Une nouvelle soirée, planquée au bar a jouer mon rôle de serveuse. J'étais en solo cette fois, Joshuro étant parti récupérer une commande dans un village voisin. Il traînait d'ailleurs a rentrer... Qu'est-ce qu'il pouvait bien foutre ?
Je n'avais de toute façon pas le temps de m'en soucier. Si ça avait été calme a l'ouverture, il y avait eu une sorte de rush auquel on ne s'attendait pas vraiment ici. Là ça commençait a se calmer mais je n'avais pas eu le temps de m'ennuyer vu que je devais gérer à la fois le taf de barman et celui de serveuse. Le bar fermait dans deux heures, il y avait encore du boulot après tout.
A vrai dire, ce genre de moment de pression ne me dérangeait pas. Je préférais ça plutôt que de frotter les tables pour la dixième fois. Les clients commençaient a bien s'échauffer après plusieurs verres. C'était bruyant entre leurs railleries et le fond musical « cyber rétro ». C'était vivant en quelque sorte.

Lorsqu'une nouvelle cliente entra, j'eus le réflexe de prendre le modificateur de voix pour lui faire le slogan habituel du bar mais je remarquais rapidement qu'il s'agissait d'une gamine. Ou en tout cas qu'elle faisait franchement jeune, ce qui me fit arquer un sourcil et m'approcher d'elle après avoir reposé le boîtier derrière le bar.

« Je peux t'aider ? »

Elle avait un de ces visages « mignon » et des petites cornes qui lui donnait un air innocent avec un je ne sais quoi de sauvageon, sans parler de sa dégaine crasseuse... Elle me faisait penser à une gamine des rues. Elle me rappelait moi plus jeune.

- A boire, de l'alcool.

Mon étonnement dû se lire sur mon visage. Outre le ton avec lequel elle s'était adressée à moi, incisif, presque hostile, renforçant cette image de petite sauvage, elle voulait boire ?

« Je ne sais pas qui est cet Ishiyato mais il a peut être plus de 20 ans. C'est pour ça qu'il a le droit de boire. Et toi ? T'as quel âge ? »

Je ne lui parlais même pas de papier d'identité, à son âge j'en avais pas non plus vu ma situation et elle semblait être autant dans la merde que moi à cette époque.

« Ishiyato c'est celui qui prend soin de toi ? Il est sympa ? »

J'essayais discrètement d'en savoir plus sur elle tout en jouant sur la fibre sympathique pour la mettre en confiance. Je n'avais pas besoin de beaucoup forcer, j'avais une certaine empathie pour cette gamine.  

La gamine faisait la maline mais elle n'avait aucune idée de son véritable âge. A vue de nez elle n'était pas majeure donc pas d'alcool. Il allait falloir lui faire comprendre maintenant... ou user d'un subterfuge. Mais pour l'heure j'écoutais ce qu'elle voulait bien me dire : Ishiyato , trouvée dans les bois, il prenait soin d'elle en lui demandant d'être sage et de bien se comporter... et il parlait sans arrêt du travail... Cette phrase là me faisait tiquer car me rappelait un peu trop le discours des gosses des rues que certains adultes véreux exploitaient en se servant de leur misère pour obtenir d'eux ce qu'ils voulaient. Au final ils n'étaient bien souvent que des esclaves a peine nourri qui voyaient en ces adultes des sauveurs autant que des bourreaux, pour les plus sympa.

Toujours était-il qu'elle affichait un large sourire dénotant avec sa situation et qu'elle se fracassait la main pour la troisième fois sur sa table . Si j'avais des doutes je n'en éprouvais désormais plus : elle était complètement frappée.

« Ok, de l'alcool donc. »

J'attrapai son billet et alla de l'autre côté du comptoir pour prendre une bière dans le frigo... ou plutôt un panaché. Est-ce qu'elle verrait seulement la différence ? Et puis il y avait un peu d'alcool dedans du coup ça répondais à ce qu'elle cherchait tout en restant légal.
Décapsulant la bouteille en verre, je vins la lui poser juste devant elle tout en profitant de la conversation pour légèrement détourner son attention.

