Les allées marchandes sont en pleine émulsion. Un agréable parfum familier s’en dégage – il serait bien impossible de le décrire avec précision, tant les saveurs qui le composent sont nombreuses, les épices locales, uniques…

Il n’est pas exagéré de dire que ce doux mélange forme l’un des trésors tout personnels des habitants de Suna.

Bien que Senko n’ait jamais rechigné à arpenter les rues de la ville lors de ses rondes – car accomplir son devoir, aussi rébarbatif la tâche soit-elle, n’est jamais une contrainte –, il faut bien avouer que le quartier marchand est son lieu préféré. Parce qu’elle en aime l’odeur, bien sûr…

Mais aussi et surtout parce que, au milieu de cette impressionnante foule de marchands, d’acheteurs et de voyageurs de toutes sortes, il ne se passe pas une minute sans qu’une bourse soit volée, pas une heure sans une altercation entre deux mégères, pas une journée sans un scandale public…

Ce qui, au-delà d’assurer à notre jeune amie une ronde un peu moins soporifique, lui donne tout naturellement l’impression d’être particulièrement utile.

Aujourd’hui, en particulier, ne sera probablement pas de tout repos : voilà quelques jours que les commerçants signalent de plus en plus de vols à l’étalage. Coupable présumé : une bande de jeunes orphelins venus des quartiers pauvres, dont l’ingéniosité n’a d’égal que la fourberie.

Particulièrement sur ses gardes, donc, Senko s’est pour l’occasion vêtue d’une longue cape de voyageur, parée d’une capuche, afin de na pas être repérée par les contrevenants, la réputation de « la tarée aux cheveux blancs » n’étant plus à faire.

Ainsi déguisée, c’est avec enthousiasme que la jeune femme aux cheveux blancs débute sa journée et s’aventure au milieu des nombreux passants, qui se précipitent et se bousculent aux quatre coins de ce bazar aux milles effluves.

Spoiler:

@Tegami Senkō

- « Mange doucement. Prends ton temps… »

La petite fille assise aux côtés de Yori hocha plusieurs fois la tête en guise d’approbation et ralentit sa cadence. S’il était d’accord pour dire que les dattes dénoyautées et enrobées de miel étaient plus que succulentes, il n’y avait pas de quoi les dévorer à la va-vite au risque de subir plus tard une indigestion, ce qu’il n’espérait absolument pas pour elle. Après tout, il s’agissait de sa petite cousine adorée qui était venue de la capitale avec ses parents et qui ne le lâchait dorénavant plus d’une semelle. Un véritable amour qu’il prenait soin de bichonner avec une fibre paternelle insoupçonnée. Comme ses parents le lui disaient, il était peut-être temps pour lui de penser à un éventuel mariage et aux enfants qui allaient avec. Avoir des petits enfants leur ferait surement plaisir.

La perspective n’était pas forcément dénuée d’intérêts, mais l’homme se questionnait vraiment sur la période plus ou moins sombre que le yuukan traversait. Était-ce vraiment un bon moment pour concevoir ? Ses enfants auraient-ils un semblant d’avenir ? Serait-il lui-même présent pour assurer leur éducation ? Pourrait-il réussir comme lui le pèlerinage d’Amaterasu que tous les Hizori dignes de ce nom devaient passer un jour ? Les interrogations sur la nécessité de fonder un foyer étaient tellement nombreuses qu’il en était terrifié quelque part. Sa plus grande crainte était de laisser une éventuelle veuve et des orphelins derrière lui, même si le clan était assez grand et soudé pour qu’un autre Hizori prenne en charge ses futurs bambins si jamais.

