La bête était morte.

Le tir avait fait mouche. Une dernière fois, le mastodonte avait grondé. Un grondement qui avait fait trembler les eaux et frémir les bâtiments navals dans leurs écrins cristallins. Il avait alors plongé une dernière fois au creux de la tempête avant de remonter à la surface, inerte, strié de harpons et de cicatrices létales. Le vent s’était calmé presque aussitôt et les navires s’étaient tassés lourdement dans le reste des vagues. Kimitsu était encore accrochée à ce qu’elle pouvait sur le bateau. Le bois était parcouru de marques de griffures tant elle s’y était agrippée. Il avait tant craqué et frémit qu’elle avait cru, jusqu’au dernier moment, que le navire allait se scinder en deux dans la tempête. Alors que le bateau avait désormais cessé de tanguer et que l’agitation était retombée, son estomac sembla s’apaiser de concert. Elle pouvait s’accorder une bouffée d’air, et aurait aimé savourer un peu plus de repos après tant de remue-ménage.

Le mégalodon était bien mort. Pas de doute là-dessus. La carcasse du squale gisait dans l’eau, flottant mollement aux creux des petites vaguelettes pourpres qui venaient lécher l’extrémité du cuir de la bête. Une silhouette était apparue quelques secondes après le dernier cri du monstre. La louve la remarqua aussitôt et elle se pencha en avant pour tenter d’y voir davantage. Qui était-ce ? Était-il à l’origine de l’apparition de l’animal géant ? Quelque chose la tourmentait. Il n’avait pas une posture ni une silhouette humaine. Sans adresser un regard au reste de l’équipage, la louve s’élança en avant et atterrit sur l’eau. Utilisant son chakra pour tenir à la surface de l’eau, elle se tint immobile. Ses pupilles dorées se posèrent sur la silhouette qui se tenait à quelques mètres d’elle. Son corps était humanoïde mais à la place d’un visage humain se trouvait une tête de requin. Sa peau était recouverte du cuir d’un squale et ses grands yeux pourpres étaient figés sur la bête morte.

« — Qui êtes-vous ? » Murmura-t-elle.

Ce requin anthropomorphe ressemblait beaucoup à l’état mi-homme, mi-animal, qu’un individu de son clan pouvait obtenir à un niveau élevé. Mais était-il seulement capable de reprendre sa forme humaine ? Il semblait difforme comme si la transformation s’était stoppée. Kimitsu aurait aimé découvrir la raison de son état, mais son instinct lui soufflait de garder ses distances et d’y aller prudemment. Alors qu’elle allait s’approcher d’un pas, l’homme squale se redressa brusquement dans sa direction et fit les mudras d’invocation avant que la louve n’aie le temps de faire quoi que ce soit.

Un énorme squale surgit alors et la propulsa violemment en arrière. Le coup lui coupa brusquement la respiration et elle fit de son mieux pour retomber, une bonne dizaine de mètres plus loin, campée sur ses jambes. Elle était désormais isolée du groupe. Cela ne lui plaisait guère. Mais puisqu’il était ainsi, elle se débarrasserait du gros poisson pour retourner à sa proie principale. L’estomac dans les talons semblait maintenant bien loin, et elle était bien déterminée à frire le poisson qui lui faisait face, hors de l’eau, au chaud dans sa bulle d’eau. Celui-ci ne mit d’ailleurs pas bien longtemps à s’agiter dans son bocal. Déjà, il se jetait dans sa direction, la gueule béante et pleine de dents acérées. Il fallait éviter ça si elle souhaitait conserver tous ses membres en état de marche.

À la vitesse à laquelle l’animal arrivait sur sa position, elle n’aurait pas le temps de former les mudras d’une de ses techniques de protection. Il lui fallait à tout prix éviter une attaque frontale. Alors la louve fit un simple mouvement d’esquive pour éviter le gros de l’attaque. Elle sentit néanmoins les crocs de la bête s’enfoncer un peu dans son côté droit et lacérer sa cuisse droite. La sensation poisseuse et chaude du sang imprégnant ses vêtements et coulant le long de ses jambes ne l’arrêta pas pour autant. Profitant que la bête était proche de lui, et ragaillardis par la douleur qui lui lançait dans tout le corps, elle mit en place sa contre-attaque. Ses ongles s’allongèrent en de longues griffes et la tornade acérée de griffes devrait s’abattre sur le cuir de l’animal avec rapidité et férocité, creusant dedans assez profondément pour y faire perler le sang. Il lui fallait mutiler son adversaire comme il la mutilait. Crocs contre crocs, bien qu’il ne s’agisse de griffes pour cette attaque-ci.

Des gouttelettes de sang giclèrent sur le visage de la jeune femme quand ses griffes pénétrèrent le cuir de la bête, y creusant de nombreuses taillades. Certes, ce n’était pas assez pour se débarrasser du squale, mais c’était un début. Elle n’en avait pas fini avec l’énorme poisson et elle ne comptait pas abandonner et lui laisser le loisir d’attaquer à revers le reste de l’équipage. S’ils devaient combattre un shinobi aussi puissant que l’Hetai en plus d’une invocation de rang A, il y avait fort à parier que plus personne ne soit encore là ce soir pour boire à la victoire de cette mission de pêche.

