« Oh quelle conne … mais quelle conne … mais quelle conne ! »

Ce fut ma première réaction au moment de me rendre compte que mon avant-bras droit pouvait à présent se plier au milieu sans la moindre articulation. Sûr, il y avait un problème. Une manieuse d’os qui se casse un os, meilleure blague de l’année ! Pourtant je l’avais dit qu’il me fallait un nouveau matériel, des nouvelles missions plus généreuses en récompense pour avoir les moyens de moderniser tout ça … Le sac de frappe qui pendait au mieux de ma chambre réaménagée en salle de sport du pauvre, était tellement usé que le cuir devenait tranchant et obligeait à frapper autrement pour se pas se couper sans arrêt. Sauf que forcément ce qui due arriver arriva … Et me voilà assise sur mon lit, me tenant le bras tordu avec l’autre encore intact. Curieusement je ne ressentais aucune douleur. Des picotements oui, et l’incapacité de bouger les doigts ni le poignet, mais aucune douleur. Se renseigner sur une technique médicale, au moins pour parer à ce genre de problème, voilà ce qui me manquait.
Mais pour l’heure il fallait trouver quelqu’un ayant ces compétences. Non sans difficulté je me saucissonnai le bras blessé sous la poitrine, histoire que les deux se tiennent mutuellement compagnie et limite les mouvements. Puis j’enfilai une chemise noire, un bras dans une manche, l’autre simplement posée sur l’épaule. Le leggin de sport suffira amplement pour aujourd’hui.

« Aie aie-aie-aie oula ! Ouh là ça fait mal … »

Je venais de tendre le buste et le bras pour attraper mon porte-monnaie, et visiblement c’était la torsion de trop. Il me fallut rester plusieurs dizaines de secondes parfaitement immobile, le temps que la douleur s’arrête, pour à nouveau pouvoir faire le moindre mouvement.
Lorsque ce fut à nouveau supportable je terminai de rassembler mes affaires, sorti et fermai à clé le petit studio loué au sein du quartier Hyuga.
Direction l’hôpital dans le centre, de mémoire il y avait un toubib qui s’y était installé quelques temps auparavant et les rumeurs qui sortaient de son cabinet parlait d’un jeune médecin tout à fait charmant et compétent. Ça suffira très bien.

Après quelques minutes de marche je faisais face à l’immense bâtiment médical de la ville, où les gens entraient en morceau et ressortait frais et dispo, ou presque. Je pénétrai à l’intérieur et expliquai mon cas à la personne de l’accueil, observant bien la moindre de ses expressions faciales à la recherche de la moindre moquerie. Mais non, rien, le professionnalisme absolu. Je fus alors envoyée à l’attention d’un certain docteur Kudo, qui officiait d’un petit cabinet à l’étage. Une petite salle totalement blanche, avec un grand bureau en bois, des documents en tout genre disposé dessus, une table d’auscultation, bref tout l’attirail qui nécessaire pour la profession. Cependant le cendrier remplit de mégots, ça ce n’est certainement pas nécessaire. J’eus un rictus de dégout en apercevant quelques volutes de fumée s’en échapper.
La personne de l’accueil m’avait demandé de l’attendre dans son cabinet, j’allai donc m’assoir sur la table d’auscultation et patientai en me tenant le bras blessé.

« Sukunabikona-sama va bientôt arriver. » Fit soudainement une voix dans la pièce.

Je me redressai instantanément et cherchai du regard d’où cela pouvait venir. Une menace soudaine, une intrusion de la part de quelqu’un suffisamment talentueux pour se rendre invisible ? Rien de tout cela, une petite limace glissait entre le cendrier et l’une des piles de documents, son regard fixé dans ma direction. Un kuchiyose ? Surprenant, c’était si rare de croiser des bestioles douées de parole. Mais cela voulait dire que son invocateur ne devait pas être loin.
Quelques secondes plus tard un garçon en blouse blanche, a qui j’aurais donné la vingtaine d’année, entra et s’excusa pour son retard. Ça devait donc être lui le genin, le médecin et l’invocateur. Des cheveux mi-long d’un blond éclatant, un tint très clair, des grosses lunettes rondes devant des yeux bleus presque gris et un style très décontracté. Si décontracté qu’il vint me tendre une sucette. Pourquoi ? Quel est donc cette façon d’aborder les gens ? Est-ce qu’il est au courant que les pédophiles font pareil pour attirer les enfants ? Dans le doute je ne prononçai pas le moindre mot et refusai la sucrerie simplement d’un mouvement de tête.

