De pierre et de sang, c’est ainsi que je décrirai le temple de Benzaiten. De souvenir, si les mémoires que j’ai pu lire un peu partout sur le continent sont vraies, alors, le temple du feu aurait été bâti il y a des siècles de cela, à une époque antérieure aux ninjas, une époque où il n’existait que des Daimyo et des samouraïs. Le temps des loups et quelque part, l’âge des seigneurs de guerre, quand tout un chacun essayait de se tailler une portion de territoire à coup de sabre, où être samouraï rimait avec mercenaire et cavalier. Aujourd’hui, il est difficile de croire que les samouraïs ont perdu en importance pour devenir des hommes du Daimyo et des petits nobles.
Fût un temps, un samouraï était une terreur et même avec l’arrivée des ninjas, ils n’ont pas cédé facilement leur place. Mais tout cela remonte à une époque lointaine, qu’on suppose plus qu’on explore. Le temple de Benzaiten est un vestige de cette époque, en voyant les remparts qui ceinturent le temple et les grands escaliers, on comprend tout de suite que si aujourd’hui, les moines du feu sont des gens paisibles qui se consacrent à la méditation, leurs aïeux avaient des occupations plus terrestres. Découper des intrus à la naginata par exemple. S’il ne reste plus grand-chose de cette ère révolue, quelques éléments architecturaux vont dans cette direction. Le temple est chiche en décorations et en dorures, mais il se permet quelques luxes, en fournitures comme en architecture.
J’ai un pincement de lèvres : tu m’étonnes que selon la légende, Benzaiten est intervenue pour plier un démon. Quand ses adeptes étaient connus pour casser en deux leurs adversaires, nul doute que la divinité a tenu à se montrer à la hauteur de ses fidèles. Aujourd’hui, les moines vivent de l’aumône et de l’aide apportée par les pèlerins.
En bas des marches, je regarde les quelques pièces que j’ai apporté à l’attention des moines. Je pince les lèvres, observe le haut des marches, observe de nouveau mes pièces.
Techniquement, rien ne m’oblige à gravir l’escalier et faire une offrande, m’agenouiller le temps d’une prière et repartir. Néanmoins, j’ai un devoir moral, je dois le faire pour Emika. Elle m’avait demandé de prier pour moi, un jour. Comme moi si je ne le faisais pas dans mon intérêt propre, je devais m’incliner devant les dieux et les kamis pour elle.
C’est une dernière volonté que j’ai longtemps remise à demain, par lâcheté essentiellement : cela va faire trois ans maintenant qu’Emika est morte. Pourtant, je ne me sens pas digne d’entrer dans un temple, j’aime les observer depuis l’extérieur et apprendre leur histoire, mais j’ai le sentiment d’être indigne d’y rentrer.
Ironique, j’ai fait tout le chemin depuis Taki pour prier et maintenant, je me dégonfle.
C’est peut-être pour ça, pour me rassurer ou pour trouver une échappatoire que je vais voir une jeune fille devant l’entrée du temple. Une rouquine qui ne doit même pas avoir la vingtaine, pour lui demander si j’ai le droit d’entrer.

« Excusez-moi mademoiselle, » je dois avoir piètre allure avec mes fringues de voyageur, mais lorsqu’on voyage à patte, on doit se passer des beaux kimonos. « Le temple est accessible aux voyageurs étrangers ? Je suis en pèlerinage, mais j’ai un doute sur le bienfondé de ma présence ici. »

Je suis un ninja.
Difficile de demander la compassion des esprits quand on a aucune pitié envers les autres.

La princesse et le Perlin

La réponse de la jeune fille me réconforte un petit peu : tant que le cœur m’y invite et que j’ai des intentions sincères, alors le temple m’accueille à bras ouvert. Ce n’est pas tout à fait ce que j’espérais, au fond de moi, j’aurais bien voulu essuyer un rejet. Mais encore une fois, je ne suis pas le plus rationnel en ce moment : je dois m’acquitter de mon devoir, même si je n’apprécie pas particulièrement de prier. Sans doute qu’Emika, ma très chère épouse, aurait trouvé les bons mots, mais aujourd’hui, je suis seul, c’est pour elle que je viens me recueillir. Quant à savoir si oui ou non, je mérite la compassion et le bonheur, c’est une question à laquelle je ne peux répondre. Je suis un peu trop imbibé de moi-même pour porter un jugement objectif sur ma situation.
De toute manière, si je devais juger un homme dans une situation identique à la mienne, je lui dirais de profiter de la vie, qu’il n’est responsable de rien. Hélas, il va encore se passer quelques temps avant que je ne fasse la paix avec mes démons.
Finalement, j’ai un soupir et répond à la jeune fille devant-moi.

