Intimidé par la structure, Akuhei restait à l’extérieur du bâtiment qu’il contemplait avec curiosité. Lui qui avait connu essentiellement les souterrains du complexe, des architectures en plein air le laissaient toujours abasourdi. Il avait conscience que cette curiosité devait paraître ridicule pour ceux ayant toujours vécu à la surface. Si ses lectures étaient nombreuses, elles ne l’avaient jamais amené à s’intéresser à ce domaine. Une lacune qu’il s’évertuerait de combler. Pour ça, leur bibliothèque lui manquait. Il aurait sûrement l’occasion d’en trouver une ici mais pour l’heure, c’était une affaire d’un tout autre ordre qui l’attendait.

Il avait dû réunir tout son courage pour se présenter ici. Lui qui n’était là que depuis quelques jours, accompagnés par sa famille insolite. Le village en avait déjà fait beaucoup pour eux alors qu’ils n’étaient vus que comme des étrangers. Le talent de sa sœur, ainsi que le sien indirectement, avait dû faire pencher la balance. Akuhei n’avait pas encore mis un pied chez le reste de son clan natal. Par peur de l’accueil ou d’apprendre certaines vérités ? Il ne savait l’expliquer mais ne comptait pas abandonner ce projet. Il lui restait celui-ci à régler avant toute chose. Cette fois il avait trop attendu.

Il s’avança d’un bon pas pour finalement entrer dans le bâtiment qu’il avait contemplé plus que de raison. Sûrement inconsciemment pour retarder le moment. Il fut naturellement reçu par des hommes armés discrètement. Inutile de porter toute une quincaillerie rutilante dans un monde où de simples humains sont capables de courir sur l’eau et marcher sur des arbres. Leur attitude n’était cependant pas aussi décontractée. Encore inconnu au bataillon, il devrait présenter patte blanche.

- Navré de vous déranger. Je me présente : Itsuru Akuhei. Je voulais savoir s’il était possible de m’entretenir avec la Kazekage.

Son nom laissa les gardes dubitatifs. Il ne présentait pas l’apparence escomptée de ses confrères claniques. Comprenant le souci, Akuhei fit un lent mouvement pour se débarrasser du large manteau qui tombait jusqu’à ses pieds. Ce dernier était censé dissimuler ses tentacules de la vue de tous. Lorsque les quatre appendices métalliques apparurent, l’un de ses hôtes partit se renseigner, laissant son collègue aux bons soins du docteur Akuhei.

Akuhei attendait patiemment en gardant en tête qu’il pouvait à tout moment se faire renvoyer chez lui. Après tout il se présentait ainsi sans rendez-vous préalable. Un instant il se maudit de ne pas y avoir songé avant. Une personnalité du village n’aurait pas de temps à perdre avec ça. Il se serait volontiers éclipsé s’il n’était pas épié par le garde resté à ses côtés. Puis l’autre se serait déplacé sans raison. Il n’allait pas faire marche arrière maintenant qu’il était là. Prenant son mal en patience, ils attendirent que l’émissaire revienne. Malgré une mine déconfite, il fit signe que le docteur avait l’autorisation d’avoir une audience auprès de la Kazekage. Akuhei fut surpris mais emboîta le pas à son guide. Il fut abandonné néanmoins à un couloir où il lui fut indiqué la première porte à droite.

Circonspect, l’Octopus poursuivit sa route jusqu’à la porte qui était entrouverte. A peine se présenta-t-il dans l’entre brasure qu’il fut convié à rentrer d’une manière plus familière qu’il s’y attendait. Il fut même affublé d’une remarque sur sa carrure et son aspect. Difficile de savoir si c’était un compliment. En guise de quoi, Akuhei salua d’un signe de tête respectueux et entra dans la pièce. N’ayant pas reçu plus d’invitation, que ce soit pour s’asseoir ou autre, il préféra jouer cartes sur table étant donné l’accueil qu’il avait reçu. Si son caractère semblait atypique, il valait mieux s’y adapter. Se raclant un peu la gorge, il entama :

- Merci de me recevoir ainsi à l’improviste sans rendez-vous préalable Kazekage. Je suis Itsuru Akuhei, nouvellement Chûnin au sein de votre village. Vous avez accepté de nous héberger, mes frères et moi, lorsque nous nous sommes présentés à vos portes il y a peu. Et je tenais à vous en remercier personnellement.

