La large étendue aqueuse faisait face à la jeune femme et avec elle, des vagues qui venaient doucement lécher la quille du grand bâtiment marin. Cela était tout à fait inconnu aux yeux de la louve. Elle n’avait jamais fait face à un océan. Jamais ses prunelles ne s’étaient posées sur une étendue d’eau telle que celle-ci. Salée, et remuante, elle n’en avait jamais vu d’aussi immense. Elle avait bien fait face à des lacs mais cela n’avait absolument rien à voir avec la beauté de cette eau remuante. Vêtue d’une cape aux tons sombres, elle ramena celle-ci plus proche de son corps et jusque dans son cou pour éviter que l’air marin ne vienne lui chatouiller la nuque et la rendre malade. L’air était déjà froid et elle resserra bien vite son écharpe rouge autour de son cou en plus de la cape qui la recouvrait entièrement. Ses cheveux avaient été attachés en une longue tresse de jais afin qu’elle ne soit pas embêtée par des mèches rebelles. Enfin, elle avait avec elle ses quelques affaires qui ne la quittaient jamais, dans un sac à dos qui semblait au bout de ses coutures à chacun de ses mouvements.

Une forte odeur d’algues et d’embruns marins lui vinrent aux narines et elle plissa un instant le nez le temps de s’habituer à cette odeur peu commune. Un puissant fumet de poissons se dégageait du navire et de l’eau autour d’eux. Probablement qu’ils avaient l’habitude d’éviscérer du poisson sur le pont. Alors qu’elle s’engageait sur le ponton pour monter dans le navire, les prunelles de la jeune femme se perdirent dans la contemplation des vaguelettes qui grattaient la coque en dessous d’elle. Une évidence lui vint alors à l’esprit : Elle ne savait pas nager. Jamais on ne lui avait appris à se débattre dans l’eau. Si elle tombait par mégarde, elle mourrait. Réfléchissant un instant, la louve se rappela qu’elle pouvait tout de même marcher sur l’eau car elle était un shinobi. Cette pensée la rassura. C’était bien pratique cette histoire de chakra tout de même.

Elle grimpa sur le navire et se retrouva sur le pont en quelques enjambés. Quelques matelots glissèrent un regard dans sa direction, tandis que le capitaine se dirigeait vers elle et lui tendait une grande main à la peau aussi sèche que les écailles d’un poisson. Kimitsu lui rendit sa main du bout des doigts et le laissa se présenter. Celui-ci n’attendit même pas la réponse de la jeune femme qu’il s’égosillait déjà contre un de ses matelots qui chargeait une grande caisse d’armes et qui avait manqué de la faire tomber dans l’eau en perdant l’équilibre. Probablement qu’ils avaient pour idée d’envoyer ces armes à Mizu no Kuni. Elle avait entendu bien des choses sur ce qu’il se passait sur cette île. Ce n’était pas du joli. La jeune femme en profita pour s’éclipser discrètement avant que le capitaine ne trouve quelque chose à redire sur quoi que ce soit la concernant.

Encore un nouveau contrat qui promettait d’être moins aisé à conclure que les derniers. Pour celui-ci, il fallait embarquer sur un navire et s’assurer que la cargaison arrive tranquillement à bon port sans qu’elle ne soit arrêté par un quelconque évènement sur le chemin. Cela aurait pu paraitre facile ou tout à fait lambda, mais le fait que tout cela se passe sur un terrain très réduit qu’était le pont d’un navire, celui même posé sur de l’eau remuante. D’ailleurs, Kimitsu commença rapidement à sentir les remous, pourtant léger pour le moment, du bateau sur les vagues. Elle sentit son estomac se nouer et l’envie de vomir ce qu’elle avait mangé ce matin lui arriva bien vite. Elle se rapprocha alors rapidement du bastingage et se posa sur le rebord pour essayer de s’habituer au remous.

« — Pr’mière fois sur un bateau, hein ? » Entendit-elle un matelot lui siffler avec un rire goguenard.

La louve lui jeta un regard mauvais mais ne préféra pas quitter sa place pour l’instant. Peut-être n’aurait-elle pas dû accepter cette mission. Si elle passait plus de temps à s’accrocher au navire plutôt qu’à surveiller l’horizon, elle ne serait pas d’une grande aide. Et c’est ce que le capitaine devait déjà penser car celui-ci avait tourné la tête en sa direction et son visage ne laissait entrevoir que de l’amusement mélangé à un léger mépris. La louve avait été la première à monter dans le bateau mais les bruits qui suivirent ne laissaient planer aucun doute. D’autres mercenaires avaient rejoint le pont, et ils avaient l’air sacrément bruyants à les entendre parler pour ne rien dire. Kimitsu ne se rendit donc pas à leur rencontre. De toute manière, il lui semblait que si elle osait ouvrir la bouche, ce qui barbouillait son estomac ne mettrait pas longtemps à remonter et à jaillir sur son interlocuteur.

