La paresse est l’oreiller du diable.
C’était un vice, un des sept péchés, qui tourmentait Hirohiko. Il n’y avait rien à faire, rien à redire, elle l’avait contaminé, jusqu’au bout des ongles. Il lui était presque impossible de se dépêtrer de son emprise et il se gardait bien de vraiment essayer. Il aimait se complaire dans sa feignantise, qu’importe les reproches et les remontrances l’affligeant. C’était ainsi, en dehors de son propre libre-arbitre, il avait sombré sous le joug de dame paresse.

Et quelle paresse me demanderez-vous. Sachez qu’Hirohiko, malgré son statut de genin, avait été posté parmi la garde des shinobis du sable. « Pour apprendre » comme ils disaient. Ça lui faisait une belle jambe à Hirohiko, d’apprendre leurs trucs de ninjas. Lui, il n’en avait strictement rien à pété, rien à carrer, du village et de ses missions. On l’avait collé, de force, comme préposé soutien, directement refourgué depuis le temple, et quoiqu’il en baratinât d’être venu de lui-même soigner de la veuve et de l’orphelin, il n’avait jamais vraiment voulu quitter sa douce vie tranquille au temple. Ça lui plaisait bien, de se prélasser à l’ombre d’un palmier, soigner un marchand tailladé par les brigands de temps en temps et beaucoup bronzer. Et puis, quitter le temple, quitter son antre protecteur où il avait refait sa vie, c’était s’ouvrir à l’inattendu, à la nouveauté, et peut être même aux vestiges d’un passé dont il n’avait aucune envie de se souvenir.

Alors peut être n’étais-ce pas étonnant, qu’aujourd’hui encore, Hirohiko travaillait sa paresse légendaire, roupillant au sommet du relief qui façonnait les Canyon d’Ocre. On l’avait déjà repris à plusieurs reprises, malgré la passivité de la journée. Il était donc allé se nicher au plus loin des portes du village, histoire d’être enquiquiné le plus tard possible par ses mignons petits congénères. Hiro, il n’aimait pas les autres shinobis. Ils lui donnaient des ordres comme si c’était normal de s’adresser à lui d’égal à égal. Il devait les reprendre à chaque fois et en plus ils s’en plaignaient. Non, vraiment, ça ne lui plaisait pas trop d’être de garde.

Peut-être avais-ce été pour cette raison qu’il n’avait rien vu, rien entendu, rien senti. Ni le tas d’hommes jonchés à l’entrée du canyon, ni les râles des brigands s’étouffant, ni l’odeur du sang dans lequel ils respiraient leurs derniers souffles. Enfin, si, il avait entendu un petit bruit, qui l’avait fait se retourner dans son sommeil. Désormais le son durait un peu trop longtemps et il se devait d’aller voir qui provoquait ce chahut l’ôtant de sa sieste primordiale. Il allait lui toucher deux mot et repartir roupiller. Oui, ça avait l’air bien comme plan. Manquait juste la phrase d’accroche. Il y réfléchit en épousetant ses vêtements poussiéreux. Le sable et toujours le sable, à perte de vue, venait vous recouvrir, s’imiscer dans vos atours, sans demander l’autorisation. C’était vraiment chiant mais on finissait par s’y faire.

Hiro s’élança donc du haut du canyon aux couleurs chaudes, arrivant derrière l’individu dans un énorme boucan, bien heureux de son entrée triomphale digne de Superman. A ça, il savait y faire en m’as-tu-vu.

« Hey toi ! Tu peux pas baisser le volume ?! » cria Hirohiko à l’individu en le pointant du doigt.
C’était pas joli de pointer les gens du doigt.
Alors il arrêta.
Enfin.
Il s’arrêta pour une tout autre raison.
Hirohiko venait de regretter d’avoir joué les caïds.
L’homme qu’il venait de héler trônait fièrement devant un bain de sang, dans lequel respirait quelques cadavres. Le dernier en date portant d’étranges traces de brûlures sur son cou.
Ca faisait peur.
Drôlement peur.

« Euh… » commença-t-il, hésitant.

« T’as l’air occupé avec tes… copains. Si tu peux aller régler tes comptes ailleurs, ça m’arrangerait. »
Hirohiko n’était pas très à l’aise. Les hommes, ils ne les aimaient pas beaucoup. Et l’homme face à lui n’avait rien d’un tendre adorateur du culte voué à sa personne. Sa longue crinière, ses habits d’aristo et ses yeux sanguinaires ne lui faisait pas bonne impression.

« J’aimerais pas en venir aux poings tu comprends. » finit-il par dire en posant les mains sur les hanches, bombant le torse comme s’il n’était pas intimidé et qu’il n’avait pas peur du nouvel individu. Il portait fièrement son insigne en haut du bras, comme pour dire qu’il n’était pas un vil paysan.
C'était un peu ironique cette situation.

