Le scientifique sortit en trombe du complexe de la Serre. Les heures avaient filé à une vitesse hallucinante. A plusieurs reprises il s’était fait surprendre dans ce pays au sable semblant égrener les secondes bien plus vite qu’ailleurs. Il n’avait même pas eu le temps de remettre sa large veste qui dissimulait ses prothèses. S’en étant rendu compte une fois dehors, il serra les dents en considérant l’occasion comme une opportunité pour affronter ce trouble psychologique. Un verrou qu’il se mettait tout seul mais sur lequel il ne cessait de se dire qu’il devait le travailler.

Malgré le tempérament urgent de cette sortie, il ralentit sa course. Sa frénésie s’était faite rattrapée par la chaleur étouffante et lui imposait un rythme plus calme. Troquant course dératée pour marche rapide, Akuhei songeait à ce qui l’avait fait sortit en trombe de son labo. Une missive de la part des hautes instances. Peut-être même la Raïkage. Il lui était demandé de se rendre en centre-ville où quelqu’un l’attendait. Un membre de la famille Watari. Cette demande le surprenait, car son frère aurait été bien plus adapté pour ce genre de rencontre. Si tel était le cas, il craignait une chose : qu’un malheur soit arrivé à Waichiro.

D’où sa précipitation et les tambourinements de son cœur dans sa poitrine serrée. Il approchait et commençait déjà à balayer les environs du regard. Pas de trace de son frère. Ce qui ne le rassurait pas encore totalement. Alors qu’il arrivait et qu’il continuait de fureter du regard, il se retrouva non loin d’un commerce dont la devanture était aménagée pour accueillir des personnes éreintées. Un banc avait été disposé là, à l’abri d’une corniche pour profiter du frais. C’est devant ce banc qu’Akuhei fut interpellé par le nom de sa famille héréditaire. Il fit volte-face pour se retrouver nez-à-nez avec une jeune fille.

Guères plus âgée que les recrues qu’il avait vu passer au Kagirinai, un pincement au cœur le remua. Il ne s’y arrêta pas, n’oubliant pas qu’il y avait peut-être un lien entre cette rencontre et l’état de son frère.

- Akuhei, enchanté. Vous êtes là à propos de Waichiro ? Il va bien ?!

Trop impliqué et concerné par le bien-être de sa famille, il n’avait bien sûr pas fait attention à l’appellation bien particulière par laquelle la jeune inconnue l’avait interpellé.

Le regard de la demoiselle en disait long sur ce qui devait se tramer sous ce petit crâne. Le laps de temps qu’il y eut entre le moment où il l’interrogea et la réponse, qui tardait à venir, fut déterminant pour faire comprendre au médecin qu’il y avait une cruelle mésentente. Le fameux mot lui arriva à l’esprit à retardement. Ses molaires crissèrent subtilement lorsqu’il referma sa bouche après une expiration profonde. Il ne serait pas étonné d’apprendre que la missive reçue venait de la main de la Raïkage.

Lui qui venait à peine d’arriver se voyait mal gérer une équipe. Même si son passé l’avait amené à faire ça toute la journée, il s’était imaginé trop décalé avec la réalité pour en faire de même ici. Et puis c’était une charge difficile à porter, aussi bien pour les nerfs que pour les sentiments. Entre la patience de l’apprentissage et l’appréhension d’un départ en mission, Akuhei avait vu bien des jeunes arriver dans leur bunker. Leur sortie leur avait été fatale, pour bon nombre d’entre eux. Le terme maintenant bien figé dans son crâne, il craignait cette charge comme jamais auparavant. Heureusement qu’il put compter sur l’amabilité naturelle de cette jeune fille pour retrouver le plancher des vaches et délaisser le royaume de ses pensées.