« D’accord, » mes yeux sondent brièvement les escaliers qui mènent au sommet du temple. Par les kamis qu’ils sont hauts. « J’imagine que je suis candidat à me recueillir et brûler un peu d’encens. » Pour ne pas dire beaucoup, j’ai l’impression que donner tout mon argent ne suffirait pas à racheter mes peines. Ce n’est pas une bonne journée, ou du moins, si ça l’est, le bonheur tarde à se montrer. Ce n’est pas la tentation d’en griller une qui me manque, encore faudrait-il que cela rime à quelque chose. « Vous ne montez pas ? » Ma question paraît idiote, mais nous sommes au pied des escaliers, ce serait bête de faire demi-tour ou de prier en bas. « Je pensais que le temple était réservé aux habitants du feu, c’est pour ça que je demandais. Il y a beaucoup de pèlerins qui passent ? » Je sais, d’autres questions pour retarder l’inévitable.

Mais, j’aime bien savoir dans quoi je me lance.

La princesse et le Perlin

Si j’ai une famille ou un village à retrouver, je lui accorde un sourire un peu las. Techniquement si, j’ai un clan et des employeurs qui m’attendent à bras ouverts, mais je ne suis pas pressé. Sans doutes que je camperais dans un coin peu fréquenté, monterait mon hamac et repartirait demain à l’aube vers d’autres horizons. Comprenant que cette conversation va durer un peu plus longtemps que prévu, je danse d’un pied sur l’autre, souhaitant faire circuler le sang dans mes jambes, avant de ressentir une fébrilité passagère. Je secoue la tête, ce n’est pas ce soir que je vais faire une crise, mais la malaria recommence à se manifester.

« Non, je ne suis pas pressé. Je viens pour honorer une personne qui comptait beaucoup à mes yeux, du coup, les autres attendront un petit peu. Je n’ai pas l’intention de me dépêcher pour eux. » Emika mérite bien quelques instants de recueillement. Je suis censé le faire pour moi, mais je vais tricher et lui adresser une prière par la même occasion.

D’autres questions me sont adresser et j’ai un haussement d’épaule, Taki est techniquement mon pays de rattachement. Mais je suis né à Tetsu, j’ai été initié à Taki, j’ai servi Arashi et aujourd’hui, je sers le plus offrant. Difficile de dire quelle est ma véritable nation, si j’en ai une.
« Je viens de Taki, le pays de la cascade, coincé entre Tetsu et Tsuchi, le pays de la Terre. D’ailleurs, on peut abandonner les préfixes honorifiques, j’ai passé l’âge de me définir par une formule de politesse. Je m’appelle Akula, Waiya Akula, du clan éponyme. » Manipulation des fils et tout ce qui va avec. « Et toi ? Comment tu t’appelles ? C’est rare de voir des jeunes ici. » Pas besoin de lui demander pourquoi elle est là.

C’est rare que les jeunes ne partent en pèlerinage, surtout quand ils habitent au village caché de la feuille. Ce qui ne laisse qu’une seule option et ce n’est pas la plus joyeuse.

« D’ailleurs, tu mentionnais que tu n’avais jamais croisé d’étrangers visitant le temple. C’est si rare que ça de croiser un ninja étranger en ce lieu saint ? Serais-je le premier de Taki à fouler le sol du temple de Benzaiten ? » Dis-je, non sans une pointe d’ironie, cherchant à détendre l’atmosphère.

La princesse et le Perlin

Inoue, Yamanaka Inoue, du clan Yamanaka.
Je prends un instant pour digérer l’information, c’est rare de croiser une ninja d’un « grand » clan. Les marionnettistes de Suna, les Hyuga de Konoha, les Suibaku de Kumo, chaque village a des clans majeurs. Néanmoins, voir une jeune fille comme ça au temple me surprend légèrement, j’aurais imaginé les Yamana moins portés sur la religion.
Toutefois, en écoutant ses paroles, j’ai un petit sourire attendri : elle est gentille de s’inquiéter pour moi. Néanmoins, j’ai un passé de mercenaire, je sais ce qui m’attend sur les routes, je connais les coins à éviter, les chemins dont il faut se méfier et les invitations à repousser. J’ai l’habitude de me défendre de malfrats. Quant à la question du coucher, j’ai un hamac et au pire, quelques piécettes pour une chambre à l’auberge.
J’ai une légère courbette vers mon interlocutrice.

« Enchanté Inoue, c’est un honneur de rencontrer une membre du clan Yamanaka, en espérant que la chance soit de ton côté et te suive à chacun de tes pas. » Pour le talent, la compétence et la discipline, elle seule peut décider de son destin. « Je suis un ninja, j’ai l’habitude des brigands et des bandits, je peux me défendre. Merci de t’inquiéter, mais je m’en suis sorti pendant dix ans, je peux continuer sans problèmes. » Quant à la question du logement, là encore, mes années de routiers ont trouvé des solutions à ces problèmes. « J’ai quelques pièces si je veux louer une chambre dans une auberge, je peux demander l’hospitalité d’un fermier en échange de quelques menus travaux dans sa ferme et en cas extrême, » je tapote mon sac à dos. « J’ai un hamac et une bâche en paille de riz. Ce n’est pas le plus confortable, mais ça tient chaud et je dors à l’abri des éléments. »

Toutefois, je me demande ce qui peut pousser une Yamanaka aussi jeune à s’inquiéter tant de ma personne. D’ordinaire, on me demande surtout des nouvelles de Taki et de Tsuchi, ou alors on me demande ce que j’ai pu voir à l’étranger, comment les ninjas de Konoha se tiennent face aux autres. C’est rare qu’on s’intéresse à l’endroit où je vais passer la nuit.