La jeune femme ne quittait pas sa position, la tête au-dessus de la mer pour s’assurer d’évacuer dans la mer si son estomac devait se retourner subitement. Un homme se présenta en criant et fut saluer par d’autres individus mais la louve ne fut pas de ceux-là. Il ne valait mieux pas faire trop de mouvements si elle voulait conserver un semblant de dignité. Ainsi, seulement ses yeux suivirent le son de la voix de cet homme pour y mettre un visage, mais ce fut tout. Bien vite, elle reporta son attention sur l’océan et l’horizon limpide qui les attendait. Elle entendit tous les matelots s’affairer alors que le navire quittait le pont et s’éloignait lentement de la terre ferme. À mesure que le continent s’éloignait, l’estomac de la jeune femme se retournait un peu plus. Quelle idiotie d’avoir acceptée de monter sur un bateau. Si elle avait su que cela la rendrait si malade, elle n’aurait jamais accepté.

La louve ne s’était toujours pas remise que des cris fusèrent de tous les coins du bateau. Alors qu’elle avait toujours la tête au-dessus de la surface de la mer, une ombre gigantesque passa sous le navire. Le sang de la jeune femme ne fit qu’un tour alors qu’elle discernait cette ombre menaçante qui rodait sous le bâtiment. L’ombre disparut un instant alors qu’elle se redressait pour scruter la mer. Un choc brusque retentit sous la surface de l’eau et propulsa des vagues contre la coque du navire. Celui-ci fut brutalement secoué, obligeant la jeune femme à se tenir fermement à ce qu’elle avait sous la main pour éviter de passer par-dessus bord. S’en suivit un grondement lugubre que la louve n’avait jamais entendu auparavant. Ses poils se dressèrent sur son épiderme et elle grinça des dents. C’en fut trop pour son estomac qui se retourna brusquement. La jeune femme eut le temps de se pencher par-dessus bord avant de relâcher tout ce qu’elle avait pu bien manger avant de monter à bord. Au moins, maintenant elle avait l’estomac vide.

« — TOUT LE MONDE A SON POSTE ! PREPAREZ VOUS AU COMBAT ! On dirait que vous allez pouvoir nous aider ! Préparez-vous à courir, ça va valser ! »

Kimitsu se pencha en arrière, laissant échapper un long grognement alors qu’elle se sentait réellement mal. Elle avait encore envie de vomir. Crachant encore un peu par-dessus bord, elle s’essuya la bouche et ferma les paupières pour essayer de se concentrer. Plusieurs voix et cris sortirent du brouhaha général et cela ne rassura pas la jeune femme.

« — ON VA TOUS MOURIR !!!! FAIS QUELQUE CHOSE PUTAIN !!!! »

Oh… Oui. Et qu’on l’arrache de ses tourments le plus rapidement possible. Déjà, elle sentait son estomac se serrer à nouveau et l’envie irrépressible de se vider. Elle fit son possible pour ne pas s’abandonner à ce besoin primaire, plantant ses griffes dans le bois du navire. Elle ne pouvait pas rester comme ça alors que tout le monde paniquait autour d’elle. Bien vite, les mercenaires s’activèrent avec les matelots, soit pour attaquer le mastodonte, soit pour réparer le bâtiment flottant. Sans un mot, Kimitsu rejoignit une équipe de matelots qui s’affairait au-devant du bateau. Ils armaient un énorme harpon et visait tant bien que mal la bête pour essayer de la toucher. La louve les aida à viser et fit un mouvement de bras pour leur intimer l’ordre de tirer. Elle ne préférait pas ouvrir la bouche. Assurément, elle viderait ses tripes si elle essayait de parler. Quant aux violents remous qui secouaient le navire, elle faisait tout son possible pour ne pas y penser.

La bête lâcha un grondement à faire soulever la mer quand le harpon transperça le cuir de son épiderme. Il sembla rouler sur le côté et disparut un instant sous la surface de l’eau. Les vagues agitées venaient secouer sans relâche la bâtisse flottante alors que tous les matelots s’affairaient sur ce dernier. Les remous ne les gênaient en rien dans leurs tâches. Ce n’était pas le cas des mercenaires qui avaient été enrôlés sur le bateau. Tenir debout et marcher sur un bateau aussi fortement secoué relevait de l’exploit. Kimitsu était encore accroché au lance-harpons après que celui-ci ait été déchargé. Elle n’osait pas le lâcher, de peur d’être projetée par-dessus bord, ou bien à l’autre bout du navire dans l’un de ses sursauts. Elle se força finalement à se mouvoir sur le côté pour se rapprocher du bord du navire afin de scruter la surface et essayer de discerner la prochaine attaque du mastodonte.