Avec un air quelque peu dédaigneux, elle venait de lui rétorquer qu’elle ne connaissait pas son frère. Puis elle expliqua sa présence par une missive qui lui demandait de le retrouver ici. Comme pour appuyer ses dires, et insister sur l’erreur de l’Itsuru, elle tendit la feuille de papier. Inutile d’en prendre connaissance. La missive fut réceptionnée par l’un des tentacules qui s’était glissé sous l’un des bras de son maître. Le papier termina dans la poche arrière du médecin qui dévisageait avec plus d’attention cette gamine, derrière ses verres fumés. Si sa supérieure attendait qu’il la forme, ils ne manqueraient pas de travail.

- Itsuru Akuhei. Comme je le disais : enchanté, dit-il sur un ton un peu plus neutre que la première fois.

Il reprenait conscience et retrouvait une respiration normale. Par conséquent il put croiser ses bras sur sa poitrine, prothèses bien en évidence derrière sa silhouette, paraissant trop imposante à côté de la fillette. Elle semblait néanmoins avoir son caractère, ce qui n’impressionnerait pas plus l’ancien formateur.

- Navré de vous avoir parlé de lui, j’ai cru qu’il lui était arrivé quelque chose et qu’on vous avait envoyé comme messagère.

L’évidence étant maintenant présentée.

- Je vous avoue ne pas avoir reçu beaucoup d’informations de mon côté, par conséquent : que puis-je pour vous ?

Akuhei réprima un soupir d’exaspération ainsi qu’un balancement de tête vers l’avant pour observer ses chaussures. Ce quiproquo semblait s’éterniser. Lui qui avait mal lu sa missive et cette jeune demoiselle n’ayant pas une once de gêne. Ce ne serait pas ça qui l’impressionnerait après les différentes recrues croisées dans son passé. Ce caractère ne l’effrayait pas, il fallait savoir y faire. Il s’était laissé emporter par ses émotions et ça ne risquait plus d’arriver. Il comprenait que la situation le plaçait comme potentiel senseï de la jeune fille et c’était elle qui se retrouvait à lui passer un savon. Quelle image devait-il donner ? Guères reluisante.

Face au caractère ingrat de son interlocutrice, Akuhei n’eut pas vraiment le temps de répondre puisqu’elle enchaînait les remarques à son propos. Il resta cependant stoïque, attendant que le fameux excrément nerveux passe. Sa dernière phrase pouvait néanmoins blesser le scientifique qui avait déjà subi ce genre de remarques auparavant. Aussi ne fut-il pas obligé de prendre sur lui pour répondre.

- Nous sommes partis du mauvais pied je crois. Apparemment je serais votre formateur en effet. Et inutile de s’inquiéter pour ça, dit-il en désignant ses prothèses, ce ne sont que des outils de travail.

De combat également, mais il n’aimait pas le rappeler. Ça avait tendance à alerter les esprits et à créer de la suspicion. Il faut dire que l’aspect peu engageant de ces tentacules n’aidait pas. Dans l’esprit des gens, il y avait tout de suite les pires images qui s’enchaînaient où ces instruments déchiquetaient et éventraient. Akuhei avait appris à faire avec et à recevoir des regards, même si dans ce dernier cas il s’y faisait un peu moins. Il n’en était qu’aux prémices du travail sur lui-même.

- Apparemment vous faites partie du clan Watari. Où en êtes-vous de la maîtrise de ce don ? J’ai conscience qu’il s’agit de quelque chose de compliqué.

Il se souvenait avec peine des entraînements de son frère. Reizoku ne l’avait pas lâché et il lui en avait fait baver. Encore aujourd’hui, son ami d’antan rechignait à utiliser ce pouvoir pourtant très puissant. Sans vraiment le réaliser, Akuhei commençait déjà à endosser son rôle de senseï alors que l’idée même le terrifiait quelques minutes auparavant.

La jeune fille se demandait d’où lui venait sa connaissance du clan. Une question qui lui aurait arraché un sourire en temps normal mais il préserva un faciès stoïque. Au vu du caractère en présence, il adopterait une attitude différente. Sans pour autant se montrer froid, il ne se présenterait plus sous le jour du maladroit qui apprend les nouvelles au compte-goutte.