Hirohiko avait le regard posé sur le tas de cadavre, au pied de l’inconnu.
L’homme tenta de le rassurer, ranga sa lame, tâchée du sang de ses victimes, dans son fourreau et son visage se détendit. Un sourire vint même légère s’étirer sur son visage, l’illuminer.
Pourquoi diantre souriait-il ?
Etait-il content de son acte ?
Etais-ce à la vue d’Hiro ?
L’inconnu posa une main sur son cœur et s’inclina devant le moine abhorrant l’insigne de Suna. Hiro était un peu troublé par son initiative car on ne lui témoignait, d’habitude, pas tant de respect si promptement, si facilement. Surtout de la part des hommes.
Ils étaient toujours jaloux, d’ordinaire.
M’enfin, peut être était il enfin tombé sur quelqu’un qui l’estimait autant qu’il devait l’être, en bonne divinité qu’il était. A cette pensée, Hiro afficha donc une expression satisfaite et garda le torse bombé.
Néanmoins, bien qu'il sentait dans l'attitude de l'inconnu que ses salutations étaient sincères, il n’arrivait pas à faire confiance à ce nouvel individu. Il lui semblait que quelque chose clochait.
Parce qu’un tas de cadavres tapissait ses pieds.

« Hm. » commença Hiro comme s’il tentait de réfléchir.
« J’entends que tu t’es défendu contre des criminels. Néanmoins, le combat me semblait plutôt à sens unique. »
Hiro jeta un regard sur les cadavres jonchés aux pieds de son interlocuteur.
Oui, le combat, bien qu’il fût certainement lancé par les brigands, n’avaient pas eu l’air trop difficile pour l’inconnu et nul doute qu’il avait exterminé sans remords ces opposants. Aussi vils criminels étaient-ils, Hiro avait toujours un problème avec le concept de tuer. En tant que moine, on lui apprenait à sauver des vies, à résoudre – le plus possible – les problèmes de manière pacifiques, et lorsqu’il devait en venir aux poings, il tachait de ne jamais ôter la vie de ses opposants. Il fallait les opposer à leurs actes, à leurs péchés, qu’ils en mesurent les conséquences devant une cour et non devant une lame. Ainsi donnait-il quelques coups de poings pour diassuader, pour mettre hors d’état de nuire ses opposants, mais jamais – ô grand jamais – dans l’intention de tuer. Cela n’arrivait qu’en cas de légitime défense, et encore.
Œil pour œil, dent pour dent, n’était décidemment par la devise des prêtres.

Ainsi donc les principes du jeune moine se trouvait un tant soit peu bouleversés par ceux de l’inconnu et il n’arrivait pas à accorder une confiance totale dans ses propos.  Hiro avait certainement une opinion bien différente de bon nombre de ninjas. Car oui, les ninjas étaient des militaires, entrainés à tuer. De véritables machines de guerre humaines. Il n'y avait qu'à voir le clan des Itsuru, défigurés et balafrés pour les rendre les plus forts possibles.
Hiro ne voyait pas son avenir du même œil. A l’image de La Moniale, il souhaitait se battre le moins possible.
Certainement aussi un peu par flemme.

« J’ai tendance à penser que les criminels doivent faire face aux conséquences de leurs actes, cependant les tuer me semble bien radical. »
Hiro ne savait pas s’il pouvait se permettre de lui dire qu’il ne lui restait plus beaucoup de chemin à faire avant d’arriver aux portes du village. Si c’était, lui aussi, un criminel, il ne souhaitait pas qu’il soit à l’origine de son infiltration dans les rangs du village. Cependant l’homme ne semblait plus d’humeur belliqueuse et le témoignage de son respect paraissait sincère.

« Avant de t’amener à Suna, j’ai besoin d’être sûr que tu n’es pas une menace pour le village. Et disons que… ce bain de sang ne vas pas spécialement en ce sens. »
Hirohiko était un peu embêté parce qu’il ne voyait pas comment se défaire de cette situation. Dans tous les cas, il n’aurait aucune garantie de la véracité des propos de l’inconnu. Les autres personnes qui auraient pu lui fournir un alibi direct jonchaient, sans vie, au sol.
Un autre shinobi aurait certainement réussi à prouver la légitimité de l'inconnu mais Hiro n’était pas un grand futé. Du moins, si il avait pu l’être, il ne le montrait point. Allez savoir s’il était vraiment con ou si c’était juste par flemme mais il se refusait à se tricoter les méninges.
Encore plus pour un garçon.

L’homme face à lui avait un petit quelque chose qui laissait respirer une force tranquille. Tout dans son attitude, son apparence et son visage laissait à penser qu’il avait une certaine noblesse et, au fond de lui, Hiro était un peu jaloux. Un peu jaloux parce que, lui, n’avait aucune famille. Certes il y avait bien le temple d’Amaterasu qui l’avait recueilli, mais il n’était pas là comparable à une famille, un foyer, une enfance douce et paisible au sein d’un cocon douillet.

