Si l’intention était claire et la détermination affirmée, Kyôaku n’ignorait pas que rien ne serait facile dans cette quête personnelle, et que du temps s’écoulerait sans doute avant qu’il ne soit capable d’accomplir ce qu’il considérait désormais comme sa destinée. La douleur demeurait forte, lui retournant le cœur à chaque fois qu’il pensait à sa promise perdue. Ce qui voulait donc dire qu’elle était omniprésente, l’accompagnant en chaque instant. Le Kaerichi l’avait tant aimée que le Satsubatsu ne se permettrait jamais de l’oublier, son esprit y revenant sans cesse malgré la peine et la souffrance, comme l’on ne peut s’empêcher de passer la langue sur un aphte ou une dent douloureuse, ou de gratter une plaie en train de cicatriser.

Ainsi s’était-il fait le projet de quitter Gekido, donc. De rejoindre Asanagi, espérant pouvoir vérifier ses pistes en la capitale. Ce qu’il avait n’était que maigre et flou. Quelques paroles retenues à la volée, indications futiles sans doute. Mais n’ayant rien d’autre, Kyôaku était bien obligé de s’y raccrocher de toutes ses forces ! Ce ne serait sans doute pas si simple, oui. Et que ferait-il même s’il parvenait à dénicher aussi vite les coupables, sinon se suicider et mettre un terme à ses souffrances sans avoir accompli sa vengeance ? Il a bien vu sa faiblesse. Il a bien vu son incapacité à protéger sa bien-aimée. Elle-même, bien plus forte que lui, avait péri… Le chemin sera long, et il n’est pas question là de kilomètres à parcourir, bien qu’il y en aura de bien nombreux à venir certainement. Et lui d’en maudire bien sûr ces années d’oisiveté. Tout ce temps perdu à louer la paix qui rendait les arts shinobi caduques. Tout ce temps à trouver là que ce n’était qu’un jeu dangereux, et qu’il valait mieux profiter de la vie.
Jouer de la flûte.
Rêver.
Aimer.

Cela parvient à lui arracher un léger sourire bien qu’amer, le regard porté au large, se tenant au bastingage du bateau marchand à bord duquel il était parvenu à embarquer. Cela avait été une âpre négociation pour lui qui avait peu de moyens, ayant juste récolté quelques pièces en jouant ça et là de sa flûte en os sculpté. Proche de la mendicité, lui qui avait toujours été porter du certaine dignité, mais « il faut ce qu’il faut », comme on dit, ou encore « l’on n’a rien sans rien ». Rien qu’à se formuler ces expressions il se sentait prendre vingt ans de plus, mais cette philosophie lui permettait au moins de voir cet aspect des choses un peu plus positivement, ainsi que de rester focalisé sur son ultime objectif. Son sourire s’efface doucement, la parenthèse terminée. Non, cette vie n’avait pas été vaine. Justement parce qu’il avait aimé, et aimé en retour. Et pour avoir eu la chance de connaître cela, il se devait bien de tout sacrifier à présent pour faire honneur à sa chère et tendre Hatsu.

Et cela commence par son confort, bien entendu. S’il a pu négocier sa traversée à bord de ce bateau qui n’avait pourtant pas vocation à transporter des voyageurs, cela avait été au prix d’une compensation financière – la quasi totalité de ce qu’il avait y étant passé – ainsi que des conditions dépourvues de commodités, bien entendu. Lorsqu’il serait parvenu à destination, il serait bien temps de se demander comment subvenir à ses besoins. Il pourrait tenter de grappiller quelques pièces en échange de quelques douces mélodies à nouveau. Et tenterait de chasser s’il en avait l’occasion. Pas particulièrement doué pour la traque et la chasse, il disposait tout de même de certaines aptitudes opportunistes qui lui garantiraient à minima de ne pas mourir de faim.

Toutefois, il lui manque tant de dormir dans un vrai lit, il n’irait pas prétendre le contraire. Kyô n’en avait plus eu l’occasion depuis… depuis qu’elle était partie. Depuis qu’elle lui avait été enlevée. À la réflexion, c’était très bien ainsi. Ce serait une honte de reposer en une couche douillette alors qu’elle dormait à jamais sous terre. Ses lèvres se pincent en une brève grimace. Puis se détendent doucement, comme il y porte son instrument pour jouer quelques notes...