« C'est quoi ton p'tit nom ? Comment Ishiyato t'appelle ? »

Parce que c'était peut être différent et que ça traduirait sans doute de sa maltraitance ou pas.

« Pourquoi tu restes avec lui s'il est pénible et te laisse en plan  ? Tu as peur d'être toute seule ? Tu devrais lui dire que tu en as marre de l'attendre. Tu sais au moins ce qu'il fabrique quand il s'en va ? Peut être qu'il vient dans des endroits comme ici. »

Sans doute plus pour glaner des infos que pour se mettre la mine à mon avis, vu comment elle en parlait.

Les réponses de la demoiselle ne me plaisaient pas vraiment... Ce type, Ishiyato, la traitait comme son chien – et semblait même avoir un pacte avec cet animal en invocation – en plus de l'avoir laissé en plan sans réelle explication.

« Tu sais, parfois il vaut mieux être seule que mal accompagnée. »

J'en savais quelque chose.
J'essayais de lui expliquer.

« Tu m'as l'air d'une fille bien Sora. Tu ne devrais pas traîner avec un type comme lui s'il te traite comme ça. J'ai surtout l'impression qu'il se sert de toi. Tu es son larbin a tout faire et c'est seulement pour cette raison qu'il te garde avec lui. Ce qui peut t'arriver il en a rien a faire. Sinon il ne serait pas parti sans toi. »

C'était sans doute dur a entendre pour elle et je craignais déclencher son esprit déséquilibré, mais c'était la vérité et il fallait qu'elle se réveille. Tant pis si pour ça elle devait subir un électrochoc. J'avais vécu une situation similaire, je savais ce dans quoi elle s'embarquait et ce qu'elle risquait de devenir. Elle valait mieux que ça, j'en étais persuadée.

Sa voix et ses reproches commençaient a agiter les clients du bar un peu trop faits, et je surveillais ça du coin de l'oeil. Il y avait des habitués qui savait très bien comment les choses se passaient ici et qui n'oseraient pas moufter, pour les autres j'étais prête a le leur montrer.

« Je m'appelle Amaya. Eh non ça n'existe pas l'alcool goût viande... mais si tu veux j'ai des « chips » au goût de viande grillée ! »

J'allais rapidement chercher un paquet que je lui offris, cherchant a calmer ses nerfs et apaiser sa faim. Ce n'était pas grand chose mais tout ce qu'on avait comme bouffe ici.

« Qu'est-ce que tu aimerais faire toi ? Si Ishiyato est vraiment parti pour toujours ou si tu décidais de le laisser tomber à ton tour ? Est-ce que tu as un idée de ce que tu voudrais ? Être libre c'est déjà très bien, tu n'aurais plus besoin de te contenter de survivre. »

Plus je l'observais, et plus je comprenais qu'elle en avait bavé. Ses codes sociaux semblaient presque inexistants, comme une petite bête sauvage qui n'aurait pas connu grand chose d'autre que sa cage. Une vie normale pour elle, c'était sans doute bien trop abstrait a imaginer. Moi aussi j'avais connu ça. Et aujourd'hui je voulais protéger coûte que coûte mon droit de mener ma vie comme je l'entendais, dans le minimum de confort qui nous était dû, avec un toit au dessus de la tête et de quoi manger a ma faim.

« Tu voudrais te reposer ? T'entraîner ? Aider ? Te faire des amis ? … Ou puisque tu aimes la nourriture, peut être travailler dans un restaurant avec les bonnes odeurs de nourriture ? Tu pourrais même apprendre a cuisiner des plats encore meilleurs ! »

Elle avait la vie devant elle pour apprendre ou faire toutes ces choses. Il fallait juste qu'elle s'en donne les moyens.