Un peu plus à l’aise maintenant qu’il était lancé, il eut un rapide coup d’œil sur la décoration intérieure et les éléments composant cette pièce à l’allure banale et où pourtant tant de décisions importantes pouvaient être prises. Contraste intéressant. Il ne perdit pas plus de temps sans quoi son interlocutrice allait penser qu’il s’était présenté uniquement pour ça. Ce qui représenterait une perte de temps conséquente pour elle, comme pour lui. Faisant un pas timide, il s’évertua à ne pas trop déployer ses tentacules par peur d’abîmer ou de faire tomber quelque chose. Il n’était pas habitué à ces nouveaux lieux et devait constamment faire attention à où il « rangeait » ses appendices métalliques.

- Néanmoins je ne me permettrais pas de vous déranger pour si peu. Si je suis devant vous aujourd’hui c’est pour vous proposer bien plus qu’un simple remerciement. Je possède des compétences innées, dit-il en présentant d’une main les tentacules qui le suivaient, et un savoir médical que je souhaiterais mettre à votre disposition. Que ce soit à l’hôpital ou dans un lieu dédié à ça, je pense que mes capacités pourraient aider civils comme shinobis, et par extension vous.

Le cadre très informel jusque-là planté se confirmait. Akuhei se perdait en politesses et en manières pour se conformer à ce qui se disait du système hiérarchique shinobi. Rien qu’à voir la réaction de son guide arrêté plus loin dans le couloir, il s’était attendu à un tyran derrière la porte. Le terme approprié serait plutôt : décalée. On pourrait croire à cette attitude et ce langage désinvoltes que rien ne pouvait entacher la légèreté de cette femme. Une idée reçue que son regard aurait démenti lorsqu’elle écoutait le scientifique parler. Très fugace mais bien présent. L’esprit vif de quelqu’un à l’écoute.

Lorsqu’il eut finit, la Tegami reprit la parole avec cette absence de gêne qui semblait récurrente. Ce qui ne l’empêchait pas d’analyser les propos de l’autre avec pertinence. Après une remise en place sur ces fameuses capacités, une petite complainte sur ses bijoux la faisant souffrir, elle finit par sortir un document qu’elle lui présenta. L’invité observa d’un œil attentif l’étendue de papier qui réclamait quelques informations personnelles avant de déclarer officiellement que la personne renseignée pouvait occuper un poste au sein de l’hôpital. Selon les propos de la Kazekage, ils avaient besoin de personnel. Ça tombait bien.

Comme si la pique n’était pas assez, elle renchaîna avec une forme de menace. Inutile au vu du caractère du docteur qui n’était là que pour apporter son aide. Il comprenait néanmoins cette méfiance et cet avertissement oral. Un pas de travers pourrait mener à quelque chose de plus concret, mais surtout plus amer. Si elle avait jusque-là fait preuve de franc-parler, c’était le seul instant où Akuhei crut discerner qu’il ne s’agissait pas de simples mots pour impressionner. L’idée n’était même pas née dans son esprit qu’elle était préalablement étouffée et enterrée. Alors que l’hôtesse s’interrogeait sur d’autres raisons de sa présence, l’héréditaire Itsuru s’empressa d’enchaîner.

- Je vous remercie de m’accorder votre confiance. Vous ne le regretterez pas, assura-t-il. C’était notamment pour ça que je tenais à mettre mes capacités à votre service. Vous l’avez souligné je suis loin d’être une perle rare ici mais j’ai bon espoir que mon savoir combiné puisse vous apporter beaucoup.

Un de ses tentacules s’éleva au niveau de son visage. Un regard de ce côté comme pour se donner du courage, Akuhei leva sa paume vers cet appendice synthétique comme pour un exposé.

- J’ai « hérité » de ces outils après un accident qui aurait dû me laisser incapable d’utiliser mes mains. Si le travail réclamé pour pouvoir surpasser ce diagnostic a été important, il m’a amené à réfléchir sur quelque chose que je souhaiterais apporter. La possibilité de travailler auprès de personnes amputées ou estropiées. Avec votre accord bien sûr, j’aimerais les aider à surmonter leur handicap et à, pourquoi pas, leur offrir une nouvelle chance. En travaillant de concert avec d’autres membres du clan, je pense que nous pourrions rendre leur motricité à des personnes ayant depuis longtemps abandonné l’idée.

