Elle avait perdu le sommeil depuis quelques temps. Elle se réveillait à chaque heure de chaque nuit, tournait en rond dans son lit, faisait les cent pas dans sa chambre, tentait en vain de retrouver le sommeil. Ça l’avait rendue… irascible, tendue, susceptible. Paradoxalement, ça l’avait également éclairée sur ce qu’elle voulait vraiment. Ou plutôt, ce qu’elle ne voulait vraiment pas.

Elle avait rejoint le Jinsei il y a plusieurs mois de cela, aux côtés d’un de ses cousins. Sans attache ni moyen, elle avait dû se résoudre à accepter les petits boulots, qui payaient à peine pour subvenir à son loyer. Le Jinsei avait su lui donner assez pour que la faible lueur d’espoir persiste en elle. Mais le prix à payer… Il était bien trop haut, moralement. Duper, tromper, tricher, mentir, manipuler : elle n’était pas exempte de tout reproche au cours de sa vie – comme n’importe qui, d’ailleurs – mais pour quiconque avait une morale, même peu élevée, le Jinsei était une torture.

En réalité, elle s’était décidée depuis longtemps – et sans doute était-ce cela qui l’empêchait de dormir. Comment quitter le Jinsei ? Comment quitter une organisation si puissante qu’elle a fait trembler le Yuukan entier ? Jamais ils ne la laisseraient partir. Jamais. Elle devait fuir, et s’assurer qu’ils ne la retrouveraient pas.

Elle avait quitté son domicile si tôt que le soleil ne s’était pas encore levé. Elle avait laissé une lettre à son cousin, derrière elle, expliquant les raisons de son départ. Puis elle était partie vers un port non loin d’Inegai, où des bateaux faisaient route vers Cha no Kuni. Son meilleur espoir.

Le bateau était plein à craquer. Assise dans un coin, à l’extérieur, encapuchonnée, elle évitait soigneusement les regards de tous ceux qui l’entouraient. Midi était passé, désormais : et l’embarcation n’avait toujours pas bougé. Pire encore : elle entendait des éclats de voix sur l’embarcadère. L’avaient-ils déjà trouvé ? Non… Impossible. Elle se faisait peur pour rien. Et pourtant, son cœur ne pouvait s’empêcher de battre si fort qu’elle pouvait l’entendre distinctement dans ses oreilles.

Elle finit par lever la tête vers l’endroit d’où venaient les cris. Un homme masqué se tenait sur le pont d’embarcation. Sa voix était aigüe et doucereuse.


- Mesdames, messieurs bonjour. Désolé d’importuner votre croisière, mais nous avons besoin de votre aide.

Il fouilla dans sa poche et sortit une feuille sur laquelle se trouvait visiblement une photo.

- Nous recherchons cette personne.

Il leva la photographie pour qu’elle soit à la vue de tous.

- Si quelqu’un l’a vue, je suis sûr que tout le monde lui serait reconnaissant puisque votre bateau partirait enfin.

Il esquissa un sourire sous son masque. Que personne ne put voir. Tout le monde était en train de regarder la photographie. Hachiyo, elle, n’entendait plus son cœur battre. Elle n’entendait plus rien, d’ailleurs. Mais ce qu’elle savait, c’est que tous ses muscles lui infligeaient une atroce douleur tant elle essayait de cacher ses tremblements qui avaient débuté quand elle s’était reconnue sur la photo.


A quelques dizaines de mètres de là, Kiyoto, pouvait laisser libre cours à ses tremblements. Il parlait vite, balbutiait, semblait de toute évidence pris de panique.

- J’allais… J’étais sur le point d’aller à Cha… Enfin, d’embarquer dans le bateau, et… ils sont venus et lui il avait un masque, et d’un coup… d’un coup il l’a tué, parce qu’il avait pas ses billets et… le mec au masque est monté dans le bateau… et… ils ont jeté son corps dans la mer…

Les gardes étaient perplexes, mais tentaient de calmer le jeune homme : visiblement, quelque chose de grave s’était passé sur le port.