« Pourquoi est-ce que tu veux courir après Ishiyato, Sora ? Je pense que tu n'as pas besoin de lui. »

Sora s'était réellement emballée sur mon idée de la faire travailler dans la restauration puisqu'elle aimait la bouffe, au point où elle voulait faire son stand ici, dès maintenant.
Un sourire amusé aux lèvres, non sans une pointe de déchirement de lui briser ses rêves, j'essayais de la faire redescendre sur terre.

« Tu sais Sora... ici c'est un bar. On ne sert que a boire. Les seuls trucs a manger ce sont des machins comme les chips que tu viens de manger. On a pas de cuisine. Et on a aussi pas le droit de faire a manger pour les gens. Imagine s'ils tombent malades après avoir mangé et se plaignent ? C'est sur ta tête que ça retomberait. Ça ne se fait pas n'importe comment. »

Malgré tout j'avais une petite idée en tête.

« Mais, si tu veux... Je peux en parler à un ami. Avant de travailler ici, j'ai bossé dans un izakaya du centre ville. C'est une sorte de bar mais avec un menu et les gens peuvent commander des spécialités. C'est la bonne ambiance et c'est souvent de la viande qui est servie, grillée, généralement. Mon ami est cuisinier dans cet Izakaya. Si je lui parle de toi, peut être qu'il sera d'accord pour que tu restes avec lui en cuisines et même que tu l'aides. »

Seulement il restait un problème.

« Mais, si tu veux pouvoir faire ça... il va falloir que tu te comportes bien. Pas de vol. Pas de plan en douce... Qu'est-ce que tu en dis ? »

Alors que j'attendais sa réponse, je sortis mon calepin et griffonnai dessus des coordonnées... avant de me raviser. Si cet Ishiyato tombait sur ce papier, je ne voulais pas qu'il arrive quoi que ce soit à mon ancien collègue. J'allais aller le voir directement avec elle.

« Tu sais quoi ? J'ai bientôt fini mon service. Mon travail si tu préfères. Dès que j'ai fini on ira voir l'Izakaya toutes les deux et je te présenterais à mon ami. »

J'allais chercher un autre paquet de chips que je confiais à la gamine, sachant parfaitement qu'elle devait rarement bouffer à sa faim.

« Mange ça en attendant. Ça te va ? »

Attendant sa réponse, je repartis finalement pour terminer mon service, prenant les commandes des quelques clients qui commençaient a s'impatienter de ne pas me voir revenir au comptoir.

Ce n'était pas grand chose, mais j'étais presque certaine que Ren accepterait Sora dans sa cuisine. Peut être que si elle avait le choix entre suivre cet Ishiyato ou faire un truc qui lui plaisait, elle n'aurait plus a vagabonder avec cet homme douteux...

Sora ne manquait pas l'occasion de me sauter dessus avec ses questions à chacun de mon passage un peu trop près de sa table. En temps normal ça m'aurait vite gavé mais cette gamine amenait tellement son lot d'originalité dans mon servie ce soir que je lui répondais sans problème. Ça et le fait que, malgré moi, j'avais beaucoup d'empathie pour elle, ce qui était au final une source de problèmes.

- Il fait d’la bonne bouffe, ton ami, là ? Parce que si tu t’es tirée d’son restaurant, c’est que ça devait pas être fou non ? A moins qu’il te faisait trop travailler ? Ishiyato me parle souvent d’hommes sans scrupules qui font bosser les femmes.

« Je ne me suis pas vraiment barrée. Mon contrat s'est terminé après six mois et il n'a pas été reconduit. Au final ça m'arrangeait parce que sentir la friture a longueur de temps arrivait a me dégoûter de la bouffe personnellement. »

Si Sora avait l'air attiré par la nourriture – peut être parce qu'elle en manquait au quotidien, probablement - , je n'avais jamais aimé les fortes odeurs de bouffe. Bosser dedans et sentir mes fibres capillaires, si sensibles de part mes facultés, alourdies et puant la graisse ça m'avait vite dégoûtée, je devais bien l'avouer, même si je faisais rarement la fine bouche pour bosser. Des boulots merdiques, j'en avais d'ailleurs fait plus d'un.