Rassuré de voir que son discours était entendu, Akuhei pouvait apparemment compter sur le soutien de cette personne haute en couleurs qui n’était autre que la supérieure hiérarchique la plus haut placée du village. Quand il y repensait, il était cocasse de placer quelqu’un d’aussi décalé. Mais si elle se trouvait là, c’était qu’il devait y avoir une raison, ou plusieurs. Malgré le soupir qui se dégagea de la nonchalante, elle s’investissait dans la discussion, semblant même d’accord avec son point de vue.

Elle commençait à poser les bonnes questions, signe que le projet lui parlait et qu’elle avait l’envie de le soutenir. Tout pouvait s’arrêter si ses réponses n’étaient pas soigneusement choisies. Heureusement, l’Octopus avait prévu ce comportement et s’était mentalement préparé à un bon nombre de questions logistiques. La Kazekage en abordait ici les premières auxquelles il s’était attendu. Satisfait d’avoir préparé avec soin cet entretien, il était de suite plus à l’aise qu’à son arrivée. Et ravi de pouvoir partager sa vision de demain avec cette influence du village.

- Tout ceci va demander des moyens considérables en effet, d’où ma candidature en tant que médecin. J’ai ouï dire que les salaires sont conséquents. Dès que je serais sûr que ma famille est à l’abri du besoin, et que nous aurons trouvé un logement décent, l’argent qui ira de côté sera pour ce lieu. Il faudra des moyens technologiques et humains, j’en ai conscience. Il paraît impensable de baser un tel complexe à l’hôpital aussi je guetterais avec attention si un local se libère ou si vous en avez connaissance aussi d’ailleurs.

Liées forcément à son mental, les tentacules semblaient réagir à son gain de confiance et de motivation. Ce qui n’avait été qu’une idée germant au plus profond des souterrains du centre de formation du Kagirinai devenait un projet quasi consistant. Les appendices métalliques s’étaient légèrement redressés. Comme quelqu’un sortant la tête des épaules après avoir bravé une timidité contraignante. Bien sûr son interlocutrice s’interrogea sur ce qu’elle devrait apporter à ce projet. Là aussi, Akuhei s’était attendu à ce genre de questions. Toujours serein, il déclara :

- Pour le moment, je ne voudrais pas abuser de votre bonté. Je viens seulement d’arriver à Suna et je ne fais que débuter mon intégration. Je tiens d’abord à m’investir au sein de l’hôpital avant de procéder à l’édification de ces locaux. Quand j’aurais trouvé le lieu adéquat, peut-être reviendrais-je vous voir pour réclamer. Mais partez du principe qu’à l’instant t, je ne vous demande rien de plus que votre autorisation.

De telles manœuvres pouvaient sembler inhumaines, voire contrenature. Akuhei avait vécu un enfer qu’il ne souhaitait à personne, excepté à l’auteur de ce mal. Si son savoir pouvait apporter un nouvel espoir dans le cœur d’innocents, il ne comptait pas abandonner l’idée. Il défendrait ce projet corps et âme comme il le ferait avec sa famille.

Les propos du médecin étaient accompagnés par le grattement de la plume sur le papier. Le fait que la Kazekage prenne cette peine de prendre des notes rassurait un peu plus l’Itsuru dans son initiative. Il s’en trouvait presque ridicule d’avoir ainsi hésité plus tôt. Venu de nulle part, armé seulement de ses mots et de ses idées, il se retrouvait à parler concrètement de l’avenir avec la responsable du village. C’était donc ça de prospérer dans une communauté où le dirigeant n’est pas un tyran mystérieux aux desseins obscurs ?

La Kazekage restait pragmatique comme auparavant lorsqu’elle avait évoqué le financement. Elle n’était pas aveugle et ne devait pas se faire duper facilement par des personnes mal intentionnées. Akuhei n’en faisait pas partie et elle le traitait comme tout un chacun en se questionnant sur les bonnes choses. Obtempérer à chaque requête ferait sombrer le village, il fallait être objectif et éclairé. Elle brisa les espoirs de l’homme-pieuvre en doutant définitivement de la possibilité d’auto-financement. Cependant elle avait profité de son laïus pour rédiger un contrat. Ce qui lui permettrait de se souvenir de leur conversation et qu’ils tiennent tous deux parole. Excité à l’idée de coucher ce rêve impalpable sur papier, Akuhei prit la plume et apposa sa signature, le regard chargé d’espoir et de gratitude.