« J’apprécie tes inquiétudes, j’ignorais que les Yamanaka se préoccupaient des étrangers. C’est un trait de caractère, ou alors le clan a une tradition d’hospitalité que j’ignorais jusqu’alors ? »

La princesse et le Perlin

L’aumône, carrément. Je sais que je n’ai pas une trogne de ninja, mais à ce point-là, je bats des records. Comment peut-on me confondre avec un traîne savate ? Je sais que mes fringues sont raccommodées, mais à ce point, j’ai vu des paysans moins bien habillés que moi. La misère a bien des visages et si j’incarne l’un d’entre eux, alors je dois être le plus beau des miséreux. Elle me force la bourse entre les mains et je n’ai d’autres choix que de l’accepter, néanmoins, accepter sa charité ne m’intéresse pas. Si elle m’a forcé à prendre son argent, elle ne peut pas me forcer à l’investir de la bonne manière, j’ai un petit sourire.
Il faut que jeunesse se fasse après tout, non ?

« Navré Inoue, mais je n’ai pas l’intention d’accepter cet argent. Je te laisse l’occasion de le reprendre, si tu me le laisses, sache qu’il sera donné aux pauvres qui en ont réellement besoin. Les moines se feront une joie de redistribuer cet argent, j’en suis persuadé. » Quant à mes fringues, j’ai du rechange dans mon sac et à la maison. « J’ai largement de quoi me vêtir et dormir au chaud si je le souhaite, je suis mercenaire, on me paie grassement pour les services que je rends. N’oublie pas que si j’avais besoin d’argent, je serais au service d’un seigneur, or je suis ici pour rendre hommage à ma défunte épouse et accompli une de ses dernières volontés. » Elle est quand même un peu naïve, même si c’est appréciable de voir quelqu’un avec le cœur sur la main. « C’est une faiblesse pour un ninja que de se laisser amadouer. Mais avoir de la compassion incite au courage et à l’honneur, pour ceux que l’on doit protéger. Attention toutefois à la vantardise, » je lui fais un clin d’œil. « Être trop confiant en ses capacités peut jouer des tours. »

Il faut savoir rester humble. Cela vaut pour moi aussi qui travaille en solitaire : je n’ai pas de filet de sécurité, si j’ai un accident, je ne peux compter que sur moi-même. En fait, c’est encore plus vrai pour moi.

« Du coup qu’est-ce que tu choisis ? Tu préfères garder l’argent ou qu’il aille aux moines ? D’ailleurs, pour ta gouverne, mon boulot est de combattre. J’ai l’habitude des nuits à la belle étoile et honnêtement, ça a ses avantages : tu ne t’ennuis pas comme dans une maison, tu peux te lever sans craindre de réveiller tes voisins et le plafond. C’est le plus beau plafond que tu puisses avoir. » Les étoiles, le ciel, la lune. « Tu dois le savoir non, puisque tu es ninja. »

La princesse et le Perlin

Je peux garder l’argent, du coup, les moines seront très heureux de ce don offert par une jeune Yamanaka. Nul doute que les pauvres qui cherchent asile dans le temple mangeront bien cette semaine. J’ai un petit rire en entendant Inoue faire ses commentaires : je suis un mystère apparemment. Ou alors, je suis simplement un homme d’honneur, qui n’apprécie pas la charité et refuse l’aumône. L’argent n’est pas un souci pour moi, je vis pour autre chose qu’un bon lit chaud, je préfère l’adrénaline et le grand frisson des combats. J’ai choisi une vie de ninja, je compte bien la vivre selon mes termes.

« C’est bien la première fois qu’on me dit ça. » Elle me présente ses salutations. « Aller, bon retour chez toi. Moi je vais prier un peu. » Elle file.

Je me retourne vers les escaliers du temple : retour à la case départ. C’est une longue ascension qui m’attend et au sommet, une prière pour le salut de mon âme et celle d’Emika. J’ai fait une promesse, je dois la tenir, même si je n’y crois guère. C’est ça le courage non ? D’aller sans avoir la force de continuer de l’avant, se forcer à le faire même si on y croit pas, pour tenir parole coûte que coûte.
J’imagine que si je suis ici aujourd’hui, ce n’est plus pour faire demi-tour. Si une gamine y arrive, je peux le faire moi aussi non ?
Alors, je monte les escaliers. Avec les autres pèlerins, je m’incline devant la statue de Benzaiten et prie dans le silence. Je prie pour le salut de mon âme et demande pardon pour le mal que j’ai causé. Je brûle un peu d’encens en l’honneur des dieux et donne l’argent aux moines. Le bonze a une moue surprise en me voyant déposer une bourse entière et quelques piécettes, puis il me remercie pour ma générosité. Je me contente d’une courbette et quitte le temple, un peu gêné. J’imagine que c’était une bonne journée au final.