« C’est rechargé ! TIRER! NOUS ALLONS DEVENIR RICHE MES AMIES ! »

Entendit-elle derrière elle, du lance-harpons qu’elle venait de quitter. Elle gratifia l’homme, qui semblait un peu illuminé, d’un hochement de tête entendu pour le remercier de son aide. Alors qu’elle cherchait encore la bête des yeux, de violentes secousses firent tanguer le bateau comme jamais. La louve sentit son estomac se retourner à nouveau et seule la peur entrava le flot de reste de repas qui ne demandait qu’à s’extirper de son estomac en plein désespoir. La louve planta ses griffes dans le bois du navire et elle se tassa contre ce qu’elle trouvait pour se tenir tandis qu’elle se maudissait de plus en plus d’avoir mis les pieds sur ce cercueil flottant. Quand les secousses se calmèrent, des matelots se mirent à crier que le rafiot était salement touché et qu’une nouvelle fuite avait été percée par les crocs du mastodonte marin.

Décidant de faire confiance aux deux autres mercenaires qui avaient disparu dans la cale du navire, Kimitsu se concentra sur la contre-attaque. Elle reporta son attention, tant bien que mal sur les vagues et aperçut finalement l’aileron gigantesque du requin. Celui-ci faisait des cercles autour du bateau, le menaçant de son imposante figure. Il attendait le meilleur moment pour les briser mais la louve n’entendait pas le laisser le faire. Elle n’était pas un félin, mais l’idée de toucher l’eau glaciale ne lui donnait guère envie. Elle se rendit tant bien que mal jusqu’au lance-harpons qu’elle avait abandonné quelques temps plus tôt et se positionna derrière. Elle tenta de viser avec ce dernier, et l’aide des matelots qui restaient près d’elle, l’énorme bestiaux. Finalement, elle relâcha le harpon qui fila à travers vents et vagues droit dans le cuir de la bête.

Le poisson n’était pas son met favoris, mais elle se ferait un plaisir de dévorer la chair de celui-ci.

Le vent se levait dangereusement, secouant le grand navire comme s’il n’avait été fait que de papier. Chaque vague semblait plus grande que la précédente, menaçant d’engloutir la bâtisse à chaque seconde. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, il tenait bon même si le vent qui s’engouffrait dans les voiles et les gonflait brusquement, ne donnait guère envie d’imaginer la suite. Les cordages clinquaient bruyamment contre les mats alors que les voiles cinglaient l’air à mesure que le bateau se faisait méchamment secouer par les flots. Aux craquements qui remontaient de la cale, celle-ci semblait en mauvais état et il était étonnant que le bateau soit toujours en mesure de flotter. Mais pour combien de temps encore ? Et s’ils coulaient, qu’allaient-ils devenir ? Était-ce seulement possible de marcher sur un océan aussi chaotique ? La jeune femme en doutait fortement. Le cœur au bord des lèvres, elle faisait tout son possible pour ne pas trop imaginer la suite. Il fallait penser positif et faire couler ce requin avant qu’il ne les coule.

La louve se tenait tant bien que mal à l’arme qu’elle venait de décharger dans la peau du mastodonte. Au cri qu’il avait éructé, il avait dû sentir le harpon percer son cuir. Kimitsu gardait néanmoins un visage livide. À la vue des nuages noirs qui s’amoncelaient peu à peu au-dessus d’eux, il y avait fort à parier qu’ils allaient se faire encore plus secouer. La louve n’était pas certaine de supporter davantage de remous. Elle allait pourtant devoir subir et l’idée ne lui faisait guère envie. Malgré ses entrailles qui se retournaient de terreur, elle s’agrippait de toutes ses forces au harpon. Elle se concentrait pour essayer de discerner l’ombre de la bête sous les flots déchainés.

À nouveau, l’homme qui se tenait non loin d’elle chargea son arme. Seulement, aussi certain qu’il fallait détruire la bête, il était également important de protéger le bateau et de le réparer avant que celui-ci ne coule. Alors, prenant son courage à quatre pattes, elle attrapa l’homme par le col afin qu’il puisse l’entendre et avant qu’il ne soit secoué plus loin.

« — PRENDS MA PLACE ! » Vociféra-t-elle pour couvrir le bruit des voiles et des divers craquements émanant de la cale. « JE VAIS DANS LA CALE ! » Expliqua-t-elle comme réponse à l’air ahuri du jeune homme. « T’AS PAS INTÉRÊT À RATER TON TIR ! » Le menaça-t-elle.

