Lorsque Chiyoko avait reçu la convocation du Maître Hokage, son cœur manqua un battement. Il n’était pas question d’être flattée ou honorée par une telle rencontre, et réfléchir à la tenue adéquate à porter, mais davantage de s’inquiéter sur le sujet. Mille scénarios se construisaient dans son esprit : allait-elle obtenir des nouvelles de ce père et de cette sœur disparus ? Allait-Elle être soumise à une quelconque interrogation pour ces deux disparitions ? Avait-on deviné, d’une façon ou d’une autre, qu’elle était « défectueuse » et malgré toutes ses précautions ? Sur un tout autre ton, allait-elle être critiquée pour avoir tenté l’examen chunin alors que son expérience et ses talents martiaux étaient considérablement à désirer ?

La semaine s’écoulait donc, avec toutes ces hypothèses. A chaque cas, elle pensait à une réponse potentielle à offrir. Étrangement, elle n’avait expérimenté aucune « absence » ou rêves éveillée. Une situation assez exceptionnelle qu’elle notait scrupuleusement dans un parchemin scellé. Certes, elle n’avait pas les connaissances de son père ou une formation médicale, mais le suivi de son état était une tache basique que tout idiot était apte à faire.

Lorsqu’elle se présente enfin au bureau, elle était plus sereine qu’en début de semaine. La maîtrise de ses émotions était la clé de cette entrevue, pour que celle-ci ne se renouvelle pas de sitôt.  La démarche encore un tantinet irrégulière en raison de la jambe blessée à l’examen, elle ne manque pas pour autant pour offrir le salut militaire réglementaire.

Sa nervosité descendit d’un cran quand l’homme lui demanda un rapport sur son examen. Elle donne donc la réponse, la voix neutre et professionnel et le ton suintant une forme de confiance et d’assurance.

- La première épreuve consistait à atteindre la tour très rapidement, avec deux parchemins et sans être repérées et capturées. Les parchemins étaient moins nombreux que le nombre de participants : la précaution et l’économie des efforts étaient donc importantes. Ma partenaire partageait le même sentiment que moi, ce qui nous a permis d’imaginer des stratégies gagnantes. Notre grande erreur a été la traversée du cours d’eau : nous nous sommes précipitées, pour être plus rapide, alors que nous aurions dû patienter.

Souligner ses réussites étaient aisées, se plaindre de ses échecs davantage. La véritable difficulté était d’apprendre de ces dernières. Heureusement, pour cette « erreur », Chiyoko avait une chauve souris sous la main pour créer une diversion.

- La seconde épreuve jouait à mon désavantage en raison du terrain. Je n’avais aucune chance de me cacher, ou de tromper l’ennemi par quelques ruses. J’avais le choix d’abandonner ou d’essayer. J’ai opté pour le second, en faisant un pari risqué sur une potentielle naïveté de mon adversaire. J’ai essayé de l’approcher en prétextant un salut dans les règles de l’art afin de l’attaquer, ou encore en prenant pour otage les civils. Pour ces derniers, je savais qu’ils ne risquaient rien : il y a suffisamment de Chunins et Jonins pour maîtriser des attaques de Genins. Je me suis lourdement trompée et j’ai échoué, naturellement.

Certes, elle ne décrivait pas là une stratégie honorable, mais la règle était de gagner à tout prix. Elle avait usé tous les moyens à disposition par conséquent, en se fichant des conséquences – que ce soit physique ou d’un point de vue réputation pour les plus observateurs. L’histoire martiale avait prouvé à de nombreuses reprises que les dommages collatéraux étaient inévitables. En s’engageant dans cette voie militaire, elle s’était résignée à avoir le sang d’innocents sur les mains à terme – ou a représenter une nation qui pourrait voir son histoire teintée d’injustice et d’horreur.

Le maître Hokage écoute, et commente.

- Il m’aurait fallu quelques arbres, maître Hokage. Ils m’auraient servi de défense naturelle, et avec ma sensorialité, elle n’aurait pas échappé à mon attention. Avec des ruses et des jeux de fils, elle se serait épuisée sans que je ne m’épuise.

Se basait-Elle encore sur un pari ? Non. Elle avait d’or et déjà une tactique plus viable et moins éreintant physiquement et mentalement. La Forêt était son élément naturel, tout simplement.

Et là, il fait une annonce.
Une terrible annonce.
Ses lèvres tremblent le temps de quelques secondes, et un nouveau battement est manqué. En l’espace d’une seconde, elle voyait la catastrophe qui se profilait à l’horizon : il allait finir par découvrir ses « troubles ». Elle peut cacher à des Genins, Chunins ou même Jonins avec peu d’expérience vis-à-vis des talents claniques. Par contre, l’affaire se corsait avec le maître Hokage, ami de la chef de son propre clan.