La gamine des rues continuait son délire de partenariat entre le bar et son futur commerce, montrant par la même occasion que si certains mots de notre vocabulaire lui étaient inconnus, d'autres plus fleuries en faisaient pourtant bel et bien partis. Elle se montra d'ailleurs un peu plus curieuse en me questionnant sur mes précédents boulots.

« Mmh... j'ai été serveuse la plupart du temps oui. Et j'ai récuré des chiottes aussi. »

Une vie de rêve. Bien différente de mes années dans l'armée et aussi peu glorieuses que mon enfance.
Je cachais volontairement cet aspect de ma vie à Sora. Je cherchais a vivre normalement loin de tout ce merdier, ce n'était pas pour commencer a lui raconter ma vie comme soldat. Surtout pas avec le type louche qui lui collait au train.

« Je ne sais pas si le Kage est fort mais en tout cas il est très intelligent. On dit qu'il occupait un haut poste dans l'armée avant. Il devait sans doute s'occuper de la plupart des stratégies de combat. »

Je casais ça volontairement au cas où elle irait le répéter à son acolyte bizarre. Ce n'était même pas un mensonge, mais ça les forcerait peut être a ne rien tenter de stupide envers un village dirigé par un type de sa trempe. Genkishi ne laissait rien au hasard. C'était un tacticien hors pair aidé par son regard omniscient de Hyuga.

Mon service finalement terminé, je fermais le bar et sortis avec Sora en direction de l'Izakaya de Ren. Ça faisait une éternité que je n'y avais pas mis les pieds. Il ne nous fallut qu'une petite dizaines de minutes pour arriver à destination.
Malgré l'heure tardive, aux environs d'une heure du matin, l'endroit accueillait encore quelques clients, sur le départ. Konoha était relativement grand et la plupart des bars et restaurants ouvraient a de larges horaires. Les shinobis revenant en mission devaient particulièrement apprécier la possibilité de manger un repas dans ces endroits avant de rentrer chez eux sans avoir a cuisiner.
Comme à son habitude, Ren arborait son plus beau sourire derrière son comptoir.  Le Kage-Futou-Chouryou littéralement «  L'ombre indomptable qui domine » était modeste mais si convivial qu'il attirait les clients comme la lumière pour des papillons de nuits.
Lorsqu'il me vit, son sourire s'accentua encore un peu plus.

Ren:

« Amaya ! Quelle bonne surprise. Désolée ma grande mais tu connais les horaires, nous allons fermés. »

Il y avait, en plus de Ren le cuisto, un autre commis de cuisine et une serveuse qui s'affairaient à leur tâche.

« Salut Ren ! Ouais je le sais bien mais je ne suis pas venue pour ça. »

Aussitôt, je désignais ma jeune accompagnatrice cornue du regard.

« Je te présente Sora. Elle adore la nourriture et aimerait bien apprendre a cuisiner. Tu penses que tu pourrais la garder près de tes fourneaux pour lui montrer comment ça marche ? Elle pourrait même t'être utile ? »

Je ne lui demandais pas d'en faire son employée mais de devenir son mentor.

« Tout le monde sait que tu es le roi des brochettes et de la friture ! Elle apprendra vite. »

Le cuisto observa la jeune femme, souillon dans ses fringues, fallait bien le dire. Peut être que c'était d'ailleurs en comprenant sa situation qu'il ré-afficha un sourire après l'avoir perdu quelques instants.

« Sora ? Tu penses que tu saurais cuisinier pour les autres sans tout engloutir toi même ? On ferme d'ici vingt minutes. Viens. Passes de l'autre côté du comptoir. Tu vas m'aider a terminer la dernière commande. »

L'odeur de viande grillée et panée englobait l'endroit, ça me rappelait des souvenirs. Dès lors que Sora fut appelée a aider en cuisine,  je m'installais sur un tabouret pour regarder la demoiselle à l'oeuvre, sous les directives du chef cuisinier.