La louve n’était pas du genre à perdre patience si facilement, mais elle n’était pas un loup de mer et cette découverte ne lui mettait pas de baume au cœur. Elle entraina l’homme au poste qu’elle occupait et bondit sur le pont pour rejoindre la cale. Soudain, une vague plus grosse que les autres la propulsa dans les profondeurs du bateau. Elle se rattrapa à temps pour ne pas rouler dans les escaliers et bondit dans les quelques centimètres d’eau qu’il y avait au sol de la cale. Là, elle attrapa un matelot qui galopait par là. Nul besoin de parler, elle lui fit comprendre qu’il fallait renforcer la coque. Il attrapa un marteau et sortit des clous d’une de ses poches et entreprit de reboucher un trou qu’il avait vu. La louve l’aida dans sa tâche, tantôt lui tenant les planches pour qu’il puisse les visser avec force pour s’assurer que cela tienne, tantôt donnant de grands coups de marteau afin de s’assurer elle-même que cela survive aux assauts du bestiaux.

Au cri que poussait la bête, elle n’en avait plus pour très longtemps. Cri de rage ou de désespoir, quoi qu’il en soit, la bête se savait condamnée si elle restait entre deux feux de cette manière. La façon dont elle tentait le tout pour le tout était étonnant. C’était presque comme si on la commandait d’agir de la sorte. Du moins, c’est ce que la louve s’imaginait, coincée dans la cale du navire, elle se tenait fermement à une poutre et essayait de ne pas s’écrouler sur le sol dans de l’eau salée mélangée à son propre vomi. Elle connaissait plutôt bien le comportement des animaux. Et peu d’entre-eux s’entêtait à livrer une bataille quand la mort se faisait plus féroce qu’une simple ombre au-dessus de leurs épaules. La survie avant tout. Et cette bestiole-là, ne semblait en avoir que faire de sa propre vie tant qu’elle parvenait à couler les deux bâtiments. Était-ce la rage qui l’aveuglait à ce point ?

Quelque chose se tramait à l’extérieur et la louve devait s’extirper de la cale dans laquelle elle n’avait aucune vision sur le reste des évènements. À part entendre la bête gronder et le navire crisser à chaque vague, elle ne voyait pas ce qu’il se déroulait à l’air libre et cela avait tendance à la rendre encore plus malade. Et elle l’était pourtant déjà beaucoup, malade. Agrippée fermement à la poutre, y enfonçant ses griffes, elle serra les dents et détala sur le pont du navire quand il lui sembla qu’elle pouvait mettre un pied devant l’autre sans risquer se faire balayer à l’autre bout de celui-ci dans l’agitation. Elle se cogna néanmoins contre la rambarde de l’escalier quand elle s’y agrippa pour rejoindre le pont. Probablement qu’elle y laisserait quelques bleus dans la bataille, en plus d’une impossibilité d’avaler quoi que ce soit pendant quelques jours.

Arrivée sur le pont, la première chose qui sauta aux yeux de la jeune femme fut la visibilité toute proche du deuxième navire. Ils pouvaient entendre les cris de l’équipage provenant de cet autre bateau. La louve s’agrippa très vite au cordage du premier mat qu’elle pouvait atteindre et y enfonça ses griffes avec ardeur. Le navire était vraisemblablement pris dans un puissant tourbillon. Divers objets glissaient sur le pont du navire et étaient propulsés hors du bateau en de nombreux ploufs. Alors que l’autre navire se rapprochait dangereusement du sien, la louve scruta le cœur du tourbillon qui s’ouvrait à eux comme un trou béant prêt à les avaler. Au centre de celui-ci se trouvait l’énorme squale, baignant dans une eau pourpre de son propre sang. De nombreuses lances étaient accrochées à son cuir.

Il était temps d’en finir.

N’écoutant que son courage et pas les protestations de son estomac, elle s’élança en avant et rejoignit l’homme qu’elle avait laissé plus tôt au harpon. Il était toujours là, cramponné à ce dernier. Mais il était désarmé. Sans réfléchir davantage, la louve le rejoignit et manqua de s’écrouler tout près de lui, se rattrapant de justesse avec l’aide d’un marin qui se cramponnait non loin de là. D’un même mouvement, elle attrapa un harpon et l’arma au lance-harpons pour que le jeune homme puisse s’en servir et faire feu pour achever la bête et mettre fin à tous ces remous.

« - ALLEZ ! » S’égosilla-t-elle se cramponna de toutes ses forces à ce qu’elle trouvait alors qu’elle avait le sentiment que le bois du navire craquait de plus en plus et que le pont s’apprêtait à se briser en deux.