- Je ferais au mieux, je vous remercie. Je ne manquerais pas de vous tenir informé de l’avancée du projet dans tous les cas. Même si la chose est entendue il serait normal que vous ayez des retours.

Akuhei n’allait pas la déranger chaque fois qu’un nouvel élément entrerait en jeu mais il s’engageait implicitement à lui faire un rapport lorsque plusieurs éléments seraient réunis et mériteraient son attention. Il savait de toute façon que cette idée ne naîtrait pas avant un moment. Elle passerait d’abord par son investissement assidu à l’hôpital.

Non seulement de se montrer réceptive à son projet, elle le renseigna sur les possibilités de logement en ville. Il y avait des endroits qui devaient être libres et qui ne demandaient qu’à être visité. Il faudrait se renseigner. Elle apposa la condition qu’elle ne désirait pas voir une secte se former. D’un geste vif de tous ses bras, Akuhei lui fit comprendre qu’ils étaient bien loin de tout ça. Pour finir par lui annoncer qu’elle allait prospecter pour trouver des candidats à la tâche. Autant d’investissement toucha le scientifique qui s’inclina très bas pour témoigner de sa gratitude.

- Je vous remercie infiniment pour votre accueil et votre aide. Vous ne le regretterez pas.

Akuhei comptait bien poser une pierre à l’édifice. Il n’avait pas l’assurance d’avant mais il gardait cette volonté de participer à la création de quelque chose de bien plus important que lui-même. Kagirinai avait vu ses premiers pas, il était temps que Suna profite de cette valeur qui le caractérisait.

Sans perdre plus de temps, Akuhei prit congé comme la maîtresse des lieux le demandait. Il ne manqua pas également de ne pas refermer la porte, toujours selon la directive de sa supérieure. Ravi de la tournure de cet entretien, c’était un médecin différent qui quitta le bâtiment. Il avait assez d’assurance pour même adresser un salut un peu moins orthodoxe aux gardes avant de se retrouver dehors. En dépit de la lourdeur de l’air, il en inspira une grande goulée avant de se diriger vers le centre-ville.

Son pas et ses épaules avaient maintenant le mérite d’être plus légers. Il parvenait enfin à discerner un avenir dans ce village. La fratrie avait atterri ici pour retrouver la piste de leur géniteur commun. Mais Akuhei avait le rêve fou que cette halte supposée devienne un foyer agréable. Ils en avaient suffisamment vu et méritaient de pouvoir construire quelque chose de positif à partir de leurs décombres personnels. C’était une pression supplémentaire qu’il se mettait mais dans laquelle il souhaitait s’investir. Cet entretien, cette place à l’hôpital, ce projet. Tout cela n’était pas dans un simple but égoïste. Il souhaitait mettre tout en œuvre pour mettre sa famille à l’abri.

Son intégration à Suna était la première marche, que ce soit par l’armée ou le civil. Il se présenterait à l’hôpital plus tard. Pour l’heure, une autre préoccupation lui venait. Sa priorité numéro une le poussa dans des quartiers résidentiels où il n’était pas rare de croiser quelques bâtisses à l’allure abandonnée. Il avait déjà fait un tour ici il y a quelques jours, sans grand espoir. Une marche de la honte pour se faire mal, ou se pousser à aller plus loin. Ce qui semblait avoir marché. Il arriva dans un quartier où une maisonnée un peu plus grande que les autres ne payait pas de mine mais ne semblait pas aussi modeste qu’elle n’y paraissait.

Lorsqu’il la retrouva, il fut heureux de revoir cet individu qu’il avait croisé la première fois. un homme sous un porche en pierre, à côté, qui observait les allers-venues. Akuhei, plein d’entrain, se dirigea vers lui pour l’alpaguer poliment.

- Bonjour monsieur. Pardonnez-moi de vous déranger mais vous semblez être habitué du coin et j’ai cru voir que cette maison est abandonnée. En sauriez-vous plus ?

S’ensuivit une discussion de plusieurs heures, durant laquelle le médecin mania politesses et arguments pour amener son interlocuteur à ce qu’il désirait. Il finit par obtenir l’identité d’un gérant en charge de la bâtisse. Poursuivant sa tournée, l’Itsuru se retrouva en fin de journée avec des jambes en compote, des poumons brûlant et des épaules s’affaissant à un rythme régulier. Le tout assis par terre. Sur le plancher de ce qui allait être leur nouvelle maison.