HRP:

Je regardais la gamine s'extasier sur la moindre chose, comme ci elle réalisait l'un de ses plus grands rêves. Moi qui avait tendance a me montrer indifférente à ce genre de chose, je devais bien avouer que la situation m'étira un léger sourire de satisfaction. Sora n'avait sans doute jamais réellement accomplie quelque chose pour elle même. De ce qu'elle m'avait dit sur sa vie, elle avait surtout eu l'air d'être au service des autres sans jamais avoir vraiment son mot a dire sur ce qu'elle voulait vraiment. Alors même si je ne pouvais pas grand chose pour elle, pouvoir contribuer à ce petit bonheur fugace probablement marquant pour elle suffisait a refaire ma soirée.
Ren aussi avait l'air amusé par la situation, il semblait apprécier l'implication de la gamine alors, quand celle ci parla de réaliser un plat pour moi, pour me remercier, même s'ils étaient censés fermer il accepta avec le sourire. Je n'avais pas vraiment faim mais je n'allais pas la tacler dans sa lancée, je l'observai donc en silence pendant que le restaurant se vidait, ne laissant finalement plus que nous à l'intérieur.

« Tu vois, je t'avais dit qu'elle apprendrait vite. »

« Elle est dynamique cette petite ! C'est une esprit vif comme ça qu'il faudrait pour raviver ce resto', pas celle d'un vieux qui fait ce qu'il peut pour être encore dans le coup ! »

« Personne ne devinerait ton âge Ren. »

« Mais toi tu sais ! »

« Et alors ? T'en fais dix de moins. »

« Amaya qui me flatte ? Cette soirée n'est définitivement pas comme les autres ! »

Tss... Vrai que quand je bossais là, on passait surtout notre temps a nous crier dessus en demandant a l'un d’accélérer quand le second répliquait que c'était l'autre qui traînait sa carcasse.

Finalement, après quelques poignées de minutes j'étais servie. Un plat chic et super pimenté qui me ferait probablement passer une sale nuit : tu parles d'un remerciement.

« Surveilles ton langage »

Demandai-je à Sora dans un léger sourire, tout en la pointant avec mes baguettes.

« Je te préviens : je ne finirais pas tout. Je n'aime pas les trucs extra pimenté. »

Je feignais l'ignorance en regardant la gamine.

« Faut dire que tu ne m'as pas demandé si j'aimais ça. C'est pour ça que d'habitude c'est le client qui choisi ce qu'il mange, au moins on est certains que ça lui plaira. »

Eh oui ! Si elle s'était montrée sacrément dynamique et – un peu trop – à fond dans son rôle de petit chef, elle en avait oublié de se concerter avec sa cliente, moi.
Je soufflai sur la nourriture et en avalai une bouchée tout en plissant les yeux tant pour la chaleur du plat que pour son caractère épicé.

« C'est trop épicé pour moi. Tiens, je te le laisse. »

En vrai c'était supportable, j'aurais pu le manger au prix de sueurs froides, mais elle n'avait rien mangé a part des chips au bar et vu comment elle les avaient engloutie, c'était certainement le seul truc qu'elle avait mangé depuis un moment. Je lui laissais donc ma part, qu'elle avait elle même cuisiné.

« Si le bar était a moi je t'aurais ptet proposé un truc pour que tu puisses servir des brochettes là bas, mais ce n'est pas le cas. Va falloir redescendre les pieds sur terre. T'en penses quoi Ren ? »

Le Chef cuisto s'occupait de manger son propre plat, le sourire aux lettres et de la buée sur les lunettes.

« Tu restes longtemps dans le coin Sora ? Tu pourrais revenir travailler certains jours. Si tu bosses bien je te paierais. »

En voilà une proposition intéressante.
Quoi qu'il en soit il était temps de partir, tous les autres employés avaient mis les voiles après avoir nettoyé l'endroit.
Sora allait-elle enfin faire ses propres choix ?