- J’ai un frère qui fait partie du même clan. J’ai grandi avec lui et je l’ai vu à l’œuvre. C’est un don rare mais ô combien puissant. Ce qui va de pair avec une grande difficulté de maîtrise.

La petite avait un sacré poids sur les épaules. Ce genre de don héréditaire devait amener une pression au moins familiale, si ce n’est personnel. Il pouvait en partie la comprendre au vu de leur passé. Il fit abstraction de ses sentiments alors qu’elle s’expliquait sur son niveau. Elle était débutante et parvenait à former ses premiers portails. Elle avait eu la bonne idée, ou le bon conseil, de d’abord se concentrer sur sa forme physique afin de mieux supporter son pouvoir. Une réflexion plus qu’intéressante et très mature qui, si elle n’était pas d’elle, restait néanmoins brillante. Akuhei aurait bien réagi instinctivement mais il préféra lui laisser le soin de s’exprimer. Un instant de quiétude après le chaos des premières secondes.

Le tempérament refit vite surface alors qu’elle dévisageait les tentacules. Elle souhaitait maintenant en apprendre plus sur lui. Il l’avait interrogé sur elle et ses capacités, il ne pouvait lui reprocher d’en faire de même. Il lui aurait même fait le reproche si elle n’avait pas pris cette initiative. Hésitant entre jouer le tyran bienveillant et obtempérer, il préféra la deuxième solution.

- Je suis arrivé à Kaze avec ma famille il y a peu mais j’ai suivi une formation de shinobi dès l’enfance. Un entraînement qui m’a valu ces prothèses car je ne pouvais plus me servir de mes bras. J’ai appris à manier aussi bien mes mains artificielles que naturelles. Aujourd’hui elles me servent aussi bien dans le domaine médical que militaire.

S’étant un peu plus confié dans un climat plus clément qu’à l’arrivée, l’Itsuru avait repris confiance, continuant de se glisser dans son rôle de senseï. Il l’avait réalisé mais préférait l’assumer. Il retrouvait en cette petite fille le jeune Waichiro qu’il avait rencontré la première fois. C’était sûrement ce qui avait étouffé son envie irrépressible de refuser de former à nouveau quelqu’un. Un changement qui s’était opéré certes rapidement mais naturellement.

- Puisque j’ai été assigné à votre formation, je vais m’efforcer de vous épauler. C’est une excellente idée d’avoir perfectionné votre forme physique. Il y a en effet des portails qui vous permettent de traverser des distances instantanément. J’imagine que vous êtes au courant que vous avez la possibilité de « tordre » l’espace. Avez-vous déjà essayé de pratiquer l’exercice ?

Un soupir qui semblait sempiternel avait ponctué la réponse de la jeune fille. Akuhei ne s'en offusqua pas. Il commençait à comprendre comment cette dernière fonctionnait. Son caractère l'avait surpris au premier abord mais il ne se ferait plus avoir de la sorte. Maintenant que l'information était assimilée, il allait pouvoir composer en fonction. Si elle avait l'habitude d'être exaspérée des autres, il lui prévoyait un régime qui la rendrait sûrement moins insolente. Accueillant sa réponse, arrachée à contrecœur, il approuva d'un signe de tête alors qu'ils arrivaient sur les lieux dédiés à l'entraînement.

L'endroit avait été quelque peu retourné par d'anciens utilisateurs. Les courbes dessinées par le sable indiquaient qu'il y avait eu de l'affrontement à cet endroit précis. Une toile muette à même les grains de silice, chargés de l'histoire du grand désert. Akuhei observa les environs, comme s'il pouvait y trouver quelque chose d'utile. Son regard était surtout à la recherche de potentielles personnes présentes. Malgré l'heure, ils étaient seuls pour l'instant. Ce qui l'arrangeait en un sens.

