Ah, Shizue, Shizue, Shizue.
Pour le moment, rares sont ceux qui connaissent son prénom. Par contre, tous connaissent son nom. Dès lors, tout le monde, ou presque, s’attend à ce qu’elle débarque pimpante comme jamais, pleine de bonne volonté et de grandes valeurs.
Malheureusement, la vague Shizue, c’est l’opposé de tout ça. Si elle s’en fiche de se montrer au monde telle quelle – elle est ce qu’elle est, c’est tout –, le monde ne l’entendra peut-être pas de cette oreille.
Ça commence un peu comme toutes les histoires.
C’est tout doux, tout mignon.
Un papa, une maman. Un couple adorable, exemplaire, qui donne naissance à un joli bébé. Shizue. Petite princesse de leur monde. Un bébé aux joues rebondies, qui ne pleure que très peu et mange beaucoup – peut-être un peu trop.
C’est mignon tout plein, ça dure plusieurs années.
Shizue grandit.
Maman reste auprès de la petite, Papa part au combat.
Ils sont ninjas, tous les deux. Maman, une femme issue d’une famille d’agriculteurs, a développé le chakra tardivement, mais elle est une très bonne infirmière. Papa, descendant du clan Hyûga, est un combattant hors-pair. Il lutterait contre vents et marées pour protéger son héritage. Pour protéger son village.
Mais ça se limite au village. Quand on lui demande de devenir chef du clan Hyûga, papa refuse. Parce que papa ne veut pas mettre sa famille en péril.
Et puis, un beau jour, papa finit par périr. Ça ruine toutes ses chances pour la suite, évidemment.
C’est tragique, c’est terrible.
Ça ternit le tableau de la plus douce des histoires.
Du coup, ça devient moins joli. Et ça devient de pire en pire.
Maman, avec la disparition de papa, n’ose plus aller à l’hôpital. Voir tous ces gens malades, ça la rend encore plus malheureuse.
Elle ne mange plus beaucoup, ne vit plus beaucoup.
Elle décide de rentrer chez Grand-Mère, une vieille femme d’une brutalité surprenante. Entre elle et Grand-Père, c’est clairement elle le plus fort caractère. Elle parle très fort, parle mal, n’aime personne.
Elle passe son temps à dire que les ninjas sont la pire création de ce monde. Que c’était mieux avant et que le chakra, c’est un poison.
Oui, c’est ce genre de femme, Grand-Mère.
Ça fatigue encore plus maman, qui s’isole et ne s’occupe plus de Shizue.
Dès lors, la dernière née Hyûga passe son temps dans les bras de son aïeule et apprend tout auprès d’elle. Elle apprend à lire, compter, écrire. C’est une petite érudite, elle sait plein de choses et elle adore en apprendre de nouvelles.
Ce qu’elle préfère ? Les injures, sans aucun doute. Elle les répète toutes et les prononce sans aucune erreur, jamais. Ce sont les mots qu’elle connaît le mieux.
Ça fatigue toujours plus maman.
D’ailleurs, un jour, maman s’en va. Quand elle revient, elle n’est plus pareille. Elle ne parle plus du tout, ne mange plus du tout.
Grand-Mère lui dit que c’est le mal des ninjas. Que c’est de la faute de son « trou du cul de mari », qu’il aurait jamais dû la faire rentrer dans ce monde. Ça l’a formatée et maintenant elle n’a plus le sourire.
Ça la peine, Grand-Mère, Shizue le voit facilement. Mais elle trouve que sa réaction est trop brutale. Qu’elle en fait trop.
Shizue aimerait que Grand-Mère arrête de dire que Papa était quelqu’un de mauvais. Elle aimerait que les injures, ça reste pour les vaches qui veulent pas brouter l’herbe. Elle aimerait que Grand-Mère arrête de critiquer Papa, parce qu’il était fort, Papa. C’était l’homme le plus formidable de cette planète.