Heureusement il était suffisamment calme et détendu pour ne pas – trop – éveiller la méfiance et les soupçons. Cela dit quelqu’un de trop gentil c’est louche aussi … Bon sang ça devenait n’importe quoi cette histoire. Un bon point, il repoussait son cendrier de malheur le plus loin possible. Mais sa veste empestait toujours le tabac froid. Tant pis les gens parfaits n’existent pas après tout. Il était temps de grandir ma p’tite Milly !
Le jeune médecin débuta son travail par une auscultation sommaire et sans contact. Seul son chakra venait faire son office.

« En tant que membre du clan Kaguya, faite un peu plus attention à votre corps, s’il vous plait … » Fit-il une fois terminé, accompagné d’un soupire. « Bien que ce soit un plaisir de vous soigner, je peux déceler un tas de mini fissure sur un grand nombre de vos os …
- Je fais ce que je peux, mon matériel de musculation est clairement trop ancien mais ça coute une blinde pour le renouveler … du coup les cousins, les sacs, tout se solidifient et sans doute que voilà. »

Invitée à m’installer sur le lit d’auscultation, j’obtempérai sans rechigner et m’allongeai dos au matelas, le bras gauche tenant son homologue droit à travers la chemise.

« Hum, vous allez peut-être avoir besoin de le voir en fait, ce bras. »

Ça coulait de source mais il n’avait pas non plus précisé la nécessité d’y accéder.
Je me redressai tout de même et entrepris de défaire un à un les boutons de ma chemise, refusant quelconque aide sitôt qu’elle était proposée. Il s’agissait de ma connerie, à moi d’en assumer les conséquences.
Les dents serrées je fini par réussir à l’enlever et la poser sur le côté. Mon bras blessé était toujours fixé sous ma poitrine par une lanière de fortune. J’eus tout de même un petit rictus en sentant ma sueur émanée de ma brassière, résultat immédiat d’une séance de sport qui avait mal tournée. La honte … Oh et puis lui il pue bien la clope, chacun ses travers hein !

« Voilà. » Dis-je en me recouchant. « J’y pense, être capable de me réparer ce genre de connerie toute seule ça pourrait être pas mal. Vous donnez des cours ? »

« En effet, ce serait une bonne idée, mais pour soigner des fractures, il va falloir beaucoup d’entrainement pour maitriser le chakra, mais je peux vous l’enseigner. » Répondit-il en enchainant les mudra, puis en avançant les mains à proximité de la fracture.

Machinalement je serrai les dents et observai les os se remettre en place comme si de rien n’était. La sensation était très étrange, et très désagréable mais pas douloureuse. Un mélange entre des milliers de piqures et autant de caresses chatoyantes. Vraiment très étrange expérience, heureusement que je ne me cassais jamais quoi que ce soit, une seule fois c’était largement suffisant.

Au cours de la séance le jeune médecin proposa que je récupère le matériel sportif de son grand-père. Plusieurs dizaines d’années mais toujours en bon état selon lui. Je lui souris au milieu des grimaces désagréables dû à la soudure des os, et refusai poliment sa proposition.

« Je suis extrêmement chiante sur la qualité du matériel utilisé, celui de votre aïeul ne m’irait pas mais c’est gentil d’avoir proposé. »

Ce serait comme offrir son oreiller à quelqu’un d’autre, certainement pas. Et puis si tout le matériel a effectivement cinquante ans, pour sûr il ne serait pas un bon état. Les câbles et les poulies seraient à changer, à minima.
Invitée à me coucher ensuite pour la suite des soins j’eus furtivement l’impression qu’il me draguait. Le ton employé, la gestuelle. Je me faisais certainement des idées … Pour autant je ne pus m’empêcher de le fixer une seconde en plissant des yeux, avant d’obtempérer. Certainement une mauvaise impression dû à mes très – trop – rares expériences chez un médecin.

« Au pire ce n’est pas grave hein, le squelette Kaguya est particulier vous savez. » Dis-je en me couchant sur le dos. « Ça ne servirait à rien de vous embêter à faire je ne sais pas quoi si le lendemain tout redevient comme d’habitude. A force de manipuler mes os, tout ça tout ça … je veux dire, jusqu’à présent je ne me suis jamais rien cassée, c’est bien la preuve que tout va bien, nan ? »

« C’est vrai, vous ne vous êtes jamais rien cassé, la preuve, vous êtes venu me voir pour juste papoter » Enchaina-t-il avec un sourire.