- Je suis très honorée, repondit-elle, retrouvant enfin ses esprits. Dire non serait stupide et trop suspecte. Elle n’avait pas d’autres choix que d’accepter et de se soumettre à ce mauvais tour du destin. Je me montrerai à la hauteur de votre apprentissage, et je tacherai de ne pas vous décevoir dans les missions futures que vous voudrez bien me confier.

Si s’améliorer avait été un objectif, c’était devenu un impératif maintenant. Plus vite elle affûterait son talent, et moins elle sera en contact avec lui … cependant, pourra-t-elle résister à cette nouvelle pression ? Pourra-t-elle maintenir ce fragile équilibre ?

Qu’il était drôle de se dire que sa langue disait une chose, son esprit pensait à autre chose.

- Je vous remercie pour le thé, Maître Hokage.

Elle saisit le thé en question, en se permettant de s’asseoir. Elle sirote à son tour, et appréciant un temps le breuvage chaud. Avait-elle des questions ? Oui, beaucoup. Par contre, elle préférait que l’adulte parle d’abord.

Chiyoko acquiesce et approuve chaque proposition faite par le Maitre Hokage. Pouvait-elle agir autrement ? En toute franchise, ce n’était pas possible. Il décidait, elle obéissait. La hiérarchie s’était établie ainsi et elle devait s’y maintenir. En somme, il n’y avait nulle place aux émotions ou aspirations individuelles. Il serait candide de penser qu’elle l’aura un beau jour : plus nous montions les niveaux d’une organisation, et plus nous répliquions inconsciemment ses codes et ses valeurs qui nous dégoûtaient dans notre naïveté des premières découvertes.

La jeune demoiselle en était consciente, et acceptait malgré tout ce pacte diabolique en toute connaissance de cause. Il y a bien longtemps qu’elle avait abandonné de penser à son propre bien égoïste. Seul comptait la famille. Le Pays. L’Honneur. Et la Mémoire. A cette dernière pensée, elle ne peut s’empêcher de s’interroger à quel instant cette idée s’était implantée en elle ? Elle était certaine que la notion de Mémoire n’avait jamais figurée dans tous ces livres militaires lus. Sentant toucher un point sensible d’une histoire oubliée, elle prend peur : se leurre et elle s’enferme dans le déni, se mentant que Mémoire voulait dire « Histoire ».

A croire que le Destin s’amusait à la tourner davantage en bourrique, voilà que son interlocuteur lui pose une question fort pertinente et qui n’avait pas dû échapper à l’attention d’autres supérieurs qui connaissaient, de près ou de loin, les capacités innées du clan Yamanaka. Elle ne répond pas immédiatement, se taisant un long moment avant de commencer à parler.

- Mon père ne croyait pas aux méthodes traditionnelles d’apprentissage du clan. Alors, dans sa retraite, il a essayé de m’inculquer à sa façon, indiqua-t-elle.

Pour la première fois, depuis le début de cet entretien, son ton était dénué d’assurance et révélé une forme de faiblesse et d’incertitude. Il semblait qu’elle cherchait quelques souvenirs, mais sans y mettre véritablement le doigt dessus, tentant de broder par-dessus autant qu’elle pouvait, et autant que son esprit cartésien pouvait concevoir. Elle se disait « je chassais, alors j’ai dû apprendre aussi sur le tas, par moi-même ! » ou « Il nous manquait de copains d’entraînement, alors nous ne pouvions pas vraiment tout tester ». Il était étonnant et fascinant de voir à quel point le cerveau pouvait « créer » ses propres illusions, et s’y enfermer.

- Je connais, en théorie, chaque possibilité permise par notre talent, incluant tous les mudras ou les risques associés. Par contre, je ne me suis jamais véritablement entraînée. Je sais ressentir les consciences, j’en usais beaucoup pour chasser, dans mon village natal. Mais … non, je ne me suis jamais servie autrement.

En somme, elle s’était hissée jusqu’ici avec peu ou aucun talent dirions-nous, présageant davantage ce qu’elle pouvait devenir. Assurément, Genkishi n’avait pas tort. L’apprentissage pourrait être long, et fastidieux, mais le résultat sera des plus intéressants et le temps investi sera récompensé convenablement et même plus.

- Je me suis orientée vers les sceaux, et notamment le stockage d’armes ou d’armures. Comme dit, j’avais l’habitude de chasser le temps de quelques heures ou de plusieurs jours. Il est utile de savoir piéger, ou de disposer de suffisamment de matériels pour anticiper bien des situations.

Sur base de ces explications complémentaires, la raison de sa réussite ou ce détachement particulier avaient tous une même origine : une enfance solitaire passée dans la nature, où la vie et la mort faisaient partie d’un cycle naturel et où il était important de montrer plus de méthodes que de sentiments.