Spoiler:

- Rien qui vous concerne Kumojine.

Fit tout simplement le militaire alors qu’il jaugeait du regard la nouvelle arrivante qui arborait fièrement son brassard comme faisant partie du corps shinobi du pays.

- Les crimes et règlements de compte sont malheureusement monnaie courante à travers tout le pays et c’est notre devoir de nous en occuper. Si la menace nous dépasse cependant, nous vous le ferons peut-être savoir.

La cinquantaine, svelte, la mine sévère et les cheveux poivre et sel, Koshito Imiko était un militaire chevronné. Originaire de la région d’Inegai, il n’avait pas caché depuis quelques années sa réticence face à la réouverture du village shinobi de Kaminari et n’était pas le seul à le penser dans la région.

Après tout, leur région avait particulièrement souffert il y a longtemps de cela des incursions des troupes Mizujines lors d’un conflit qu’avait cru bon d’attiser ces shinobis persuadés d’être si supérieurs au commun des mortels.

Pourtant le capitaine n’étais pas stupide au point de penser que ses hommes pouvaient régler à eux seuls les situations les plus délicates aussi laissait-il un tant soit peu la porte ouverte à une collaboration. Cela dit que les Kumojins restent pour l'heure à leur place, en tant que capitaine de la garde locale, lui seul avait autorité ici...

- Du calme, peu importe ce qu’il s’est passé, vous êtes en sécurité maintenant. Réexpliquez moi tout. Calmement maintenant.

Accroupie à côté du jeune homme, la garde essayait de le rassurer tout en l’incitant à raconter de nouveau son récit.

- Un bateau. Je …. Je devais prendre un bateau pour Cha no Kuni. Avec tout ce qui se passe ici, je … je comptais retrouver de la famille à Cha. Rester en dehors de tout « ça ». J’allais prendre le bateau et puis quelqu’un est passé devant moi … quelqu’un avec un masque. Il m’a regardé et puis … et puis il s’est retourné vers le bateau. Il a commencé à monter, mais le capitaine lui a demandé son billet. C’est … C’est là que … l'homme masqué a ... a sorti un sabre et ... et d'un coup...

Parcouru de tremblements, le garçon s'arrêta, coupé dans son élan par un autre garde au bord des quais.

- Capitaine, on a quelque chose !

Fit l’un des soldat alors qu’il remontait un filet de pêche avec difficulté. Quand enfin le filet fut totalement remonté, tous purent voir ce qui hantait visiblement les souvenirs du garçon. Le corps était celui d’un matelot avec pas mal d’embonpoint. Rien de particulier si ce n’était que sa tête n’était plus sur ses épaules comme le témoignait la coupure nette au niveau du coup comme si l’arme avait coupé comme dans du beurre.

- Inutile de sortir votre petit air goguenard alors qu'un homme est mort vous savez. Pour le moment oui il est fort probable que cela reste un règlement de compte, qu'il s'agisse d'une victime collatérale...

Lâchant la Kumojine désagréable, le militaire s'approcha du cadavre s'agenouillant à ses côtés.

- Il s'agissait du capitaine c'est ça ? Est-ce que quelqu'un pourrait l'identifier ?

Fit-il les sourcils froncés en regardant le corps tandis que l'un des officiers allait se renseigner à la marina.

- Une coupure nette ... Et déjà cicatrisée visiblement. Celui qui a fait ça ne devait pas être un novice ... Et devait être comme *vous*.

Amer, le militaire insista lourdement sur le dernier mot sans surjouer son aversion qui teignait son propos. Jaloux ? Non pas vraiment, mais ces longues années lui avaient appris une chose : cette force appelée chakra et ses utilisateurs étaient à l'origine de bien des maux qui agitaient ce monde ... Et ça tout le monde ici semblait se faire la réflexion.

