et d’apprentissage. De servage, car d’abord on donne de notre personne à la collectivité, souvent pour une misère, Kumo prenant un gros pourcentage sur les fruits de nos missions pour le réinvestir dans le village. Lorsque nous ne sommes pas au service du pays de la foudre, nous sommes au service du village des nuages. Lorsque ni le Daimyo ni la Raikage n’ont besoin de nous, alors ce sont nos supérieurs qui nous demandent de l’aide pour les corvées. C’est-à-dire qu’ils nous laissent récurer les sols pendant qu’ils jugent notre travail, pour vérifier que nous sommes de bons nettoyeurs, car l’hygiène est une vertu importante du kumojin. Selon les plus fanatiques et les plus roublards, c’est même ce qui distingue le kumojin de ses homologues de Konoha et Suna. Lorsque plus personne n’a besoin de nous, il nous reste du temps pour nous entraîner.
Car un genin s’entraîne. Ayant encore à l’esprit la raclée douloureuse que m’a mise Kaori, je suis sur le terrain d’entraînement, dans la zone physique. L’arène où on s’entraîne avec des poids, pour se muscler. Si je fréquentais régulièrement « le temple du Dieu fonte », là où on retrouve la plupart des ninjas spécialistes du taijutsu, j’ai redoublé d’assiduité. Il faut être forte pour cogner dur, or, ce n’est pas avec mon gabarit de moineau que je vais frapper qui que ce soit. Je dois l’avouer : je suis déjà lasse de manger des blancs de poulet et du riz à longueur de journée, mais pour développer son corps, il faut passer par là.
Bien sûr, je ne coupe pas aux haltères, sur mes épaules pour le squat, au-dessus de moi pour le développé couché. Puis ensuite, le sac de frappe, les mannequins d’entraînement, tout cela prend du temps. Néanmoins, cela en vaut le coup.
Kaori m’a inculqué une leçon et je compte bien en faire bon usage.
UFF, UFF, UFF.Même si je ne suis pas la plus forte, et que nous avons parmi nous un ours qui soulève six fois mon poids. On l’entend grogner d’ici, alors qu’il est de l’autre côté, à s’exercer avec des poids lestés de plomb. Un gros homme aussi barbu que dodu.
« Bah alors Momiji, on galère à soulever mon poids ? » Ricane Yamabushi.
J’ai un soupir : Yamabushi est un spécialiste du taijutsu. Plus important encore, il fréquente la gym quotidiennement depuis son divorce, quarantenaire bien conservé, il a cet air toujours joyeux qui le rend inquiétant quand il s’énerve. Il s’échauffe en jonglant avec des parpaings et je lui offre un sourire poli. Il a l’expérience et l’habitude, contrairement à moi.
UFF, UFF, UFF.En effet, j’ai du mal à soulever Yamabushi. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle j’ai entrepris de m’entraîner avec assiduité : pour avoir une condition physique impeccable. Je dois pouvoir le porter sur mes épaules si un jour il tombe. Même si en réalité, les rôles seront inversés : je suis la genin et c’est le jonin, si quelqu’un doit se blesser, c’est moi. Toutefois, par précaution, je dois entretenir une forme physique sans faiblesse aucune : évoluer dans l’environnement, progresser avec une lourde charge, défoncer une porte, tout cela doit être dans mes cordes. Sans les artifices du ninjutsu pour m’aider, naturellement.
J’allais répondre à Yamabushi que l’ours pousse un cri qui déchire l’air, interrompant l’exercice de tous les kumojins dans l’arène.
« Plus de poids ! » Tonne le géant,
« plus de poids ! » Crie l’ours en tenant au-dessus de sa tête un menhir ceinturé de lingots de plomb. Un spasme furieux vient exorbiter son regard bovin déjà en transe.
« De la masse pour le Dieu de la fonte ! » Yamabushi lâche son haltère.
Avec les autres habitués, il se met à courir vers l’ours. Le jonin s’élance à toute vitesse, il arrive à ma hauteur, se penche en avant et me ceinture de ses bras larges avant de reprendre l’allure. Chargée sur son épaule comme un vieux sac de riz, je ne réagis, plus rien ne fait sens. Je vois le reste des anciens qui se précipite vers le seigneur des haltères avec des offrandes. Certains apportent leurs poids, d’autres les bancs en pierres de l’arène, situés çà et là. Il y a même un marathonien qui présente son sac de pierre. Son fardeau devient l’offrande collective à la gloire du champion de la gym.
Je fais partie des offrandes et on me jette au sommet du menhir, parmi les haltères, poids, meubles et une autre genin qui a été désignée volontaire.
Un visage familier que je reconnais, je pince les lèvres.
« Salut Kaori. » En dessous de nous, un cri résonne au travers du menhir.
Un rugissement d’ours et l’immense pierre se soulève. J’ai un regard vers ma comparse, puis une question idiote.
« C’est… c’est la norme ? »