Soudain, une note se fit entendre dans une bonne partie du canyon. Aigue. Claquée et sèche. Presque percutante même. Puis une deuxième… Et une troisième… Ainsi de suite… Si bien qu’un ensemble se forma finalement, constant, sans temps mort, de sorte à créer une mélodie harmonieuse qui retentissait de façon agréable. Alors que certains esprits s’échauffaient sous le regard curieux et interrogateur d’autres personnes étrangères à l’équipe qui se chamaillait au beau milieu du passage, la musique apaisa l’atmosphère et fit redescendre la pression qui montait et s’exacerbait de secondes en secondes. Même les shinobis qui surveillaient le passage menant au cœur de la ville se décontractèrent, eux qui étaient prêts à intervenir pour arrêter la rixe qui allait s’en suivre. De ce fait, toute l’attention générée par les bagarreurs furent accaparés par l’air musical. Très vite donc, les regards cherchèrent, farfouillèrent chaque recoin du canyon, et finirent par se braquer vers la direction d’où venait les notes enchanteresses…

Assis à même le sol et adossé à un versant du canyon qui présentait un léger creux, Yori s’employait à jouer du biwa. Il avait les yeux fermés, le sourire aux lèvres et laissait ses mains opérer la magie. Cet art était un vestige de son ancienne vie d’ascète au temple d’Amaterasu. Durant son apprentissage, le jônin avait appris à en jouer sous l’égide bienveillante d’un moine aveugle vieillissant qui voulait léguer cet héritage à une personne de bonne volonté. Le profil du jeune Hizori l’avait tout de suite séduit, si bien qu’il força presque le jeune homme à apprendre auprès de lui. Une aubaine quand il y repensait à tête reposée. Le temps autour du musicien occasionnel s’arrêta. Gardes comme passants s’étaient immobilisés pour observer avec intérêt et de façon presque solennelle l’héritier des Hizori jouer de son instrument. Même le chef d’équipe prêt à meurtrir son subordonné de son poing s’était stoppé au dernier moment et assista à la scène, l’air mi-affolé, mi-émerveillé. Enfin, quand le dernier son se perdit dans le vide, il eut un moment de latence…

Puis des applaudissements nourris et enjoués !

Yori pour sa part, posa le biwa contre la paroi rocheuse et s’inclina plusieurs fois devant son public. Une minute plus tard, la foules se dispersa et chacun vaqua à ses occupations. Les passants reprirent paisiblement leur traversée et les shinobis qui surveillaient le passage s’éparpillèrent habilement de sorte à se fondre dans la masse pour mieux surgir ensuite si jamais problèmes il y aurait. Le jônin pour sa part s’avança tranquillement vers l’équipe chamailleuse et arrêta sa marche à plus ou moins un mètre de ces personnes. Le chef d’équipe qui avait lâché les cols de son subalterne, se tourna vers le manipulateur de sable et s’inclina poliment devant lui : « Votre maitrise est admirable Yori-dono. C’est toujours un honneur d’être en votre présence. » Il fut suivi dans son élan de politesse par deux autres jouvenceaux qui devaient faire partie de son équipe. Seul l’agressé semblait ne pas être impressionné et/ou protocolaire, mais il n’y avait pas mort d’homme. C’est donc calmement que Yori s’inclina à son tour pour les saluer, sans arrogance aucune.

- « Tes compliments m’honorent et me vont droit au coeur, Kyoya. J’imagine que vous revenez d’une mission ? Bon retour et content de vous savoir sains et saufs. »

Les deux parties se redressèrent, avant que le jônin ne reprenne parole :

- « Alors Kyoya ? Pourquoi cette soudaine colère, tout à l’heure ? Agresser son subalterne en public n’est pas très respectable, tu sais. »