Hirohiko repéra une avancée à hauteur de siège, taillée dans la pierre ocre du canyon. Il s’y assit sans quitter l’homme des yeux.

« Ce que je te propose c’est que tu me racontes comment t’en es arrivé là, à vouloir dégommer du brigand, et pourquoi tu veux venir à Suna. Si tu arrives à me convaincre, je t’accompagnerais jusqu’au village et, si ton histoire est éloquente, je pourrais même t’offrir une visite guidée. » lui dit Hiro tandis qu’il posait son dos sur les parois de la falaise, les bras croisés sur la poitrine.
L’inconnu n’imaginait pas l’effort considérable qu’Hiro devait employer pour écouter quelqu’un d’autre que sa petite personne.
En bon égoïste fini.
Il avait tout de même hâte de voir l’histoire qu’on pourrait bien lui pondre et si elle justifierait les actes du beau monsieur.

Qui dit art, dit mensonge.
Hiro était un livre ouvert. Il était si simple d’en feuilleter les pages, d’en comprendre les émotions. Il était facile à lire, comme un livre écrit pour les enfants. Ses attitudes trahissaient ses pensées. Il n’était pas grand comédien, de ce point de vu là. Ainsi n’avait-il aucune prouesse pour le mensonge. Il était tel un enfant, presque incapable de dissimuler la vérité.
La vérité sort de la bouche des enfants, non ?

Ainsi l’inconnu avait-il pu facilement discerner l’attitude fermée du moine. Fermée puisqu’ils partageaient des idéaux contraires, pour punir les malfrats de leurs crimes.
L’un prônait la vie.
L’autre la mort.
C’était aussi simple que cela.
Pas besoin de passer par quatre chemins.
Tout était dit.

A l’inverse, l’inconnu opta pour une position plus décontractée, plus avenante,
Plus ouverte.
Et c’était chose improbable que de prendre du recul sur la scène pour mieux en discerner les contours.
Ils étaient deux êtres humains que tout opposait.
Leurs physiques, leurs idéaux, leurs pensées.
L’un était venu pour venger les siens.
L’autre à grand coup de pied au derrière.
Ils n’avaient rien en commun.
Vraiment rien.
Mais, bizarrement, ils étaient complémentaires.
Comme les deux faces d’une même pièce.
Comme la dualité du ying et du yang.
L’un sans l’autre, ils ne pouvaient exister.
Il fallait un peu de tout, pour faire un monde.
Un peu des deux.

L’homme comprenait sa méfiance. Tout dans son attitude laissait transpirer la sincérité.
Il voulait sincèrement qu’Hiro le croit.
Il souhaitait sincèrement que ses paroles le touchent.
D’après ses dires, il était le rejeton d’une noble lignée, profusant dans le commerce. Sa famille y avait cependant trouvé la mort, par une attaque de brigands. Des brigands, toujours des brigands. Toujours cette même rengaine, ce même disque, ce même refrain. A croire que ces derniers y trouvaient leurs comptes, à massacrer de la veuve et de l’orphelin, du puissant noble richissime.
La pensée laissa échapper un soupir désappointé de la part du moine. Combien même il rêvait de faire régner un semblant de paix sur le Yuukan, il ne voyait, pour l’instant, rien qui montrait des signes en ce sens. Bien au contraire. Plus les années avançaient, et plus ça débordait de criminels, depuis qu’Arashi était tombée.
A la fin de son histoire, Hiro étira un sourire triste sur son visage. Il posa sa main sur l’épaule de l’inconnu, lui témoignant toutes ses condoléances dans ce seul geste.
Il ne connaissait que trop bien les histories de morts qui orbitaient autour des brigands.
Il ne voulait pas en entendre davantage.

« Et bien en voilà un triste voyage ! Navré pour ta famille… J’espère qu’ils n’ont pas souffert. »
Il lâcha un soupir tandis qu’il se relevait de son siège de fortune.

« Je m’excuse pour t’avoir traité de la sorte après que ton rude périple. Je n’ai fait que remplir mon devoir envers le village. »
Il tendit un bras en direction de l’inconnu pour lui l’inviter à se redresser mais également pour lui témoigner d’une poignée de mains de bienvenue.

« Je m’appelle Kamui Hirohiko. Hiro suffit. » lui dit-il en lui serrant la main.
Il attendit quelques secondes, le temps que l’inconnu en face de même, avant de le lâcher.

« T’as quand même pas de veine que ces bandits t’ai suivi jusqu’ici. D’ordinaire, c’est plutôt calme. » lui fit remarquer Hiro, comme s’il sous-entendait que ces bandits avaient dû le suivre depuis un moment.

« Une raison peut être ? »
Visiblement, Hiro n’avait pas l’air de vouloir en démordre sur la fiabilité de l’inconnu. Peut être étais-ce simplement sa réticence envers les individus masculins, tout simplement.
Ou peut être n’avait-il pas totalement tort, de se méfier.