Le fait de devoir s'entraîner à la vue de tous avait tendance à le gêner. Pas par pudeur véritablement mais pas intérêt tactique. Surtout pour la jeune fille dont le pouvoir était souvent convoité. Son frère Waichiro avait pu en faire les frais dans leur enfance. Une telle maîtrise attisait la convoitise des curieux et pouvait les pousser à faire des choses stupides. Comme s'ils étaient capables de s'approprier un pouvoir qui n'étaient pas le leur. Une telle idée aurait pousser l'Itsuru à s'y intéresser très fortement. Néanmoins, il savait cela impossible. Pour l'instant du moins. Si ses recherches aboutissaient, il aurait du temps pour se pencher sur ce sujet. Mais plus tard.

Pour l'heure, il devait se faire une idée des compétences de sa nouvelle pupille. Alors qu'elle s'interrogeait sur la suite des évènements, son unique réponse fut l'un des tentacules tourné dans sa direction, alors qu'en soit le docteur lui tournait le dos. Les autres semblaient stagner mais le membre supérieur gauche semblait observer la Watari. Puis sans crier gare, la prothèse de métal fusa sur la jeune fille. L'aspect offensif restait mineur et l'attaquant savait que ce ne serait qu'une formalité. L'idée était surtout de jauger la réactivité de son interlocutrice.

Ceci fait, il fit un léger bond vers l'avant alors qu'il faisait volte-face pour pouvoir observer les prouesses de la Genin. Même si l'envie y était, il préserva son sourire pour lui-même. Il puisa ensuite dans sa réserve de chakra, effectua quelques mudras puis propulsa un projectile de terre sur son adversaire du jour. Elle qui était si sèche, elle aurait maintenant l'occasion d'exprimer de manière explicite sa profonde frustration.

Une jeune fille aussi acerbe dans ses propos seraient en réalité plus discrète en matière de combat ?! Généralement, de tels caractères savaient s'illustrer par leur fougue lors d'affrontements, souvent provoqués par leur insolence. Ici, il semblerait que le médecin soit face à un cas de plus en plus particulier. Si un de ses sourcils se hissa très discrètement au dessus de la monture de ses lunettes, il ne l'empêcha pas d'analyser sa pupille avec attention.

Elle avait encaissé son premier coup, ce qui ne représentait pas une vive douleur physique. Néanmoins, son esprit avait dû être attisé par ce manque de respect flagrant. Chose qui semblait bien plus redoutable avec cette petite Watari. Akuhei se retrouvait dépourvu de la voir annoncer d'entrée de jeu qu'elle ne pouvait pas répliquer car elle manquait de techniques offensives. Sincérité étonnante ou pur bluff ?! L'Itsuru n'était clairement pas le meilleur psychologue ou analyste pour répondre à cette question. Son esprit rompu à l'entraînement et la tactique l'invitait à se méfier. Tandis que le professeur et grand frère qu'il était souhaitait se montrer pédagogue.

Il fit quelques pas en direction de Mihoko, bien qu'il n'aille pas jusqu'à la rejoindre. Il s'agissait de deux, trois pas très prudents. Des années d'apprentissage auprès du Tyran lui avait laissé l'amer goût de ne pas toujours se fier à une accalmie. Jamais même. Il doutait véritablement des propos de la jeune fille. Elle ne pouvait se montrer aussi provocante sans pouvoir répliquer physiquement derrière. Même si elle restait une novice comme elle l'avait précisé, il doutait que son répertoire Watari ne contienne rien d'agressif. Surtout qu'elle devait avoir le tempérament pour l'utiliser. Peut-être se trompait-il mais dans tous les cas, la suite serait formatrice pour elle.

Il abandonna la prudence pour se ruer vers elle, en prenant soin de décrire une course à la trajectoire aléatoire pour se rapprocher d'elle au maximum. La distance les séparant encore fut cette fois suffisante pour qu'un des tentacules fuse vers la kunoichi. La pince à son extrémité s'était mise à tournoyer. Au delà de faire appel à une défense importante, Mihoko serait sûrement galvanisé par cet assaut plus important. Ce qui permettrait à l'Estropié de confirmer ses doutes.