Kyoya, le chef de l’équipe s’égosilla aussitôt ! L’énergie qu’il mettait à raconter sa mésaventure avec son genin répondant au nom de Haru et les grands gestes qui accompagnaient son récit surprirent Yori, qui, au bout d’un moment, se permit de rigoler légèrement en cachant sa bouche derrière le dos de sa main droite. Il comprenait le pauvre chûnin, même s’il n’était pas forcément d’accord avec sa façon de faire, mais chaque chose en son temps. Lorsqu’il finit de s’exprimer après cinq grosses minutes, l’Hizori se rapprocha de son interlocuteur et vint tapoter l’une de ses épaules comme pour lui faire comprendre qu’il le comprenait mais qu’il devait se calmer et respirer un bon coup. Ensuite, il tourna sa face vers le dénommé Haru avec qui il faisait pratiquement la même taille et se mit à sourire. L’énigmatique brun pouvait voir qu’il n’y avait aucune animosité dans son regard et que son sourire, presque malicieux, le félicitait pour ses prouesses sur le terrain. Cela étant dit, il n’était pas non plus question d’aller dans son sens. Nonobstant…

- « La version de ton supérieur est-elle bonne ? Aucune omission de sa part ? Si tel est le cas, as-tu quelque chose à dire pour ta défense, Haru ? Hormis le fait que tu aies été impressionnant lors de la mission, bien entendu. Parce que j’imagine que tu es au moins conscient que les résultats ne font pas tout, n’est-ce pas ? »

La réprimande n’avait rien d’agressive. Mais Yori était curieux de voir et d’entendre les répliques du jeune adulte.

- « UH ?! MAIS YORI-DONO TE PARLE DE TON INSUBOR- »

Kyoya s’arrêta net de pousser sa gueulante lorsqu’il sentit une seconde fois la main de Yori tapoter l’une de ses épaules. Lorsqu’il lui adressa un regard, il vit que son supérieur avait posé son index gauche sur ses lèvres pour l’inviter à se taire, mais surtout à se calmer. Ses nerfs étaient définitivement à vif. Le chûnin faisait irrémédiablement partie de cette frange des shinobis fière de la hiérarchie et de ce qu’elle représentait. Une mauvaise chose ? Pas forcément. Mais ces personnes avaient parfois tendance à ne jurer que par les grades et la symbolique derrière ; ce qui malheureusement rendait l’armée trop rigide et parfois ennuyante. Une situation quelque peu regrettable que Yori lui-même avait également vécue lorsqu’il servait jadis la daimyo…

- « Haru-kun… Renversons une seconde le shôgi et échangeons les rôles. »

Yori retira sa main de l’épaule de Kyoya et refit face au jeune brun, sourire aux lèvres. Il l’aimait bien. Ses réponses avaient même été satisfaisantes à 70%, même si l’essentiel semblait lui avoir échappé de peu. Le jônin ne lui en voulait pas vraiment. Il n’était pas celui qui avait été offensé (et ne l’aurait pas été même s’il s’agissait de lui et non de Kyoya), comprenait son point de vue et mettait cet élan de fougue sur le compte de sa jeunesse et sa propension à vouloir bien faire, quitte à passer pour une tête brulée. Cependant, l’Hizori partait du principe qu’il devait plus ou moins essayer de rectifier le tir, bien avant que cette façon de faire ne lui porte préjudice : à terme, le pauvre Haru risquait la radiation pure et simple. Dénouement qui serait regrettable.

- « Supposons que tu aies été à la place de Kyoya : comment aurais-tu réagi devant un genin incapable de suivre un plan que tu aurais toi-même mis en place et estimé être le bon ? Comment te serais-tu senti devant tous les dégâts provoqués par ce même genin n’ayant pas suivi tes ordres ? Lui aurais-tu pardonné ses manquements sous prétexte qu’il aurait réussi à appréhender le suspect ? Aurais-tu fait fi de ton propre grade fièrement acquis ? Grade et autorité bafoués par ton subordonné, je le rappelle ? »

Là encore, il n’y avait aucune animosité dans les questions de Yori. Son petit sourire et la douceur qui se dégageait de son visage lui donnait un air de petite vieille qui conseillait ses petits-fils, quelque chose dans le genre. Derrière-lui, Kyoya qui avait réussi à se calmer, croisa ses bras musclés et hocha sa tête comme pour approuver les interrogations du manieur de sable. Les deux autres genins avaient des mines et sourires désolés, ne sachant pas où se mettre dans cette histoire. Le jônin pour sa part, appelait à une certaine empathie et objectivité de la part d’Haru. Il n’était jamais facile ni évident de se mettre à la place d’une autre personne. L’exercice était laborieux et très fastidieux. Néanmoins, s’y essayer un peu marquerait un pas en avant. Un pas vers la maturité.