Sora avait une conception bien a elle du business. Improviser des repas sans réelles cartes pour les clients servis au gré de son humeur, du consistant bien salé au bar pour donner faim... Il y avait de l'idée là dedans mais c'était un concept qui ne datait pas d'hier. Pourquoi la plupart des bars proposent des plateaux de fromages et de charcuteries ? Pour donner soif bien sûr. Consomme, consomme toujours un peu plus sans même t'en rendre compte et aimer ça : c'était là tout le moteur des commerciaux.
M'enfin, malgré son idée un peu trop idéalisé elle s'était amusée et Ren était ok pour la revoir donc c'était plutôt positif.

Alors que l'on quittait enfin le restaurant, marchant dans les rues fraîches et désertes – ou presque – de Konoha, la gamine des rues repartait dans son délire de grandeur en s'en prenant cette fois ci à ma « méchante patronne qui décide à ma place ». L'idée me fit étirer un sourire avant qu'elle ne se mette a utiliser du chakra et lever une légère bourrasque en pleine rue, là mes yeux s'écarquillèrent un instant tandis que j'attrapai ses poignets presque par réflexe.

«  Qu'est-ce que tu fous ?! N'utilises pas ton chakra au beau milieu du village ! Tu veux que les gardes débarquent ? »

Puis comprenant qu'elle n'avait sans doute pas mesurer son erreur et que y'avait pas mort d'homme, je me détendis, la relâchant et soupirant avant de m'attraper une clope que j'allumais.
Après la première volute de fumée expirée, je repris plus calmement, retrouvant même mon sourire précédent.

« Tu sais Sora, un patron c'est un patron. C'est lui qui décide et il te paye en échange des ordres ou des tâches – appelle ça comme tu veux – que t'exécutes. Mais j'men fous. Je n'ai aucune intention de devenir patronne. »

Je tirai une taffe supplémentaire.

« Les responsabilités très peu pour moi. »

J'avais assez donné avec ça. Je préférais vivre ma vie tranquille sans réelles obligations : c'était ça la vraie vie à mon sens.
Je tentais de l'expliquer à Sora.

« Quand on est patron on a pleins de trucs a gérer et de comptes a rendre. La paperasse et les emmerdes ce n'est pas trop mon truc. »

Et qu'est-ce que j'allais faire alors ? Rester serveuse toute ma vie ? Sans doute pas non. J'avais besoin de bouger. Je ne tenais pas en place. D'ailleurs le nombre de boulot différents que j'avais fait en était la preuve. Je me lassais vite et dès que ça me saoulais je me barrais. J'en avais rien a foutre de risquer de ne plus avoir de thune et me retrouver à la rue au final : je connaissais bien le milieu. C'était chiant mais avec toutes les ficelles en main ce n'était pas insurmontable. Pourtant ce n'était pas vraiment ce qui me bottait. Ça renvoyait au passé, encore, et j'en avais ras le cul de me morfondre là dessus sans réussir a avancer comme je le voudrais.

«  On s'en fout du passé ! C'est vers l'avenir qu'il faut se tourner ! »

Je venais vraiment de le dire tout haut ? …
Au moins Sora avait ptet l'air paumée dans sa vie mais elle envisageait le futur avec bien plus de facilité, alors qu'elle en avait sans doute encore plus bavé que moi. Elle avait l'air de s'en cogner complètement de son passé, du moins en apparence.
Et moi ? Qu'est-ce que je foutais bordel ? Arrêtes de te morfondre si tu veux avancer, connasse ! C'est pour ça que tu stagnes ! A cause de ces foutus moments émotions à la con ! Parfois je me dis que j'aurais préféré que ma cervelle se fasse déglinguée ce jour là. Pour refouler tout ça, ne plus avoir a y penser, ou simplement juste pour disparaître avec eux...

