Qui est-elle ? En vérité, personne n’est capable de la décrire. Il n’est pas question d’un être extraordinaire, ou complexe. Loin de là ! La demoiselle est comme un fantôme pour son entourage qui se résume aux membres de son clan, à quelques « camarades » lors de ses premiers apprentissages, et aux personnes qu’elle rencontre régulièrement pour récupérer quelques menues missions. Elle ne fréquente guère le monde, préférant s’isoler dans ses livres ou ses dessins, ou faire des balades solitaires.
Cette distance cache un bien lourd secret, en vérité. Quelle serait l’ironie du sort pour une Yamanaka aussi jeune ? Chiyoko peut vous répondre : des troubles de la mémoire. Depuis enfant, la demoiselle a toujours expérimenté des rêves éveillés, des « absences » - le temps de quelques minutes à quelques heures –, ou encore des pertes franches de la mémoire. Son père était un éminent chercheur au sein de son clan, Yamanaka, et travaillait d’arrache-pied pour trouver une solution au problème de la petite. Du moins, c’est ce qu’il disait.
Ces troubles causent bien des peines à la demoiselle, affectant son cycle du sommeil, gênant son quotidien, et la mettant dans un état d’alerte presque constant. On la dit bizarre, mais en vérité elle est « malade ». Elle souhaiterait demander de l’aide, mais chaque jour passé auprès des « siens » lui fait craindre le pire. Et si on l’enfermait ? Cette simple idée l’effraie, l’obligeant à fuir l’inévitable et à tarder autant que possible le jour des révélations.
Ses parents étaient deux éminents savants du clan Yamanaka. Cependant, un beau jour, ils ont décidé de s’isoler au sein de Hiwamaki pour pouvoir étudier à leur guise et à leur aise le mystérieux pouvoir dont ils étaient gratifiés de naissance. Malheureusement, la mère mourut en couche, laissant au père deux jolies jumelles.
Pour beaucoup, c’est à partir de cet événement que le père changea drastiquement. Ses correspondances avec le clan étaient laconiques et succinctes et ses rapports manquaient de l’ambition des premiers jours. En vérité, les recherches initiales de l’homme avaient pris une forme assez perverse : il n’était plus question de comprendre le pouvoir, mais de l’utiliser dans la quête de l’immortalité. A ses yeux, l’éternité ne s’achevait pas en maintenant un même corps sain et solide, mais en gardant la mémoire « vivante » à travers les âges. La question était la suivante : en transférant totalement la mémoire d’une personne à une autre, et en s’assurant que ce transfert soit « permanent », est-ce que nous pouvons considérer que la première personne vit toujours ? Une théorie qu’il voulait tester, et prouver !
Et les expériences débutèrent, mêlant bien des théories auxquelles il aurait pu avoir accès, invitant au besoin telle ou telle personne avec tel ou tel talent à apporter sa pierre à cet édifice colossal et chimérique. Dans cette folie, et ce deuil malmené, il avait subitement la certitude que ses jumelles étaient la clé de ses recherches … et les soumet bien tôt à diverses expériences. Il cherche à transférer leurs mémoires sur une base mensuelle, puis hebdomadaire et puis quotidienne … selon les jours, Chiyoko vivait avec les souvenirs de sa jumelle, de son père, d’un voisin et vice-versa.
Elle ne s’en rappelle pas, elle ne le sait pas, mais c’est là où ses « troubles » débutent. Il n’est pas question de laboratoires souterrains glauques, de tortures physiques et bien d’autres horreurs. Non, il n’y avait que des « rires », des repas de famille et un père un peu trop occupé dans son bureau, dans sa mémoire encore « intacte ». En effet, comment deviner que votre bon père s’amuse avec votre mémoire quand vous dormez d’un sommeil profond ou qu’il prétend vous apprendre les bases du pouvoir du clan Yamanaka ?
Malheureusement, à jouer autant avec les mémoires, les séquelles sont sévères et les retombées incertaines. Si Chiyoko développe un caractère effacé et discrète, jonglant entre différentes visions, la jumelle est tout autre. Un jour elle hurle, un jour elle brise les choses, un jour elle marmonne dans sa barbe … Aucune ne sait qu’elles sont victimes. Aux yeux de l’une, l’autre est folle dans un monde paisible- quoique étrange par moment. Aux yeux de l’autre, l’une est trop passive dans un monde infernal.
Et ce sont bien ses derniers souvenirs. Un beau matin, au réveil, il n’y avait plus personne à la maison, ni aucun mot. Sa première réaction a été d’interroger les voisins ou villages des environs mais personne ne put répondre. Sa seconde réaction fut de se rendre à Konoha, pour se renseigner. Rien. Nulle trace, ni de l’un, ni de l’autre. En désespoir de cause, elle reste, elle s’engage … et elle attend, dans la peur qu’on découvre sa « défaillance ». Innocente, encore naïve, elle espère trouver ce père qui lui avait promis de la guérir de ses troubles, et de l’aider à retrouver une vie normale.