Sur cette réflexion, le jônin sortit un mouchoir propre de l’une des poches de son kimono noir pour nettoyer les contours de la bouche de sa petite-cousine. Il lui passa ensuite une petite gourde d’eau pour qu’elle se désaltère correctement et se leva non sans la prendre dans ses bras, sourire aux lèvres. Saluant respectueusement le tenancier de l’échoppe ambulante où il s’était arrêté, Yori finit par reprendre sa petite promenade avec son bout de chou qui s’émerveillait devant le festival sensoriel que le quartier marchand pouvait offrir : entre les nombreuses couleurs enchantantes, les multiples odeurs envoutantes et la cacophonie ambiante d’un marché grouillant de monde et de vie, il y avait de quoi être charmé, ce qui était le cas de la petite Yona dans ses bras.

Les étoiles qui brillaient dans ses yeux et son large sourire ne laissaient pas la place au doute.

Malgré le soleil brulant bien haut dans le ciel, Suna la captivait déjà.

De bon augure pour la suite, qu’il se disait.

Elle le tenait.

Toujours masquée, la jeune femme verrouilla une fois pour toute sa cible, et accéléra en direction des viandes séchées et autres saucissons qui pendaient encore au-dessus du malfrat, lui qui semblait décidé à profiter d’une absence passagère du marchand pour se constituer un solide butin.

Voguant entre les silhouettes agitées, au gré des turbulences de la foule, Senko avait veillé scrupuleusement sur chacune des échoppes des plaignants en quête d’une petite main baladeuse : c’est justement au détour d’un fameux charcutier qu’elle avait surpris, du coin de l’œil, les aller-retours rapides d’une dizaine de doigts enfantins ; parcourant les marchandises un peu trop vite et les plaçant avec un peu trop d’assurance dans sa sacoche pour qu’il ne puisse s’agir que d’un marmot commissionné par ses parents.

Bien sûr, arrêter un enfant n’était jamais une partie de plaisir : après tout, bien peu de mobiles poussent une demi-portion au crime, si ce n’est la pauvreté. Il y avait bien sûr des audacieux, jeunes prépubères ne craignant pas Loi dans leur recherche du frisson ; mais ces derniers étaient bien plus rares – et leurs délits bien moins sérieux – que ceux dont la fin creusait le ventre.

Mais la Loi n’était pas affaire à négocier, et elle était connue de tout le monde. Aussi, Senko avait appris à mettre de côté son empathie – au moins le temps de procéder à l’arrestation. Pourtant…

Sans doute le soleil lui avait-il tapé trop longtemps sur le crâne. Peut-être la dernière veillée de nuit avait entamé la résilience de ses nerfs.

Toujours est-il que, cette fois-ci, sa main tendue vers le petit poignet ne fut pas aussi ferme que d’ordinaire et lorsque le voleur, surpris mais pas vaincu, rétracta son petit membre à lui dans un mouvement de réflexe, il parvint à glisser hors de l’emprise de la jeune adulte et détala sans demander son reste.

Il est évident que les courtes jambes d’un vagabond ne lui seront jamais suffisantes, lorsqu’il s’agit de semer un adulte, un shinobi de surcroit, parmi les plus zélés qui existaient – et peut-être de tous les temps. Mais le chaos de la foule était un allié de poids, et le fuyard avait cet avantage que d’être rapidement dissimulé.

Cela ne suffît pas. Alors qu’il pensait prendre de la distance, Senko prit de court le petit voleur et lui coupa la route. Acculé et en désespoir de cause, il entama un demi-tour qu’il ne put jamais terminer :

Il venait de heurter la robe d’un individu, à la démarche et à la stature intimidantes ; mais du visage duquel se dégageait pourtant une certaine bonté – le fait qu’il tint par la main une ravissante petite jeune fille aidant surement.

Sonné, le fuyard ne protesta même pas lorsque Senko, bien décidée à terminer son travail, lui attrapa de nouveau le bras – bien plus fermement, cette fois.