« Désolée Sora. Faut que je rentre. Je suis crevée. Passe au bar une prochaine fois si tu veux, pour me donner des nouvelles. C'était sympa de te rencontrer. »

J'avais passé toute la soirée a essayer d'aider cette gamine que je ne connaissais même pas quelques heures plus tôt et voilà que c'était moi qui vrillait... Super Ama, tu gères comme une cheffe...

La remarque de Sora me fit sourire malgré moi, soulignant un peu plus son innocence ou en tout cas sa « non éducation ».

« Tu me demandes de voler ? De faire un casse pour vivre tranquille ? … Sora... Je veux gagner ma vie honnêtement. Être dans le droit chemin ça te dit quelque chose ? Tout ce que tu risques a faire des magouilles c'est de finir en taule ou pire. »

J'avais déjà volé et même blessé pour obtenir a bouffer ou de la thune mais c'était par nécessité, parce que j'étais une gamine des rues qui ne pouvaient rien faire d'autre ou qui, en tout cas, le pensait. Je ne voulais pas lui dire que j'étais justement du côté où je faisais régner la loi avec mon implication passée dans l'armée et maintenant mes missions d'espionnages et assassinats envers les ordures. Mais voilà...

« Qui est Oba ? »

Je rebondis tout en cherchant a poser le sujet ailleurs.
A son ton je n'arrivais pas a déterminer si elle parlait vraiment d'une petite mamie qui lui aurait donner des conseils bienveillants ou si c'était tout le contraire. Mais la suite de son discours me pris complètement au dépourvu. Je ne m'attendais pas à ce genre de question, la réponse étant pourtant aussi simple que possible :

« Merci pour les compliments mais non, je suis seule et c'est mieux comme ça. »

C'était déjà le bordel dans ma tête, ce n'était pas pour y ajouter des emmerdes qui ne m'appartenaient même pas. Le plaisir pour le plaisir : il n'y avait que ça de vrai. Sans prise de tête.

« Mais tu m'as l'air plutôt bien renseigné. Tu as un petit copain toi ? »

Je voulais simplement la taquiner et voir sa réaction même si je ne m'attendais pas à la voir rougir non plus comme le ferait pourtant la plupart des gamines de son âge.

J’peux t’accompagner jusqu’à chez toi, s’tu veux. C’pas comme si j’avais quelque part où dormir…

Elle savait y faire la ptite.

« … Si tu veux. Mais seulement pour cette nuit. J'suis pas une auberge. »

**************************

Il ne nous fallut pas plus de dix minutes pour arriver à mon appartement, non loin du centre ville. La résidence laissait paraître sa construction récente et un certain cachet. Ce n'était pas le grand luxe non plus mais ça avait le mérite d'être propre et entretenu.
Un jeu de clé, deux volées d'escaliers et nous voilà devant la porte de mon appartement.
A l'intérieur, cela paraissait aussi plutôt confortable. Peut être même un peu trop pour une simple serveuse. Rien qui n'était hors de prix mais la plupart du mobilier était neuf et le tout paraissait bien cosy.

Dans le salon se trouvait un canapé en simili-cuir blanc, derrière une table basse en verre reposant elle même sur un tapis gris si pelucheux qu'il donnait presque envie de se vautrer dessus. Derrière se trouvait une cuisine ouverte pas bien grande mais fonctionnelle avec son comptoir et ses chaises de bars qui ne me dépaysaient pas du boulot. Une partie de la cuisine était d'ailleurs séparée du salon par quelques panneaux de verres.
Le reste de la déco était sommaire voir absente mais ça n'empêchait pas l'aspect épuré digne d'une vitrine en magasin.  
Il y avait aussi deux autres portes fermées dans le salon.

J'entrai en retirant mes chaussures dans le sas et déposai mes affaires du boulot sur le comptoir de la cuisine.

« Fais comme chez toi. Tu veux boire un truc ? »

Au bout du salon se trouvait un balcon qui donnait une vue sympa sur le village, même si, à cette heure ce n'était pas le meilleur moment pour en profiter.  