- « Hahahaha, ravi de voir que le projet t’intéresse autant ! J’imagine que le hasard fait parfois bien les choses ! »

Yori eut un petit rire, bien amusé par sa réaction et par son entrain à voir quelque chose de bien meilleur. Enfin… Pouvait-on vraiment qualifier ces perspectives de bien meilleures ? La question restait posée, mais toujours est-il que lesdites perspectives avaient l’art de le motiver plus que jamais, ce qui faisait plaisir à voir. A travers ses réactions (aucune hésitation, ni balbutiements), on pouvait clairement dire que le jônin avait tiré une bonne pioche. Il lui fallait ce genre de personnes pour assurer ses futures missions. Du reste, il eut une pensée amusante qu’il prit plaisir à partager et qui ferait surement grimacer le grand brun face à lui :

- « Pense à remercier Kyoya ! Sans ses réactions exagérées, je serai surement passé à côté de ton profil. »

Le manieur de sable eut un sourire malicieux. Peu de personnes le devinaient mais il lui arrivait de taquiner de temps à autre les personnes qu’il appréciait bien ; et force était de constater qu’il tenait déjà en estime le genin qui lui faisait face, naturellement, spontanément même. Il fallait avouer qu’il avait connu bien de personnes dans son genre durant son existence et qu’il avait appris à faire avec leurs personnalités. C’était là l’avantage d’avoir voyagé un peu partout dans tout le pays. L’enrichissement de ces expériences était quasi-inestimable et il se savait chanceux d’avoir pris cette décision plutôt que d’avoir embrassé une vie d’ascète.

- « D’ailleurs, rares sont les personnes qui osent lui tenir tête dans les rangs. Même les quelques jônins que comptent le village l’abordent généralement avec des pincettes. »

Au-delà de leur querelle qui ne présentait pas bien au sein de ce beau canyon, c’était surtout le fait que Kyoya sortait rarement de ses gonds qui avait interpellé le sableux. Voir son autorité autant discuté ne voulait dire qu’une chose : celui qui lui faisait face ne manquait pas de courage mais aussi de force ! Couplé au résultat qui lui fut présenté, Yori fut tout simplement conquis sans même connaitre les habiletés spéciales d’Haru. Son flair de pédagogue ne le trompait que très rarement. Il tenait là son premier vrai élève, étant donné que la kazekage voulait qu’il commence par ériger une équipe personnelle digne de ce nom.

- « Mais pour répondre à ta question, nous commencerons très bientôt ne t’en fais pas. avant toute chose, il me faudra finaliser ton transfert de l’équipe de ton ancien supérieur à la mienne. Ensuite… »

Yori eut une mine réfléchie. Etant donné que les lignes commençaient à bouger un peu partout dans le pays et peut-être même dans tout le yuukan, il n’était pas loin de la vérité quand il sous-entendait qu’ils travailleraient d’arrache-pied très bientôt. Cependant, bien avant de commencer, il leur fallait se connaitre : « Ensuite, il nous faudra une rencontre informelle. Mais surement pas ici… » L’homme regarda un peu partout autour de lui, toujours avec le sourire. S’il n’était pas du genre paranoïaque, il aimait prendre ses précautions, comme d’habitude. Malgré la sécurité très élevée de Suna, la base militaire n’était pas à l’abri d’infiltration.

- « J’imagine que tu auras quelques questions à me poser. Et puis, vu que nous serons amenés à nous côtoyer bien plus souvent, c’est le strict minimum. Tu pourras également m’éclairer sur des choses et d’autres… »

L’héritier des Hizori faisait allusion à sa vie en général. Oh bien sûr… il était conscient que ce serait surement la partie la moins entrainante pour le garçon, mais ils allaient devoir y passer, surement autour d’un verre ou d’un repas. « Ne t’inquiète pas. Je ferai en sorte que le moment soit convivial. Si tu as d’ailleurs un restaurant préféré, tu n’as qu’à me l’indiquer et c’est moi qui régalerai volontiers ! » Un sourire enjoliva l’invitation qui serait surement amusante. Mais au-delà de cette initiative, le sableux reprit un brin contenance, non sans renchérir sur un aspect qui motiverait surement encore plus le genin.