La louve observa avec attention son adversaire alors qu’il terminait sa course, lacéré d’un côté, et se tournait de nouveau dans sa direction. Elle rassembla les paumes de ses mains pour former des mudras rapidement en attendant que la suite arrive. Une ombre faite entièrement d’eau se mit à grossir autour de la silhouette de la bête jusqu’à la recouvrir entièrement. Celle-ci se mit alors rapidement en mouvement pour fondre en direction de la jeune femme. Kimitsu n’était décidément pas très forte en défense et cela lui manqua pendant ce combat. Il fallait qu’elle encaisse cette nouvelle attaque, et prendre à nouveau des dégats parce qu’elle n’était pas capable de la contrer entièrement.

Afin de contrer un minimum l’attaque de la bête, elle forma ses mudras futon et invoqua sa barrière protectrice de vent. De puissantes bourrasques de vent enveloppèrent la jeune femme dont les cheveux se mirent à voler dans tous les sens. Vu la puissance de l’attaque du squale, il était surtout question de ralentir l’attaque et de la rendre moins dévastatrice. Kimitsu laissa échapper un long râle de douleur quand le requin aqueux se glissa dans sa barrière de vent pour venir la toucher malgré tout, bien que moins puissante. L’eau lui cingla le corps et elle fut repoussée de quelques mètres en maintenant son jutsu de protection. Ce dernier disparut brusquement, en même temps que le projectile aqueux. Elle avait encaissé mais elle dû reprendre son souffle, coupé par l’attaque.

Kimitsu serra la mâchoire, darda ses prunelles d’or sur la bête et se campa rapidement sur ses pieds. Il fallait lancer l’offensive aussi rapidement que lui. Et c’est ce qu’elle fit. Elle bondit rapidement vers lui, ses mâchoires s’armant de crocs dévastateurs et se concentra pour changer la forme de son corps. L’être humain se couvrit d’une épaisse fourrure d’ébène et les traits se firent plus animaux qu’humains. Sa vitesse sembla grandir alors que ses jambes se changèrent en de puissantes pattes et elle tenta finalement de refermer sa puissante mâchoire sur le gros poisson afin de percer le cuir de ses canines proéminentes. Elle était désormais totalement transformée en un être entre le loup et l’humain, dont les prunelles dorées n’avaient plus rien de celles d’un Homme.

Mais qui était réellement le monstre dans ce combat ? Le requin qui se flottait hors de l’eau dans une bulle aqueuse, ou bien la bête sortie tout droit des chimères et des contes pour assagir les enfants. La bête aux allures de loup-garou se redressa quelque peu, les babines retroussées en signe de menace. Un léger grondement venait ricocher dans sa gorge jusqu’à s’en extirper à l’air libre. Elle avait bel et bien touché le squale. De la plaie qu’elle avait parvenu à lui faire à l’aide de ses crocs, le sang suintait et dégoulinait. Probablement que la bête n’en avait plus pour très longtemps. Mais elle était bien placée pour savoir qu’un animal blessé pouvait être bien plus dangereux. La crainte du vide et de l’au-delà avait pour effet d’engendrer la folie. Ou bien était-ce la souffrance qui les rendait fous ? Enfin, cela devait être un peu différent quand il s’agissait d’animaux invoqués.

Quoi qu’il en soit, la louve conservait une position de défense. Campée sur ses puissantes pattes postérieures, elle lorgnait le poisson cartilagineux d’un œil mauvais. Il ne mit guère longtemps à passer à nouveau à l’offensive. Ouvrant grand la gueule, il forma un genre de harpon fait entièrement d’eau. Le missile se mit à tournoyer très rapidement sur lui-même et la louve sû qu’elle devait absolument contrer la prochaine attaque sous peine de se faire transpercer et de finir en brochette. Elle n’était pas encore prête à passer de l’autre côté. La mort n’était pas une option. Elle ne l’avait jamais été.

Alors que la bête ouvrait la gueule, la louve forma de concert ses mudras et des rafales de vent se mirent à tournoyer avec elle. De plus en plus rapidement, la louve sembla alors perdre pied, comme si elle tombait en avant, mais elle se mit brusquement à tourner sur elle-même. Les forts courants de vent qui l’enveloppaient lui permirent d’engendrer une forte force cinétique capable de dévier une attaque directe. Elle espéra que cela serait assez pour repousser le harpon de son adversaire. Le projectile arriva à grande vitesse sur elle alors qu’elle atteignait une certaine vitesse de rotation. Si tout se passait bien, elle dévierait le harpon et celui-ci se réduirait en une flaque en rencontrant sa barrière.

La louve mit fin à sa technique, se rétablissant à quatre pattes, les griffes fermement plantées à la surface de l’eau. Inspirant profondément, elle se propulsa en avant afin d’achever le squale. Elle détroussa ses babines et ouvrit la gueule, dévoilant ses puissantes canines, avant de fondre sur le squale avec la rapidité de sa technique au corps à corps. Si elle ne manquait pas son coup, il aurait la sensation de se faire mordre par plusieurs bêtes à la fois et ses points vitaux n’en sortiraient pas indemnes. Elle pouvait le faire disparaitre avec cette technique si seulement il n’avait pas de quoi l’esquiver.