--------

Les sens de la jeune femme s'affinèrent, scannant l'ensemble de la zone les entourant. Rien de particulier n'éveilla son attention si ce n'était deux minuscules signatures chakratiques qui continuaient de se dégrader mais donc la nature Raïton pouvait se faire sentir. L'une émanait de la cicatrice du cadavre sans tête... Quant à l'autre elle semblait se trouver bien plus profondément dans la baie du port, ayant sombré et se faisant progressivement emporter par la marée ...

--------

La plus jeune des Kumojines s'agenouilla également à côté de la victime dont les deux épaules étaient dorénavant lourdes des mains rassurantes des deux militaires. Reprenant sa respiration qui s'était arrêtée à la remontée du cadavre, le garçon légèrement calmé recommença à respirer, hochant la tête en réponse à la question de la Kumojine tout en préférant regarder ses pieds que le reste des personnes présentes.

- De ... De tout ce qu'il se passe ici, à Kaminari. La peur, la faim ... Les attaques ... C'est ... C'est comme si depuis que Kumo avait réouvert tout avait empiré, comme si tout le monde s'agitait. J'croyais que le but de Kumo c'était de mieux nous protéger ? Si oui, pourquoi mes parents sont morts hein ? Vous deviez pas faire peur aux pirates ?!

La voix tremblotante se voulait convaincante, affirmée, dure, mais se brisait en sanglots peu convaincants. La garde resserra sa poigne sur l'épaule de l'adolescent, comprenant sa douleur qu'elle explicita la mine fermée à l'adresse de la Kumojine.

- Depuis quelques temps les pirates ont redoublé d'efforts sur nos côtes. Attaque de navires marchands, pillage de petits villages côtiers ... Plusieurs ici sont des rescapés de ces raids et nombreux sont ceux qui essaient ou ont essayé de quitter le pays par jour de tempête comme aujourd'hui en espérant que le mauvais temps convaincra les pirates de ne pas prendre la mer...

Et en effet les nuages étaient en effet déjà bien accumulés au large, comme prêts à justifier le nom de "Pays de la Foudre" que portait la péninsule, soulevant sûrement une même question dans chacun des esprits  ici...

Alors que le gamin hochant la tête à la question si les pirates étaient la cause de la mort de ses parents, la garde elle roula les yeux, agacée par la non-pertinence des questions. Ils venaient tous les deux d'abonder dans ce sens, qu'espérait-elle de plus ? Un agacement qui bien qu'apaisé quelques secondes la relança rapidement.

- Oui pirates, sinon nous aurions dit bandits. Quant aux bateaux oui ils en ont sûrement plusieurs, la province est relativement grande et au vu de la fréquence des attaques, je serais assez surprise s'ils pouvaient se téléporter à gauche à droite pour piller nos navires et nos côtes. S'il s'agissait d'un seul pavillon nous aurions déjà réglé ça, nous n'avons peut-être pas de chakra comme vous cependant ce n'est pas pour autant que nous ne savons pas nous servir d'une arme et nombre ici sont ou ont été marins.

-  N-Non jamais. Il a... il a coupé la tête du capitaine puis a demandé si quelqu'un avait vu une personne qu'il-qu'il cherchait.

- Je pense avoir la suite grâce aux autres témoignages. Ils sont partis. Ceux qui étaient montés, puis ensuite le bateau ... avec une personne pendue à la proue du bateau... Sûrement la personne que ces hommes cherchaient du coup, pauvre âme.

---------

- Non pourquoi ?

La laissant parler, le vieil homme arqua un sourcil.

- A l'aveuglette ça va être difficile comme vous pouvez vous en douter. Si vous pouviez vous en charger du coup, nous apprécierions l'effort.

Il était fier et revanchard envers les shinobis mais n'était pas idiot. Il avait bien conscience qu'ils pouvaient accomplir certaines tâches que lui ne pouvait pas. La signature de chakra, elle, continuait lentement de s'échapper un peu plus au fond de l'océan.

---------

Pendant ce temps la tempête au large continuait de prendre de l'ampleur alors qu'un premier éclair éclaira la masse et qu'un coup de tonnerre assourdissant retentit quelques secondes après. Visiblement la tempête risquait d'être violente.