- « Après quoi, nous aurons un entrainement. Surement le lendemain. Si je dois m’assurer de ton niveau, tu as également le droit d’avoir une idée sur ce que je suis capable de faire. Il n’y aura rien de mieux pour faciliter notre future collaboration à travers nos différentes coordinations. »

Sur cette déclaration, Yori lui tendit sa main droite :

- « Toujours partant, Haru ? »

Peu importe le grade, que ça soit Kyoya-chan ou le Daimyo-dono... finalement, je m'en battais un peu les couilles. Je ne comptais pas changer du tout au tout pour un grade ; bien sûr je ferai quelques ajustements en fonction de mon interlocuteur mais quand même... La raison a-t-elle un grade ? La raison a-t-elle un âge ? Non. La réponse -pour moi en tout cas- est non.

«  Ce qui est bien dommage je pense, ça lui ferait les pieds. »

Lorsque Yori-dono me dit qu'on commencerait bientôt les activités, j'étais plutôt content. Il m'avait fait une proposition alléchante qui résonnait encore dans mon esprit, je me posais un tas de question et vu que j'étais un homme de terrain, j'attendais d'y être pour obtenir les réponses. La première étape consistait en mon transfert de l'équipe de l'autre enculé à la sienne. Je me demandais si je devais signer un truc pour ça... non, certainement pas et tant mieux, la paperasse avait tendance à me faire chier.

Un certain mystère planait autour de cette conversation, c'était plutôt plaisant. Yori-dono tenait à ce que cet échange soit le plus discret possible. Au-delà de ça, il avait émis le souhait de me connaître un peu plus et j'imaginais qu'il ne parlait pas seulement de mes capacités... Mhmm-... Voulait-il toute l'histoire ? Le Kagirinai l'intéressait-il ? Peut-être que oui, peut-être que non. Je verrai le moment venu si je dois lui livrer toute l'histoire ou non. Comptant zigouiller mon père, ce n'était peut-être pas avisé que de lui faire part de cette idée. Ça devait pour le moment rester... secret.

Un restaurant ? Pourquoi pas, tant qu'il payait, c'était bon pour moi.

«  Un restaurant ? Ouais ça me chauffe bien ça Yori-dono. Je connais un gus qui fait des trucs végétariens à tomber par-terre. Franchement, ça vaut le coup ! Par contre vous régalez hein Yori-senseï ?»

Ouais, il fallait que je m'y mette non ? Nous étions bien partis pour travailler ensemble et une relation de professeur-élève commençait déjà à se dessiner. Il était sûrement bien plus expérimenté et balaise que moi et donc, allait être utile à ma progression. Lorsqu'il me parla d'entraînement, j'eus aussitôt les yeux pétillant. J'étais déjà pressé d'y être et de voir réellement de quoi il était capable. Je devinais un peu ses capacités mais toute à l'heure, je n'avais eu qu'un maigre aperçu... Si l'autre tête de pain sucé semblait autant le respecter, il y avait certainement une bonne raison.

Suite à ça, le bonhomme me tendit sa main comme pour sceller l'accord.

Le sourire en coin, je tendis la main à mon tour pour prendre la sienne et ainsi marquer le début d'une potentielle collaboration.

«  Oui. »

Dis-je simplement, comme à mon habitude. Je n'avais pas besoin de lui faire un discours de demande en mariage non plus non ?

Même si j'avais du mal avec tout ce qui était social, la compréhension des autres et la vie en société... ici j'avais vraiment l'impression de tenir quelque chose. Le destin avait mis le manieur de sable sur ma route, ce n'était peut-être pas pour rien. Je ne croyais pas en toutes ces conneries de divinités mais je tenais peut-être quelque chose ici-...

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