Je préférai détourner les yeux et fixer le mur plutôt que surenchérir et me ridiculiser un peu plus encore. Une Kaguya qui se casse un os c’était déjà bien assez honteux ainsi. Et le fait, selon son diagnostique médical, que j’étais encore plus sujette que les autres à des fractures à cause justement de mon don héréditaire, c’était la plus grosse bêtise que j’avais entendu de l’année ! De toute évidence ce médecin était un débutant, il ne connaissait pas les particularités de chaque clan existant. Notre don nous permettait justement de manipuler à notre guise notre calcium afin de faire pousser nos os comme nous le souhaitions … Bon il s’est trouvé que là, oui, j’avais merdée. Mais ce n’était une raison pour en conclure que les Kaguya étaient faibles et fragiles !
Je le laissai continuer en silence sans le contredire même si je n’en pensais pas moins, puis me rhabillai sitôt terminer. Il fallait que je prenne des médicaments maintenant, bah voyons …

« Avant que vous ne posiez la question, c’est un médicament créé pour aider les membres de votre clan à moins d’être victime de soucis de cassure et de fracture.
- Merci bien. J’en prends bonne note. Cependant je crois qu’il y a des erreurs dans vos conclusions. Nous autre Kaguya avons le squelette le plus résistant et puissant des vertébrés existants dans le monde. Et cela grâce à notre don justement. J’ai eu un moment de faiblesse à l’évidence, mais ne faites pas l’erreur de croire que notre talent nous rends plus fragile. Car c’est bien le contraire. »

Mon regard descendit un moment fixer son calepin sur lequel il avait noté ses conclusions. Plusieurs sujets, plusieurs pistes, plusieurs options naissaient dans ma tête. Ce jeune médecin ne faisait rien de mal, et après son soin je me sentais effectivement bien mieux.

« Si vous avez besoin de mieux connaitre mon clan pour approfondir vos connaissances, je suis disposée à vous aider, d’une façon ou d’une autre. Le plus simple étant bien sûr d’organiser un voyage à Mizu no Kuni, mais ce serait certainement aussi le plus dangereux. » Après tout, c’était encore et toujours la guerre là-bas. « Mais dans tous les cas je vous pris de croire que vous faites fausse route sur vos conclusions … Combien je vous dois pour les soins ? »

Sortant mon portefeuille de ma poche arrière, je parvins à ne pas soupirer au moment de voir l’état terriblement maigrichon de ce dernier. Il fallait vraiment que je trouve un boulot plus lucratif, cela devenait urgent.

Forte heureusement, et à mon grand soulagement malgré la surprise il ne souhaitait pas être payé. Formidable ça ! Mais c’était sans compter la suite, après tout nous n’avions rien sans rien. Il proposa plutôt que de l’argent, de pouvoir m’ausculter plus régulièrement, afin de recueillir des données pour la science.
Pour la science ouais. La science mon cul, pourquoi donc avais-je l’impression qu’il y avait quelque chose de bien plus salace là-dessous. Et puis se faire tripoter à longueur de semaine, nous n’étions plus très loin de la prostitution.

Je l’observai avec les yeux plissés et une expression pleine de doutes et de suspicions, alors qu’il libérait une sucette de son emballage et se la mettait dans le bec. Était-ce pour compenser le manque de nicotine que lui réclamait son cerveau ? Je n’avais pourtant pas fait la moindre remarque, malgré éventuellement quelques rictus de dégout au début.
Cela dura quelques secondes, au cours desquelles il affirma ses bonnes intentions et fini ma tendre une autre sucette, demandant ma réponse.
Je restais pourtant silencieuse quelques temps de plus, jaugeant les gains comme les pertes potentielles. Puis finalement je lui pris sa friandise :

« Faisons ça. Si un jour nous devons aller à la rencontre des Kaguya il sera bon que vous en sachiez plus à leur sujet. Et puis même de façon globale. Cependant je tiens à préciser que je garderais quoi qu’il arrive le droit de vous mettre un stop si ça va trop loin. Je ne suis ni une prostituée ni une bête de foire, si je vois, si je suspecte que vous en profitez pour faire des trucs louches, il vous faudra faire face aux conséquences. Après tout les Kaguya ne sont pas réputés pour être des tendres comme les Hyuga, héhé. »

J’ôtai à mon tour l’emballage de la sucette et en goba le sommet sucré, un sourire taquin naissant aux lèvres.

« Si nous sommes sur la même longueur d’onde, alors à la prochaine monsieur le médecin. Si ça ne vous gêne pas, à l’avenir je vous appellerais Suku. Bien plus court et moins complexe. Bonne journée et bon courage pour les autres malades, certains ont vraiment une sale gueule. »

Après quoi je tournai les talons et referma la porte sur mon passage, reprenant la direction de ma salle de musculation.