« Si tu veux te doucher, la salle de bain est là bas. »

Je pointais du doigt la porte fermée face au canapé.
Est-ce qu'elle avait seulement le luxe de pouvoir prendre une douche régulièrement ?
Si je faisais en sorte qu'elle se sente bien elle n'allait plus vouloir partir , c'était le piège, mais en même temps je ne pouvais pas vraiment la laisser dans sa merde non plus. Et puis... ça me faisait bizarre et aussi du bien de voir quelqu'un d'autre dans l'appart'.
La laissant découvrir et prendre ses aises, je m'affairai dans la cuisine pour nous servir un truc a boire que j'apportai ensuite au salon, sur la table basse, avant de m'affaler dans mon canapé.

« Et toi ? Tu ne voudrais pas un toit fixe au dessus de la tête ? Un endroit qui soit vraiment chez toi ? »

Oba était donc un bon gars qui s'était occupé d'elle ou qui, en tout cas, avait pris un coup de couteau à sa place. Vu comment elle le disait je supposais que le type en était mort. Ça faisait sans doute parti de la liste interminable de trucs dégueulasses que la vie avait mis sur la route de Sora. Voir qu'on était si nombreux à en chier ou à en avoir bavé ça me débectait. Quelle chienne de vie.

Devant le confort de mon appart et mes questions, la jeune femme se sentait perdue. Tout ça lui paraissait bizarre. Tout, ou presque, devait lui être inconnu. J'avais connu ça aussi. Elle avait raison. Ce n'était la misère que pour ceux qui ne savait pas en apprécier les subtilités. Moi aussi je me lavais dans les rivières et parfois même dans les flaques d'eau étant gamine. C'était crade. C'était misérable. Mais à l'époque ça me suffisait. Je n'avais que ça alors je faisais avec. C'était la norme.
Dans l'armée aussi j'avais connu des situations pourries où je devais clairement me contenter de ce qu'on mon donnait et ce qui s'offrait à moi, mais je n'en étais pas malheureuse : c'était comme ça. Pourtant, aujourd'hui, alors que je tentais de renier mon passé et tout le mal qu'il m'avait fait, je n'arrivais plus a m'imaginer me passer de ce confort « basique » aux yeux de beaucoup et indispensable. Parce que repenser à tout ça c'était replonger dans ces années sombres dont je ne voulais plus entendre parler. Je n'y avais pas vécu que des mauvais moments, loin de là, mais il y avait cette période où j'avais tout perdu qui m'avait fait détester tout le reste et qui me poussait a éviter à tout prix cette situation de nouveau.
La fuite. C'était ça qui me permettait d'aller de l'avant.

« Les gens s'occupent autrement. Avant ils avaient besoin d'aller chercher de l'eau, de chasser pour trouver leur nourriture mais aujourd'hui ce n'est plus le cas. Ils s'occupent en s'entraînant, en lisant, en se promenant... que des trucs pour eux mêmes et pour décompresser de leur boulot. »

Peut-être que les Hommes n'étaient pas fait pour cette routine... Plus je m'obstinais a vivre « normalement » pour la première fois de ma vie, plus je me disais que c'était finalement assez ennuyant, pour ne pas dire chiant. J'avais besoin de bouger, de voir du monde, de faire évoluer les choses.

La soirée se passa tranquillement et la nuit aussi. Enfin presque. Mes dons de senseurs me tenaient toujours en éveil d'une manière ou d'une autre, toujours à l'affût. C'est pourquoi j'entendis distinctement un bruit de grattement dans la cuisine. Depuis le fond de mon lit, j'écoutais sans bouger ce son irrégulier que je savais appartenir à Sora, la laissant faire ce qu'elle voulait sans l'interrompre.
Le lendemain matin, j'eus la « surprise » de voir un petit déjeuner déjà dressé et surtout un petit dessin gravé sur ma table en bois : une représentation de la tête de Sora. Ça m'arrachait un sourire. C'était sa façon de me dire merci.
Je n'avais même pas eu la possibilité de faire pareil...

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