Mais Grand-Mère n’arrête jamais. Et, un jour, ça devient encore pire, parce que Maman finit par mourir. Son chagrin l’emporte, elle n’en peut plus.
Sa fille est assez grande pour comprendre, pour grandir, pour vivre. Alors elle se laisse partir, persuadée que ce sera mieux, « là-haut », près de son défunt mari.
Grand-Mère devient encore plus exécrable, elle crache encore plus sur les ninjas. Les injures volent, les noms d’oiseau se font de plus en plus virulents.
Shizue n’écoute plus.
Shizue rêve d’ailleurs. Elle rêve de faire comme son père. De devenir une élite, elle aussi.
Elle veut devenir forte comme Papa, douce comme Maman.
Mais avec Grand-Mère, c’est difficile.
Alors, Shizue décide de sortir. Quand Grand-Mère fait la sieste, elle s’éclipse, file dans la forêt pour s’entraîner. Elle sait qu’elle maîtrise la même chose que papa, qu’elle peut faire pareil. Elle est encore faible, mais savoir qu’elle en a la possibilité suffit à lui donner de l’espoir.
Elle se bat, encore et encore, dans l’ombre de son père, dans le dos de sa Grand-Mère.
Elle rêve du jour où elle sera suffisamment grande pour rentrer dans ce qui était Konoha.
Parce que, pour le moment, sa Grand-Mère continue de lui dire que c’est mal. Que la vie de ninja, c’est une vie de souffrances, de pertes et qu’il n’y a que les imbéciles qui s’y livrent.
Mais Shizue veut être un imbécile.
Elle veut vivre avec les autres.
Elle veut faire comme Papa.
Sa Grand-Mère continue de la faire vivre recroquevillée sur elle-même, sans personne pour lui tenir compagnie. Shizue devient cynique, froide, sans tact. Elle envoie régulièrement son aïeule sur les roses, parce qu’elle ne supporte plus son manque de respect pour ses défunts parents.
Ils étaient formidables. Ils étaient forts.
Ils étaient pas comme cette vieille peau aigrie qui sait rien faire à part critiquer.
Grand-Père ne dit plus rien, créature amorphe qui bouge à peine les membres pour se nourrir. Lui aussi est stupide.
Il est malade, mais ça n’atteint pas Shizue. Elle n’en a jamais été proche.
Et puis, il a jamais aimé ni maman, ni papa, parce qu’ils lui ont volé Grand-Mère.
Sacrée histoire.
Un jour, Grand-Mère s’éteint. Elle part, emportée par une maladie fulgurante. Elle n’avait plus toute sa tête, commençait à sérieusement délirer.
C’est une délivrance pour tout le monde, à vrai dire.
Shizue décide d’en profiter. Elle va pouvoir mener sa vie.
Petite Hime quitte le noyau familial, va réaliser ses rêves. Elle n’est plus enfermée dans sa ferme d’argent, où ses seules sorties sont celles qui ont lieu quand l’aïeule dort.
Oh, elle les a aimés, ces deux-là.
Elle les a aimés jusqu’à ce qu’ils s’en prennent aux deux êtres qui comptent le plus pour elle : ses parents.
Konoha, remilitarisée depuis maintenant un an, évolue avec Genkishi à sa tête.
Hyûga Genkishi, son oncle.
Accompagné d’Aburame Miyako, il dirige le village et, Shizue en est sûre, à eux deux, ils porteront Konoha à son apogée.
Son oncle, ayant appris la mort de la Grand-Mère par une lettre de la cadette elle-même, l’invite à rejoindre le village.
Autant dire qu’il ne lui a pas fallu longtemps pour prendre toutes ses affaires et partir de sa ferme.
C’est sa vraie vie qui commence.
Elle pourra suivre les traces de ses parents.
Faire ce qu’elle veut.
Et bon dieu, c’est la nouvelle la plus heureuse de sa vie depuis des années.