« C’est terminé, gamin. Suis-moi sans faire d’histoires, et peut-être que tu reverras tes petits copains un jour. »

Il ne s’agissait bien sûr que d’une ruse : les cachots de Suna étaient déjà très fréquentés, et il aurait été difficile d’y placer un gamin de plus sans risquer inutilement sa vie et gâcher plus d’argent publique que nécessaire. Mais les mises en garde du genre avaient le mérite de calmer un peu les délinquants les moins téméraires.

Elle s’adressa tout de même à l’homme devant elle :

« Toutes mes excuses, citoyens. Ce petit garnement ne vous causera plus de soucis, soyez-en sûr. »

Et sur ces paroles, elle s’apprêta à prendre le chemin du poste de garde le plus proche.

Magnifique…

Tout simplement splendide…

Yori ne le sut pas en cet instant précis, mais cette femme, une Tegami, était la troisième à le toucher dans un certain sens. A le charmer sans qu’il ne veuille vraiment le reconnaitre totalement. Tegami Hazure incarnait la beauté sauvage avec son air et son maintien atypique. Tegami Ayane était une beauté qu’il qualifierait d’innocente, avec son air ingénu et touchant. Quant à son vis-à-vis, il ne saurait pas comment la qualifier. Brute ? Naturelle ? Saisissante ? L’ex-moine en herbe n’avait pas de qualificatif adéquat. Sans verser dans la lubricité totale, le jônin n’était pas un homme ingénu. Néanmoins, il savait reconnaitre les beautés de la nature et les admirer sans pensées lubriques ou superflues. Dans cette situation, il contempla donc la jeune femme basanée pendant de longues secondes qui lui parurent presque une éternité, puis il reprit contenance lorsqu’elle voulut s’en aller prestement avec sa prise…

- « Attendez… »

Une paire de mains faites de sable sortit de nulle part. Ladite paire de mains immobilisa plus ou moins fermement l’un des pieds de la jeune shinobi sans pour autant la déséquilibrer. L’idée était juste de la clouer sur place sans trop en faire. Yori pour sa part ne cacha point son initiative. Il aurait été difficile de faire autrement, vu le mudra qu’il maintenait de sorte à l’obliger à rester là, devant lui, grâce à sa technique. Il trahissait un peu ses origines, mais quelle importance ? Toutefois, il était surpris de constater qu’une kunoichi ne le reconnaisse pas. Ces moments-là étaient bel et bien rares, mais ô combien rafraichissants ! Et puis, il adorait passer incognito voire même jouer le civil ou le larbin. Cela permettait généralement à ses interlocuteurs de s’exprimer spontanément et sans peur de représailles. De toute façon, il n’était pas un haut-gradé à abuser de son autorité, même s’il sentait que dans cette situation…

Il allait peut-être devoir en jouer à un moment donné. Intuition, comme toujours.

- « Toutes mes excuses. Je ne voulais pas vous importuner, simple réflexe… »

Le jônin rompit alors son signe incantatoire, ce qui eut pour effet d’annuler la technique. La paire de mains de désagrégea aussitôt et finit en simple amas de sable aux pieds de la sublime demoiselle. Tranquillement alors, il reprit une main de sa nièce et s’avança vers les deux personnes devant lui. Un sourire affable barrait toujours ses lèvres. Une fois près d’eux, il passa sa main de libre dans la chevelure rêche du petit voleur qu’il prit plaisir à caresser affectueusement. Ce dernier vint se plaquer spontanément au torse de Yori et à saisir un pan de son haori. Le genre d’élan qui ne laissait pas de marbre. « Qu’est-ce que cet enfant a bien pu faire de mal… ? » Il n’avait pas souffert d’un traitement ou d’un châtiment horrible, la jeune femme le poursuivant n’ayant rien fait de mal ; mais il était clair que le gosse avait fait une bêtise et l’Hizori devinait facilement quoi. Cela dit, il attendait la réaction de la soldate, les yeux rivés vers elle.

Et pas que les siens d’ailleurs. Plusieurs badauds contemplaient également la scène.